J’ai découvert Hervé Le Corre avec son célèbre Après la guerre, roman qui m’a bouleversée. Je me demande bien pour quelles obscures raisons j’ai attendu autant de temps avant de me replonger dans un de ses livres. Et pourtant, je pensais souvent à cet écrivain en me promettant d’y revenir. C’est maintenant chose faite. Le temps passant a certainement adouci les attentes que j’aurais pu avoir. Pour autant, j’espérais secrètement être emballée comme je l’avais été des mois plus tôt.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Pierre Vilar est commandant de police à Bordeaux. Sa vie et
son couple ont volé en éclats depuis que son fils Pablo a été enlevé à la sortie de l’école. Malgré tout, il se raccroche à l’espoir insensé de le revoir vivant, avec l’appui d’un gendarme à la retraite qui se consacre à la recherche d’enfants disparus. A quelques kilomètres de distance, un jeune collégien nommé Victor rentre chez lui après la classe pour découvrir une scène d’horreur : sa mère, Nadia, gît sans vie sur le sol de sa chambre, le visage tuméfié et les dents fracassées. Du foyer à la famille d’accueil, commence pour cet adolescent désormais seul au monde un parcours douloureux, marqué par la disparition de l’être le plus cher. Des pertes irrémédiables, deux tragédies. Le lien entre elles, c’est Pierre Vilar. Il est chargé d’enquêter sur la mort de Nadia, et à mesure que se dessinent certaines pistes, un étrange retournement de situation se produit ; le policier devient gibier : il est harcelé au téléphone et suivi dans la rue par un homme aussi insaisissable que menaçant. Un homme qui semble aussi poursuivre Victor…

Mon avis

Ce roman est assez particulier dans sa construction. En effet, il se compose de deux récits distincts formant une seule histoire, et débutant par le même drame. D’un côté nous suivons Pierre Vilar, un commandant qui tente de résoudre une série de crimes ; de l’autre, Victor, un jeune garçon qui a perdu sa mère, tuée par celui que Pierre recherche. Ces deux intrigues, quoique seulement la première puisse être qualifiée ainsi, sont donc reliées entre elles par l’enquête policière.

Je dois dire que j’ai ressenti des émotions bien différentes à la lecture des chapitres relatant l’une ou l’autre des histoires. Alors que  les mésaventures du jeune Victor dans sa famille d’accueil et sa difficulté à entamer le deuil de sa mère m’ont étrangement passionnée – je dis étrangement, car en y regardant de plus près ce récit manque de péripéties – l’enquête menée par le commandant Vilar ne m’a absolument pas convaincue. Disons que, si j’ai tourné assidûment les pages de celle-ci c’est parce qu’elle allait m’apporter des réponses à des questions suscitées par l’histoire de Victor, et inversement d’ailleurs mais dans une moindre mesure.

Les interrogatoires, les recherches d’indices, les autopsies, m’ont paru surfaits,  comme s’ils n’étaient que les éléments obligatoires de tout roman policier dans un enchaînement logique et non des nécessités inscrites dans une enquête précise. Par chance, et pour titiller l’intérêt du lecteur qui sinon s’ennuierait cruellement, l’auteur contrarie son héros en lui attribuant le rôle de cible du potentiel tueur. Il est utile de préciser que lui-même a subi la disparition de son enfant des années plus tôt, mystère jamais résolu et qui le hante, l’obsède, le tue à petit feu. Ainsi, se mêle à une enquête classique autour de meurtres, des réminiscences de ce drame ancien. Le tout forme un engrenage dans lequel Pierre Vilar perd pied, ne sachant plus ce qu’il doit découvrir, quelle vérité se cache derrière ces crimes ; vérité qui semble prendre la forme d’une seule et même personne, un détraqué qui nous file entre les doigts, qui apparaît et disparaît comme par magie, jamais inquiété d’être rattrapé. Le fait que Pierre soit porteur d’une si lourde blessure – celle de son fils disparu – est un élément, constitutif de sa personnalité, qui donne une épaisseur à l’intrigue, mais qui malheureusement ne la sauve pas.

Une impression ne m’a pas lâchée durant ma lecture, celle de prendre une histoire de cours, presque un roman faisant partie d’une série mettant en scène les mêmes personnages. En effet, de nombreuses références à d’anciennes enquêtes sont présentes, comme si le lecteur en avait forcément connaissance. Ceci est un sentiment étrange car ce livre et ses personnages sont uniques dans l’œuvre de l’auteur. De plus, concernant les descriptions des personnalités, il m’a semblé qu’elles s’inscrivaient dans une tentative de repasser sur des contours préalablement tracés, dans un affinage des traits plus qu’une peinture. Cette impression est en demi-teinte, elle peut apporter une intimité avec les protagonistes de l’histoire, mais aussi les rendre filants, le lecteur étant finalement perdu dans la connaissance qu’il en a.

Pour en revenir à l’histoire de Victor, le parallèle avec l’intrigue principale est mal exécuté. D’une part, on s’y perd dans la chronologie des faits, le récit manque d’indicateurs de temps. Ainsi, alors que je pensais que quelques jours seulement s’étaient écoulés, j’ai appris tardivement qu’en réalité il fallait compter en mois. D’autre part, les atmosphères sont selon moi incompatibles. En effet, auprès de Victor il me semblait être plongée dans une époque lointaine, en pleine campagne, sous une chaleur étouffante, mobilisée par des problématiques comme le deuil, l’adolescence et les premières amours. A l’inverse, en compagnie de Pierre, j’étais au cœur de la ville, de la délinquance, de la prostitution, du crime et du sang. Il m’a été difficile de concilier les deux ambiances, de passer de l’une à l’autre sans que dans mon esprit s’établisse une masse indistincte d’éléments disparates. On pourrait même se demander pourquoi l’auteur insiste autant sur la reconstruction de Victor, puisque ceci est sans rapport aucun avec les choses plus atroces qui se passent au cœur de Bordeaux. Bien sûr l’on peut tracer des lignes entre Victor et Pierre, tous les deux sont aux prises avec la difficulté du deuil, l’un par naïveté enfantine, l’autre par obstination et surtout parce qu’il ne sait pas ce qu’il est advenu de l’être aimé. Le lecteur espérera une rencontre entre les deux, mais elle ne se produira pas. Victor est ainsi le personnage qui m’a peut-être le plus émue tant il se détache du reste, sombre, glauque, sans espoir. Il est selon moi la réelle victime du livre, dans une bulle qu’il s’est créée où seul compte l’amour indéfectible qu’il porte à sa mère. Là où l’on s’attend de sa part à une rébellion, une violence, un débordement, il oppose la tempérance, la mesure et le contrôle de soi. Son portrait diffère de ceux qui nous sont d’ordinaire présentés, s’agissant des enfants placés en famille d’accueil, porteurs d’histoires familiales lourdes.

Pour autant, si je dois émettre un avis positif sur ce livre ce serait en raison de l’écriture de l’auteur qui est splendide.  J’ai été saisie par son sens de la formule, par la poésie qui émane des mots quel que soit le sujet abordé, par la finesse des descriptions, dans le paysage ou les états d’âme. Ici, la plume l’emporte largement sur la qualité de l’histoire, elle la sublime, vient pallier ses faiblesses qui consistent surtout en une fade banalité de l’enquête policière ne m’ayant guère surprise.

En outre, le dénouement nous apporte des réponses à des questions que l’on ne se posait pas tout en nous laissant dans le flou sur des sujets largement abordés dans le récit. Il est l’un des pires qu’il m’ait été donné de lire, absurde, difficilement compréhensible du fait de révélations sorties de leur contexte ; il noie le lecteur sous un flot d’informations arrivant trop tard, dans une scène d’action détonnant fortement avec le reste, excessive, grotesque, risible.

En conclusion, Les cœurs déchiquetés ne peut être comparé avec le roman qui m’a tant comblée, dont j’ai fait l’éloge, Après la guerre. Il m’est difficile de lier ces livres par un même auteur, tant mes critiques s’opposent. Une incompréhension que je vais tâcher de clarifier par la lecture d’un autre roman d’Hervé Le Corre ; je ne peux décidément pas en rester là avec lui.

Et vous, avez-vous lu cet écrivain ?

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