Voici L’homme de Kiev, un livre reçu dans la box Exploratology du mois de mars, box qui, je le répète est une très bonne idée pour tous les lecteurs désirant découvrir chaque mois de nouveaux auteurs. J’avais vaguement entendu parler du film sorti en 1968, adaptation directe du livre, bien que je ne sache pas réellement quelle en était l’histoire.

Résumé de l’éditeur

Yakov Bok quitte son village et s’installe à Kiev. Il aspire à une vie meilleure : un travail, un avenir, du temps pour lire ou pour rêver. Lorsqu’un enfant est découvert assassiné, cet homme comme les autres devient le coupable idéal. Car dans la Russie de Nicolas II, Yakov est d’abord un Juif. L’Homme de Kiev plonge dans les racines du mal, recréant l’Europe vacillante des tsars.

Mon avisOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Le résumé m’a tout de suite attirée, c’est le genre d’histoire qui a de fortes chances de me plaire. Néanmoins, il m’a fallu attendre l’évènement perturbateur décisif, à savoir l’arrestation de Yakov, pour pleinement rentrer dans l’intrigue. Il faut dire que Yakov, réparateur juif d’une trentaine d’années ayant fui son village pour la ville de Kiev, nous est présenté d’une manière qui laisse peu de place à un quelconque attachement. Personnage rustre, rancunier, violent, avec une sensibilité atrophiée, il m’a tout de suite déplu. Je ne dirai pas que je l’ai détesté, car Yakov est tout de même une personne réfléchie, aux pensées intelligentes compensant une personnalité bancale.

La première partie du livre est consacrée à son « exil », sa recherche d’emploi, ses diverses rencontres. Il faut être bien attentif au moindre évènement car la suite de l’histoire leur confèrera une importance particulière. La seconde partie débute avec l’arrestation de Yakov, soupçonné d’avoir massacré un enfant de douze ans de manière sordide. Là, commence l’enfer de Yakov, qui ne cessera pas jusqu’à la dernière page. Je ne m’attendais pas à ce que les évènements prennent une tournure aussi tragique et oppressante. Yakov va petit à petit être dépossédé de tout ce qui constitue son identité.

Le traitement qu’il va subir, fait de pression psychologique, humiliations et violence physique, va le conduire à un épuisement de tout son être extrêmement bien décrit par l’auteur. Le rythme crescendo des tortures qui vont lui être infligées permet une meilleure « acceptation » du prisonnier, ou plutôt devrais-je parler d’abnégation.Yakov est juif, il se définit néanmoins comme libre-penseur donc détaché de tous préceptes religieux, et dans une Russie du début du 20ème siècle dominée par l’antisémitisme il ne peut qu’être coupable.

La force de L’homme de Kiev c’est la puissance du mécanisme contre lequel Yakov tente en vain de lutter. Quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, tout est retourné contre lui ; les évènements passés sont réinterprétés pour s’adapter à la culpabilité de Yakov qui est fabriquée de toutes pièces. Les interrogatoires ne sont qu’une suite de questions dont les réponses attendues doivent être des aveux allant dans le sens de ce qu’ont décidé les systèmes judiciaire, politique et policier russes. Pour peu que Yakov, avec son goût pour la provocation et son désir absolu de vivre en homme libre, fasse de l’esprit, il est puni de manière disproportionnée, par une privation de chauffage, de lit, de lumière ou que sais-je encore. Ses conditions de détention sont abominables, ses geôliers sont bêtes et méchants en usant et abusant de leur position hiérarchique. On notera malgré tout un soupçon d’humanité chez l’un d’entre eux, qui se manifestera de manière tragique à la fin du récit. Mais je crois que le personnage le plus malsain et détestable du récit est la mère de l’enfant assassiné, qui luttera corps et âme pour prouver la culpabilité de Yakov, avec une folie et un aveuglément rendant ses propos d’autant plus abjectes.

Ce qui m’a frappée durant ma lecture est l’immense solitude de Yakov. Il ne peut compter sur personne, car là où il se trouve, il n’est qu’un juif tueur d’enfant. Le seul individu ne doutant pas de sa bonne foi va vite se retrouver écarté de l’affaire. Cette solitude étouffante n’ôte néanmoins pas à Yakov une survie intellectuelle qui ne le fera jamais douter de son innocence et de l’absurdité de la situation dans laquelle il semble n’y avoir aucune issue. Son espoir est inépuisable et en cela difficilement concevable. L’épreuve subie par Yakov vient mettre en relief les traits de sa personnalité que je n’appréciais pas au début du roman. En effet, ce qui le fait tenir c’est justement son manque de sensibilité et son excès de fierté. Sa force mentale est extraordinaire, et le lecteur guette le moment où il atteindra la limite du supportable. Mais le trop-plein est évacué dans des cauchemars surtout, des crises clastiques parfois, dont les punitions des gardiens et du directeur de la prison sont disproportionnées. Le Yakov du début du roman et celui de la fin n’ont en fin de compte que peu de différences. Leurs réflexions sont les mêmes, leurs espoirs aussi ainsi que leur combat pour garder la tête haute.

L’homme de Kiev a pris une autre dimension au cours de ma lecture lorsque j’ai découvert qu’il avait été directement inspiré par une histoire vraie. Je ne sais dans quelle mesure pourtant, mais il serait intéressant que je me penche sur la question.

L’homme de Kiev est une histoire de survie nous décrivant une situation dont l’absurdité n’a d’égale que la violence du traitement subi par le personnage. En cela, ce récit comporte bien des aspects kafkaïens. En plus d’en apprendre sur le régime politique de la Russie de l’époque marqué par la corruption et la manipulation, sur les origines de la haine juive, dont j’ai été stupéfaite de constater les inepties, et un peu sur Spinoza, philosophe apprécié par notre héros, les lecteurs éprouveront  un besoin de libertés fondamentales face à l’impuissance insufflée par le calvaire de Yakov. Vous pouvez aussi visionner le film qui est plutôt fidèle au récit.

Et vous, avez-vous lu ou peut-être vu L’homme de Kiev ? Connaissez-vous d’autres livres abordant le même thème?

 

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