Après avoir découvert l’auteur avec le roman Six fourmis blanches, thriller montagnard glacial et plutôt bien mené, revoici Sandrine Collette et son dernier livre Les larmes noires sur la terre. Je n’ai rien voulu savoir sur cette histoire. Aussi, j’ai laissé la place à l’auteur, lui offrant tout le loisir de me surprendre. Le moins que l’on puisse dire c’est que je l’ai été, surprise…

Résumé de l’éditeur

Il a suffi d’une fois. Une seule mauvaise décision, partir, suivre un homme à Paris. Moe n’avait que vingt ans. Six ans après, hagarde, épuisée, avec pour unique trésor un nourrisson qui l’accroche à la vie, elle est amenée de force dans un centre d’accueil pour déshérités, surnommé «la Casse». 

Mon avis

Difficile de trouver le courage et la force d’écrire sur cette histoire quand tourner les pages de ce récit signifiait s’enfoncer toujours plus dans le malheur, la malchance et l’injustice. C’est qu’il m’en a fallu des efforts pour arriver au bout de ce texte. Non pas qu’il m’ait déplu, au contraire même car je l’ai englouti assez vite, mais le bout du tunnel obstrué et le manque de lumière ont rongé mon état d’esprit. Déprimée, ce roman m’a déprimée.

Si j’avais su que les premières pages étaient annonciatrices d’une véritable descente aux enfers, je ne les aurais peut-être pas lues avec autant d’ardeur, j’aurais contenu ma révolte. Moe, d’origine polynésienne, suit un homme en métropole. La routine s’installe, la routine et une forme d’esclavagisme moderne. Elle est la bonne à tout faire. Quelques heures de loisir chipées à droite à gauche lui offrent un enfant, non désiré bien sûr. C’est le début de la fin. Rodolphe n’en veut pas. Moe prend ses cliques et ses claques et dit au revoir à cette existence austère en espérant un meilleur pour elle et son fils, qu’elle se doit d’aimer. Après un épisode glauque auprès d’une vague connaissance et un emploi de femme de ménage au sein d’une entreprise dirigée par un type détestable, la voici l’heureuse gagnante à la loterie du désespoir. Bienvenue à la Casse, un campement de carcasses de voitures dans lequel les laissés-pour-compte de la société construisent un ersatz de vie. Ils sont condamnés à y rester, besognant dans les champs pour gagner à peine de quoi payer leur contribution et se nourrir. Pour sortir de là il faut débourser la modique somme de 15 000 euros, montant presque impossible à atteindre en travaillant toute sa vie. Moe y croit. Moe se tue à la tâche. Moe sombre. Mais Moe, dans sa malchance, a pourtant eu l’aubaine de tomber dans un « quartier » plutôt sympa, entourée de femmes qui veillent les unes sur les autres. La doyenne, devenue la chef du groupe, est respectée de tous en prodiguant des soins connus d’elle seule, et surtout en ayant établi sa renommée comme faiseuse d’anges. Par ici, il y a du travail.

Les larmes noires sur la terre peut être qualifié de dystopie. Nous sommes aux alentours des années 2025, selon certaines références (notamment les attentats de novembre 2015). Le monde est ce qu’il est, la corruption, la haine et l’injustice n’ont jamais autant dominé les relations humaines, si l’on peut qualifier d’humaines les interactions pauvres et toujours soumises à la loi du plus fort qui parsèment ce récit on ne peut plus pessimiste. L’avenir proche dessiné par l’auteur est passablement notre présent en un peu plus noirci. Les pauvres, les marginaux, les anciens détenus, les délinquants sont regroupés dans des campements dirigés par des gardes sans cœur, craints de tous. La crasse, la misère, le labeur, le bruit incessant, la violence, le vol, les meurtres : voici les piliers de cette micro-société, dont on découvrira qu’elle est comme toute société, divisée en strates.

Moe et son nourrisson logent dans une 306, occupée précédemment par une jeune fille à qui il est arrivé malheur. Comme toutes les jeunes filles de l’équipe. Vous voulez des destins sordides, des histoires familiales larmoyantes, des enfances malmenées, des espoirs écrasés, de la malchance à coup de pelle ? C’est à qui aura le récit le plus insupportable. Les cinq comparses de Moa raconteront à tour de rôle ce qui les a amenées à fouler le sol de cette décharge. Un quart du texte est consacré à la narration des horreurs passées, tandis que les trois autres quarts celle des horreurs présentes. Était-il besoin de revenir en arrière ? J’en doute.

Alors que l’on pensait Moe avoir touché le fond, on se rend compte qu’il est possible de creuser encore. Les instants de paix, de rire, quand les filles se retrouvent à grignoter autour du feu un Ferrero Rocher volé par l’une d’elles sont trop rares, et pourtant le lecteur est bien obligé de s’y raccrocher, sinon à quoi bon poursuivre cette histoire qui pue depuis le début. Il faut bien croire pour Moe, espérer en une meilleure sortie de route. Si ce n’est pas pour elle c’est pour son enfant. Mettez-moi un bébé en détresse et me voici prise au piège de sentiments incontrôlables. Je ne quitterai pas le roman tant que je ne le saurai pas en sécurité. On est bien bête quand la vie d’un petit est en jeu…. Je me suis laissé avoir par ce petit bout d’être ballotté dans un monde jamais prêt à accueillir de nouveaux hommes.

Mais j’ai été soufflée par ce récit. Soufflée par le tragique dans lequel on ne peut que déceler une familière réalité. Ce texte résonne beaucoup trop facilement en nous. Le décaler de quelques années n’empêche pas ce pressentiment, cette impression d’ordinaire. Qu’est la Casse sinon le reflet condensé de notre société actuelle ? Qu’a-t-elle de si choquant ? Allez à Calais, j’augure que dans les camps de réfugiés on y retrouve sensiblement la même organisation. De quelle injustice s’agit-il que l’on fait pourtant mine de découvrir ? Il était écrit que Moe s’y retrouverait dès l’instant qu’elle a décidé de suivre son bel homme blanc. Un mauvais choix initial, suivi de nombreux autres. À vingt-six ans, sans attaches et avec un marmot sous le bras, on accepte beaucoup de choses. Moe possède une tolérance exceptionnelle au malheur qu’explique sa piètre condition.

Vous le savez, je déborde de pessimisme. Je n’aurais pourtant pas fait mieux pour dépeindre un monde et une histoire aussi pouilleux. Que valent les deux dernières pages faussement positives quand on a été gavés pendant trois cents pages ? Il ne faut pas apposer trop de promesses dans une bouffée d’air pur. Je suis restée dans la fange, ayant du mal à faire avec ce final joyeux qui fait grimacer. Un point qui sourit après en avoir terminé avec l’horreur, comme si l’auteur elle-même n’en pouvait plus de décrire des insanités. Il était temps que cela se finisse, mais qui le croira ?

Les larmes noires sur la terre est un roman dont je me souviendrai longtemps. Il fallait oser dérouler la maternité et la jeunesse au milieu du désastre humain. Il fallait oser la surenchère dans l’infortune. Non, non, je vais encore vous en servir jusqu’à plus soif ! semble dire Sandrine Collette. Avec quel regard contemple-t-elle cette France qui se délite pour cracher ses plus obscures faces sur des pages et des pages ?

C’est une histoire de femmes, sur la capacité à toujours croire en un meilleur possible – capacité poussée à ses extrêmes –, sur l’amitié fleurissant des sols les moins fertiles. Tout à coup, il me vient un évident rapprochement avec Mille femmes blanches. Ces deux auteurs contraignent le lecteur à espérer. Ce sont surtout des récits sur la force mentale. Pardonnez-leur, ici ce sont les femmes, d’abord les victimes, les plus intelligentes quand il s’agit de faire corps ensemble. Je ne suis pas féministe mais je dois reconnaître une certaine vérité à ce propos. L’homme sépare, la femme unit. Je ne dirai pas merci à Sandrine Collette pour ces heures de lecture peu agréables. J’ai aimé car, sans tabou, elle expose une image dont je tente parfois d’adoucir le trait. Pour le reste… Je ne suis pas certaine que ceci plaira à beaucoup.

Et vous, êtes-vous plutôt du côté des optimistes ou des pessimistes ?

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