Je vous présente aujourd’hui un grand classique de la littérature anglaise, dont tout le monde connaît le titre, mais peut-être un peu moins l’histoire. En ouvrant ce livre je n’avais aucune idée de ce que j’allais y découvrir. Du 19e siècle, j’ai bien évidemment lu Jane Austen avec Orgueil et Préjugés et Persuasion. A l’inverse de beaucoup de lecteurs, ou plutôt lectrices, je ne suis pas tombée en admiration devant ces deux romans, que j’ai trouvés légèrement mièvres. J’avais donc laissé de côté cette littérature, n’étant pas transportée par les histoires sentimentales de ses héroïnes, sans toutefois faire une croix dessus puisque le 19e siècle français est mon époque littéraire préférée. Alors il m’était difficile de ne pas pousser plus loin mon exploration. Et c’est ainsi que, quelques années plus tard, me voici en possession de ce classique.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Les Hauts de Hurle-Vent sont des terres balayées par les vents du nord. Une famille y vivait, heureuse, quand un jeune bohémien attira le malheur. Mr Earnshaw avait adopté et aimé Heathcliff. Mais ses enfants l’ont méprisé. Cachant son amour pour Catherine, la fille de son bienfaiteur, Heathcliff prépare une vengeance diabolique. Il s’approprie la fortune de la famille et réduit les héritiers en esclavage. La malédiction pèsera sur toute la descendance jusqu’au jour où la fille de Catherine aimera à son tour un être misérable et frustre.

Mon avis

Si ma mémoire ne me fait pas défaut, il me semble que je suis rentrée dans cette histoire beaucoup plus facilement et rapidement qu’en ce qui concerne les romans de Jane Austen. En effet, dès les premières pages j’ai été saisie d’étonnement par plusieurs éléments d’une modernité dont je ne qualifierais certainement pas mes deux précédentes lectures.

Tout d’abord, et ceci me paraît particulièrement étonnant pour ce genre de roman, j’ai perçu un humour à la fois espiègle et subtil qui apporte au récit une tonalité l’éloignant d’ores et déjà du roman sentimental auquel je m’attendais, ou tout du moins ne le réduisant pas à ce seul genre. Néanmoins, cet humour s’est fait plus discret à mesure que l’on avançait dans l’histoire. En réalité, il concerne principalement Mr Lockwood, le personnage à qui l’on confie la tragédie familiale qui constitue le cœur du roman, et que l’on suit en parallèle.

Ceci m’amène à un autre élément tout à fait inédit pour moi et ce que j’ai lu du 19e siècle, il s’agit de la construction du récit. En effet, l’histoire nous est livrée à travers les souvenirs d’une bonne, Nelly, qui se confie à Mr Lockwood, particulièrement curieux du passé de la famille Linton/Earnshaw, et notamment de Heathcliff, son propriétaire. Ainsi, c’est à travers une longue confession que nous découvrons une sombre histoire familiale, s’étalant sur des décennies. J’ai été un peu attristée de perdre si rapidement Lockwood au profit d’une plongée dans un passé qui ne le concernait d’aucune manière. Je pensais que ceci n’était qu’un bref aparté, mais il se trouve que toute l’histoire, ou une grande partie, est la retranscription de souvenirs. Cette construction apporte au roman une originalité permettant à la fois de rendre mémorable ce qui nous est livré, car toute confidence est marquée du sceau du secret la rendant particulièrement précieuse, et de mettre en relief l’histoire grâce à une superposition de plans à travers une narration composite. Le lecteur a ainsi l’impression d’être, tout comme Lockwood, dans une position privilégiée, non dénuée d’un voyeurisme pas désagréable. Emily Brontë a su captiver son lectorat dès les premières pages par ce procédé intelligent, et parsème son texte de courtes pauses imposées par la conversation entre Nelly et Lockwood, qui sont porteuses d’un suspense d’habitude ressenti dans une littérature plus actuelle. Puis, vient le moment où le récit narré rejoint le présent de la confidence, ce qui offre la possibilité à Lockwood d’être plus actif dans l’histoire ; mais l’auteure n’en fait rien et cantonne ce dernier à une unique position d’observateur. Il repart avec des secrets qui ne lui seront d’aucune utilité, chargé du rôle de dépositaire d’une confession . A travers lui, Emily Brontë personnifie le lecteur type, en tant que simple spectateur incapable d’agir, avec toute la frustration que comporte une telle posture, mais aussi la distance hautaine induite par le savoir. Lockwood ouvre et clôt le récit, et se permet même un arrêt auprès des tombes des personnages clef. Là où l’on pourrait déceler une pointe de provocation, ce n’est que pudeur et respect pour des vies passées, des existences douloureuses, des êtres qui ont trop souffert d’aimer ou de l’être.

J’en viens au cœur du roman, à savoir l’histoire de la famille Linton/Earnshaw. Je dois dire qu’elle aurait de quoi nourrir un roman feuilleton, pour ne pas dire une saga familiale. Nous suivons deux générations, la première constituée de la fratrie Earnshaw et d’Heathcliff, recueilli par le père, détesté du fils Hindley  et amoureux fou de la fille Catherine, et la seconde, représentée par la descendance de ces trois personnages. L’histoire tourne en réalité autour de Heathcliff, de sa triste destinée et de sa personnalité complexe construite entre l’amour d’un père adoptif, la haine d’un frère et un amour interdit. Ce jeune garçon, auquel le lecteur s’attachera forcément dans les premières pages, va évoluer tristement sous nos yeux : il sera confronté au mépris, au rejet et à la désillusion. Pour autant, la pitié ressentie sera bien vite remplacée par des sentiments d’un autre ordre lorsque l’on se rendra compte de la vengeance qu’Heathcliff prépare en secret, et qui trouvera son aboutissement dans l’anéantissement de cette famille dans laquelle il a échoué mais où il n’a jamais pu trouver sa place. Le moteur de ses actes reste l’amour viscéral qu’il porte à Catherine, elle qui l’a très tôt éconduit ; un amour sincère, celui d’un enfant, puis d’un adolescent et enfin d’un adulte. Cette passion ne connaîtra aucune évolution joyeuse, de même que la haine et la colère qui ont pris racine trop profondément pour n’être que passagères.

Emily Brontë nous dresse des portraits poignants, notamment à travers le trio fraternel, animé par des sentiments abjects, entre orgueil et jalousie. Puis, il y a la génération suivante, le fruit d’amours plus ou moins sincères, de mariages pas toujours heureux ; Heathcliff ayant été obligé de se détourner de Catherine. Les trois enfants présentent un contraste fort avec leurs parents, plus authentiques, aimants et surtout plus humains. Ils portent néanmoins en eux les souffrances de ceux-ci, les fantômes du passé qui resurgissent toujours, et tentent de réparer à leur manière les torts anciens. Heathcliff, lui, ne cessera jamais de cultiver sa colère, nourrie par un amour indestructible. Ainsi, Emily Brontë met en scène des relations conflictuelles dans un environnement familial perturbé. Elle explore le thème de la transmission intergénérationnelle, de ce que nous portons tous en nous et qui ne s’efface que rarement avec la mort. Elle utilise un personnage comme fil conducteur, et ce qu’un être en souffrance fait de ses blessures d’enfant, la manière dont il les panse et les conséquences sur la descendance. Les Hauts de Hurle-Vent est plus qu’une histoire de vengeance, ce roman est la construction d’un homme, de son enfance à l’âge adulte. Le lecteur possède toutes les cartes pour juger les actes d’Heathcliff au regard de ce qu’il sait sur son histoire personnelle. Certains diront que nous avons sous les yeux la naissance d’un monstre. Pour ma part je n’ai vu en lui qu’une victime car, même dans le mécanisme pervers qu’il instaure afin de se venger, il reste pitoyable et certainement le plus malheureux de tous. Il est devenu son propre bourreau en n’ayant su sublimer ses blessures.

Les Hauts de Hurle-Vent est empreint de violence, dans des scènes sanglantes, de maltraitance humaine ou animale ; dans l’atmosphère générale, lourde et oppressante où les beaux sentiments sont absents au profit d’une exploration de l’âme humaine véritable, c’est-à-dire orgueilleuse, égoïste, ambitieuse et parfois perverse ; dans les paysages, sombres, brumeux et rocailleux. Ce roman est bien loin de l’idée que j’en avais, j’ai été émue par les destins présentés, l’écriture m’a subjuguée, simple mais délicate, et la description des personnages, par une jeune femme ignorante des relations amoureuses, ayant vécu une existence plutôt austère, est impressionnante de finesse, de clairvoyance et de réalisme, mais reste effrayante par la vision on ne peut plus sombre de l’être humain qu’elle nous présente. Ce roman étant le seul écrit par Emily Brontë, c’est vers sa sœur, Charlotte, que je vais me tourner prochainement avec le non moins célèbre Jane Eyre.

Et vous, me conseillez-vous un roman anglais de cette époque en particulier ?

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