Il est trompeur de présenter Les aventures de Ruben Jablonski comme une nouveauté de la rentrée littéraire puisqu’en réalité il a été écrit en 1997. Allez savoir pourquoi les éditeurs français ont attendu vingt ans avant de le publier… Cette année, mon mari m’a offert deux parutions de la rentrée : la première dont je vous ai parlé et celle-ci. Une curiosité parmi les couvertures toutes lisses qui s’étalent en librairie, mais pas que… Une curiosité en tous points qui a malheureusement atterri devant des yeux qui n’ont pu l’apprécier. Je suis la mauvaise lectrice de ce genre d’ouvrage. 

Résumé de l’éditeur

Arraché à l’insouciance et l’espièglerie de l’enfance par la terreur nazie, le jeune Ruben Jablonski se retrouve à la sortie de la Seconde Guerre mondiale dans une situation désespérée. Libéré d’un ghetto, séparé de sa famille et à la recherche d’un nouveau destin, il s’engage dans un périple épique qui le conduit de la Roumanie aux Etats-Unis, en passant par l’Ukraine, la Turquie, la Palestine et la France…

Mon avis

C’était écrit que je ne pourrais apprécier ce texte tel que l’auteur souhaiterait que l’on juge son histoire. C’était évident qu’il m’apparaîtrait aussi étranger que peut l’être la combinaison d’une plume crue, d’un héros ayant rien en commun avec moi et d’une narration dont la répétitivité, malgré l’itinéraire du personnage principal, m’a plutôt endormie. Je suis allée lire plusieurs avis sur l’oeuvre générale de l’auteur, et je dois bien constater qu’il a su trouver son public. Pour être honnête avec vous, j’ai terminé ce livre il y a deux semaines. Face au manque d’envie de vous en parler et à l’incapacité de trouver quoi en dire, j’ai laissé filer les jours. Mais puisque je me suis engagée à vous fournir un article sur chaque lire englouti, me voici condamnée à aligner les phrases pour tenter de vous expliquer mon scepticisme découlant d’une lecture non pas laborieuse mais absolument léthargique.

Nous suivons le jeune Ruben Jablonski, adolescent juif libéré d’un ghetto dans lequel il a passé, lui et sa famille, les six années de guerre. À l’heure de l’armistice le voici décidé à se rendre en Palestine, juste avant la création de l’état d’Israël, retrouver la terre promise aux Juifs. Le synopsis avait de quoi séduire, d’autant plus que je n’avais jusque-là jamais lu de roman abordant cette problématique ; dans la littérature la guerre s’arrêtant bien souvent le 8 mai 1945. Parfait, me suis-je dit, cette histoire m’aidera sûrement à comprendre. Et là-dessus je peux être tolérante en affirmant que oui, peut-être, j’ai intégré quelques informations relatives au futur conflit israëlo-arabe. Mais le fond du sujet ne réside certainement pas ici, car si je dois résumer ce livre, me vient en tête l’idée d’un gamin insolent en quête de jobs fugaces et de sexe facile. De ce fait, je ne crois pas que l’auteur ait souhaité nous éclairer sur les grandes interrogations politiques du 20e siècle.

Ruben traverse les villes, les campagnes, les pays et les mers. À chaque étape la même poursuite : trouver de quoi se nourrir et se loger, soit un travail, et de quoi assouvir ses pulsions de garçon de 18 ans. Le texte, écrit à la première personne, nous offre de savoureuses réflexions primaires sur les femmes que croise Ruben. Instant de poésie, bonjour : « Je toucherais ses seins nus, glisserais la main sous sa jupe. Elle pleurerait quand je la baiserais. Elle était peut-être encore vierge. » Toutes les cinq pages environ, nous avons droit à ce type de commentaires douteux, toujours très brusques quand il s’agit d’évoquer le corps de la femme, son état d’objet, son incapacité à ressentir désir et plaisir, et sa gratuité. Je passe sur les multiples attouchements sexuels dont se rend coupable cet odieux garnement, sans réflexion, sans remords, sans une once de discernement. Lorsque Ruben frôle une femme il ne peut s’empêcher de nous livrer le fond de sa médiocre pensée. Malgré l’application de l’auteur a vouloir que j’apprivoise le garçon, Ruben reste un idiot sans cœur.

En 2017 moi, femme de 27 ans, je reconnais avoir du mal avec ce genre de texte. Qu’il raconte une époque, des mœurs, des mentalités ou une personnalité bien précise, je ne peux m’empêcher de douter de ces écrivains dont l’acharnement à alimenter leur histoire de crachats verbaux me fait horreur. Et pourtant je me crois tolérante au sujet des relations homme-femme. Amusez-vous donc Edgar, la littérature est faite pour. Vos lecteurs seront très certainement des hommes. Avec des titres comme Fuck America ou Un orgasme à Moscou, ils ne s’en étonneront pas. Pour ma part, votre univers est à mille lieues du mien, je vous laisserai donc ici, sur ce gros point d’interrogation. Vous avez de la bouteille apparemment, c’est tant mieux.

Le périple de Ruben aurait pu s’apparenter à un chemin introspectif sur fond d’exil, mais aucune démarche intellectuelle n’en est à l’origine. Ruben part car il le faut, car il est dit que. Aussi, quand il répond aux questions des gens qu’il rencontre, il lance les mêmes phrases, exposant les mêmes motifs, répétant ce qu’il a entendu. Ruben est le pire héros qui puisse exister pour les lecteurs. Ruben est imbécile, assez ignare, pas curieux pour un sou, totalement possédé par des pulsions incontrôlables, sans aucune adresse mentale. Sa famille, mère, père et frère, se dissout dans l’horizon, l’adolescent l’a oubliée, trop occupé à vivre au jour le jour ses piètres aventures. Le récit n’a rien d’émotionnel, de sentimental, il ne raconte rien moins qu’une évolution, un projet de vie, n’ouvre sur aucun avenir. Ajoutez à cela l’ambition de Ruben née de nulle part de devenir écrivain, le criant à qui veut l’entendre, alors qu’il est incapable de mettre en mots son propre vécu. Cette prétention artistique reflète son avancée, elle est vaine et sans ancrages.

Ruben Jablonski m’a fait l’effet d’une coquille vide traversant les années d’après-guerre, survivant dans des conditions atroces, portée par la marche des Hommes. Un robot déshumanisé, par qui ? par quoi ? On pourrait croire par le ghetto mais j’en doute. Ruben a toujours été Ruben. Alors, bien sûr, on peut y voir un effet de style, une manière toute personnelle de raconter cette page de l’Histoire. Mais l’immobilité intellectuelle du « héros » et donc, par transvasement, du récit produit un effet hublot, nous n’avons ni le son, ni l’impression de mouvement. Reste l’image, mais une image lointaine, peu nette. Edgar ne rend pas justice aux historiens. Edgar, à travers Ruben, pourrait être accusé de choisir une voie facile pour discuter de grandes questions.

J’ai lu par-ci par là que l’essence du texte – incomprise de moi – résidait dans l’éclosion de nouvelles raisons de vivre que sont l’écriture et le sexe quand toutes les autres ont été enterrées par la guerre. Quand il ne reste plus rien d’humanité, de foi en l’homme et d’avenir, on creuse dans les mots et la chair offerte. Thème intéressant, je dis oui à l’idée, elle me plaît, m’inspire un roman fort. Mais elle ne m’est malheureusement pas venue en parcourant le texte. Avec le recul et le message soufflé à l’oreille je peux faire effort pour l’apercevoir, mais le nez dans les lignes je n’ai rien décelé de cet ordre, aucune prise de hauteur tendant à faire passer le récit pour autre chose qu’une divagation terrestre.

Je n’y comprends guère à ces écrivains qui se cachent derrière des personnages, je ne sais plus ce que je dois juger, l’histoire en elle-même ou la vie de l’auteur. Je ne vais pourtant pas m’empêcher de trouver ce roman médiocre sous prétexte qu’il est inspiré de faits réels (ici la propre expérience de l’auteur). On me parle de roman, je juge un roman. Entre Edgar et Ruben, je choisis Ruben.

Et vous, connaissez-vous l’oeuvre de cet écrivain ?

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