Voici un livre conseillé par Goran du blog deslivresetdesfilms. C’est avec une référence à Kundera qu’il m’a convaincue, celui-ci aurait été influencé par Gombrowicz ; un auteur polonais dont j’ignorais bien sûr l’existence, comme 99,9 % des écrivains venus de l’Est. Avec ce titre je me lançais dans l’inconnu le plus total.

Résumé 

Marian Walczak, professeur de tennis, doit se rendre chez la célèbre et sublime Maya Okholowska, joueuse prometteuse pour le pays. Cette rencontre marquante va révéler deux êtres semblables. Bientôt le trouble s’empare d’eux ; attirés comme des aimants la confrontation est violente. Maya est fiancée, contre son cœur et l’avis de sa mère, au secrétaire d’un mystérieux prince, dont le château semble être le lieu d’étranges manifestations…

Mon avis 

Kundera, je ne sais pas. Par contre, Antal Szerb et sa fantastique Légende des Pendragon, oui. Beaucoup d’éléments m’y ont fait penser.

Le récit démarre par la rencontre entre le jeune Walczak et Maya, tous deux sont liés par le tennis, le premier devenant l’entraîneur de la seconde. En chemin vers sa demeure il la croise dans un wagon, affalée dans une posture bizarre, et soudain il est frappé par une vérité : elle dort comme lui. Tous les personnages principaux de l’histoire seront présents dans ce train, en route vers leurs turbulentes aventures. L’auteur nous les présente comme des passagers croisés furtivement, chacun dans sa cabine, à sa place, le prince Holchanski, Kholawitski le fiancé de Maya, le professeur Skolinski (ça fait beaucoup de k) et d’autres. Ils échangent quelques paroles, puis se retrouvent plus tard au domaine de Mme Okholowska.

Dès les premières pages j’ai deviné que cette histoire m’emmènerait dans de folles aventures. Plusieurs petites intrigues se mettent bien vite en place. Nous découvrons le héros, Walczak, un brin curieux, ignorant réellement pour quelles raisons il se retrouve dans une telle situation, débonnaire et nonchalant, il suscite la curiosité. Sans nul doute, nous avons là un personnage fort intéressant, possédant une personnalité idéale pour ce genre de roman. Il est une éponge au travers de laquelle circulent les paroles de tous, il absorbe, observe, écoute, non sans agir et oser. Les premières pages orientent le récit vers une intrigue romantique entre le jeune homme et Maya. Ils présentent de suspectes ressemblances, non dans les traits du visage, mais dans l’attitude, une sorte d’aura qui met mal à l’aise leur entourage. Maya a le même caractère que Marian, en plus affirmé, lui est intrépide, elle est audacieuse. Leur union fait décidément peur, de quel diabolique mouvement est-elle le mécanisme ?  D’autant que la jeune joueuse de tennis est promise à un autre, par calcul plus que par amour.

En parallèle, un imbroglio se met en place au château où réside le prince, fantôme des lieux, moribond, il est en plus sénile. Kholawitski, son secrétaire, espère en une fin proche pour toucher l’héritage, constitué d’œuvres d’art dont la valeur est inestimable. Justement, le professeur logeant au domaine se propose d’en établir un prix. C’était sans compter sur la présence d’une entité dans les couloirs du château, matérialisée par un torchon qui s’agite constamment et que personne n’ose approcher. Le professeur va prendre peur, et décider de percer ce mystère. Que se passe-t-il entre ces murs ? Quel est le passé du prince, descendant d’une lignée d’ancêtres maudits ?

L’intrigue est peu banale, assez complexe elle se suit pourtant très aisément. Il suffit de distinguer ce qui concerne le château et ses mystères, et ce qui a trait à Maya et Marian, dont la relation prend une tournure bien sombre. Leur entre-deux est marqué par une vive animosité, une tentation au mal ; lorsqu’ils se côtoient, une intense attirance livre bataille à une sourde haine. Comme si l’autre représentait ce que chacun n’ose accepter chez lui, peut-être un penchant pour le meurtre ? Ils se soupçonnent réciproquement d’être responsables de leur propre perdition. Mais dès lors qu’ils se sont reconnus, qu’ils ont fait leur cette ressemblance d’origine inconnue, ils ne cesseront de jouer au jeu du chat et de la souris. Quand l’un fuit, l’autre le suit.

Leur errance amoureuse est une variation autour du thème du coup du foudre. Celui qui est douloureux, qui nous fait douter, qui provoque la stupeur, le déchirement, qui nous arrache à nous-même, se besoin de sentir l’autre à la fois proche de soi mais à une distance nous permettant de le jauger, car une trop grande proximité engendre la confusion. Et c’est bien cette angoisse de fusion que l’auteur,  à travers les témoins de cette parade, tous sidérés, retranscrit. Se découvrir en l’autre peut faire mal. Ici l’amour foudroyant est abordé sous son angle le plus sombre, invoquant le crime, la violence, le mensonge. L’auteur fait montre d’une grande clairvoyance, quelque peu sinistre, dans cette histoire. Maya et Marian sont la figure d’un couple presque mythologique, tant ils paraissent irréels, ils créent leur propre légende. Ils découvrent en même temps que nous la puissance de leur attirance, et son implacable suprématie. Ils vont lutter, mais la lutte ne sera que souffrance.

Et puis, à côté de cette tragédie, peut-être trop belliqueuse pour être le seul thème du livre, l’auteur en appelle au fantastique, dans une enquête insolite autour d’un château hanté et d’une présence spectrale. Changeant de registre, il dessine une pièce de théâtre farfelue où l’on crie « au secours » en détalant à toutes jambes après avoir vu une serviette bouger toute seule. Les personnages s’agitent en tous sens, tantôt courageux, tantôt couards ; on se croirait dans une cour de récréation. Quant au vieux prince enfermé dans sa chambre, figurant quelque princesse prisonnière d’un donjon, il est mémorable. Il représente une gentille folie, où le délire est touchant, fait de répétitions, d’amnésie, de logorrhées et de fantaisie. Le prince est plus névrosé que psychotique. Mais derrière cette comédie de façade se cache un lourd secret : une histoire de fils illégitime poignante.

L’auteur rassemble des thèmes émotionnellement lourds tels que la paternité, avec le prince, la maternité, avec la mère de Maya discrète et incapable de parler à sa fille, l’amour aliénant, la cupidité, dont le secrétaire est le parfait symbole, et la folie meurtrière, tout en étant furieusement déjanté et humoristique. La réussite de cette histoire tient aussi en ce qu’aucun personnage ne prend le pas sur les autres. Même le médium Hincz, apparu tardivement dans l’histoire, fusionne dans le décor comme si on attendait que lui.

Et si tout ceci n’était que coïncidences et malentendus ?

L’auteur construit une gigantesque intrigue où plusieurs manigances dissemblables dans le genre et le rythme se croisent. Jusqu’au dénouement où tout s’imbrique parfaitement, se tisse pour ne former qu’un bloc d’une solidité incontestable. Chaque énigme trouve son explication, on se croirait à la fin d’une enquête d’Agatha Christie lorsque le détective décortique point par point, et en toute logique, une affaire saugrenue.

Ce roman est d’une richesse absolue. Il aurait pu être mélancolique et d’une noirceur opaque, mais je le trouve pourtant coloré et désopilant. Il porte magnifiquement bien son titre, chacun étant, à sa manière, envoûté ; il y a une pointe de sorcellerie dans cette histoire.

Les Envoûtés m’a très clairement rappelé La Légende des Pendragon tant dans l’ambiance, les personnages que dans l’humour burlesque omniprésent, le château, les fantômes, l’enchevêtrement d’événements… Les écrivains ont tous deux vécu à la même époque en Europe de l’Est, peut-être ont-ils eu les mêmes influences. Ce qui est cocasse c’est qu’Antal Szerb a aussi écrit Le voyageur et le clair de lune,  roman qui lui-même m’a fait penser à L’insoutenable étrangeté de l’être. Comme quoi, l’on y vient finalement à Kundera 😉

Et vous, connaissez-vous cet auteur polonais ?

Rendez-vous sur Hellocoton !