J’ai découvert Donato Carrisi avec son roman noir Le Chuchoteur, très bien mené et assez innovant dans le genre, ce dernier devant sans cesse se renouveler. Je m’étais promis de revenir vers lui en cas d’envie subite d’histoire sordide et de thriller haletant. C’est chose faite avec L’Écorchée.

Résumé de l’éditeur

Sept ans après s’être mesurée au Chuchoteur, Mila Vasquez travaille aux Limbes, le département des personnes disparues. Incapable d’éprouver la moindre émotion et portant dans sa chair la marque des ténèbres, Mila excelle dans la recherche de ceux qui, un jour, se sont évanouis dans la nature. Elle seule ne peut oublier ces « victimes potentielles d’homicides ». Soudain, l’un d’eux réapparaît… et tue. Un à un, ceux dont les portraits ornent les murs des Limbes, reviennent, transformés en assassins.

Mon avis

On prend les mêmes et l’on recommence, oui c’est un peu cet adage qui serait en mesure de résumer l’histoire que nous avons-là. On pourrait se passer d’en faire le reproche à l’auteur puisqu’il s’agit d’une suite au roman Le Chuchoteur, mais tout de même. Nous retrouvons Mila Vasquez, policière travaillant au département des disparus. Elle en a fait sa spécialité, il n’y a pas meilleur qu’elle pour mettre la main sur les personnes dont la société entière a perdu la trace. Nous apprenons dans le premier volume son histoire personnelle qui a fait naître ce don. Mila va un peu mieux que précédemment. Elle s’est stabilisée dans l’écorchement de son corps, les cicatrices sont là mais il n’y en a plus de fraîche. Mila n’a a contrario guère développé son empathie. Car sans être misanthrope, la jeune femme est incapable d’éprouver la moindre émotion pour autrui. Caractéristique que nous rabâche sans arrêt l’auteur et dont je n’ai toujours pas bien saisi les limites. Côté évolution nette, surprise révélée à la fin du premier tome, Mila a une fille de six ans qu’elle a gentiment déposée auprès de sa mère, chargée de prendre soin d’elle jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de s’en occuper. Mila, je ne la porte pas dans mon cœur, je suis très gênée que l’auteur ne sache pas quoi faire de sa personnalité et de sa prétendue pathologie. Dans le premier volet déjà son « handicap » était passé à la trappe. Il va falloir que l’on m’explique.

Cette fois-ci, Mila est confrontée à une série de meurtres en apparence sans points communs. Le premier corps comporte un indice qui mène au suivant, etc. La première partie du récit est consacrée à cette enchaînement macabre. Ça fait son effet, c’est efficace ; l’on attend fébrilement le prochain meurtre. Ça pourrait devenir un peu trop répétitif mais l’auteur s’arrête à temps. Les coupables, eux, sont très vite démasqués. Il s’agit de personnes portées disparues depuis plusieurs années. Drôle de manière de revenir à la surface. Jusque-là l’auteur avait tout bon, j’étais harponnée dans l’engrenage, la dynamique de l’intrigue me plaisait, l’idée était prometteuse.

Mila se détourne vite de l’enquête classique admise par ses supérieurs (qui supputent une organisation terroriste) pour mener la sienne. Pour cela elle s’allie avec un paria du milieu policier, Simon Berish. Un homme doué pour les interrogatoires mais fui comme la peste par ses collègues après une sombre histoire dans laquelle il aurait fait preuve de corruption. Notre duo, que j’ai trouvé totalement déséquilibré et auquel je suis soulagée que l’auteur n’ait pas accolé un dénouement amoureux malgré ses trop nombreuses insinuations vaseuses, devine rapidement que les crimes sont décidés à un niveau plus élevé. Les voici qui remuent de vieilles affaires, notamment celle d’un étrange personnage fantomatique soupçonné d’avoir enlevé plusieurs individus insomniaques.

L’enquête se divise donc entre la recherche du prochain assassin (du prochain disparu réapparu donc, vous suivez) et celle de la tête pensante. Je dois reconnaître l’efficacité de l’action parasitée par aucun temps morts, le rythme est fichtrement maîtrisé, les pages se tournent sans effort, l’intrigue se boit comme du petit lait. Néanmoins, en matière d’horreur, de sueur froide et d’épouvante, ce fut le calme plat ; rien de tout ceci n’a perturbé ma lecture. Je crois que cela est dû au fait qu’à aucun moment nos deux intrépides comparses se retrouvent réellement en danger. Ils glanent les informations, Mila se rend sur les scènes de crime puis retranscrit les renseignements à Simon, vient ensuite le travail de recherche, de mise à plat. Le méchant coupable ne la hante pas trop la nuit, elle est plutôt tranquille, si elle ne dort c’est plutôt à cause de sa culpabilité de mère. Et puisque les assassins sont des disparus rangés dans le clan des victimes pendant des années, le degré d’horreur de leurs actes est légèrement amoindri. Les circonstances sont atténuantes.

Mais là où l’histoire perd de son intérêt est le fait qu’elle emprunte beaucoup au roman précédent. Vous l’aurez compris, ici aussi le coupable recherché est celui qui ne se mouille pas, qui ne met pas les mains dans le cambouis mais contrôle à distance son œuvre. Il apparaît que l’auteur aime jouer avec la frontière entre victime et coupable, quand celle-ci est la plus mince, la moins perceptible ; il explore la zone de flou où la manipulation, dont les sectes sont de parfaits représentants, conduit des êtres à commettre des actes qu’ils n’auraient jamais envisagé accomplir en pleine possession de leurs moyens intellectuels. Dans Le Chuchoteur c’était une persuasion fine et particulièrement perverse. Ici c’est via un autre biais où illusion d’une autre vie, promesse d’avenir meilleur et culte de la vengeance sont mobilisés. Mais le résultat a un goût de déjà-vu et ôte toute surprise, le dispositif ayant déjà fait ses preuves. Si vous voulez, entre Le Chuchoteur et L’Écorchée les différences reposent sur les personnages mis en scène et non sur le tricotage scénaristique ; monté en pression similaire, curseurs pointés sur les mêmes éléments, dénouements interchangeables. Ce qu’il y a de fort c’est que la fin de ce roman pourrait être le début du premier. L’idée est intéressante, mais allez démêler les nœuds après ça… Est-il possible d’avoir une fin, une vraie qui ne laisse pas présager une ultime suite ? On n’en a jamais fini, et si Donato Carrisi publie un nouvel opus du même genre j’irai pleurer sur l’autel du roman noir.

Après avoir été enjouée par ma première lecture de cet auteur italien (qui n’a décidément pas envie de situer son action dans son si beau pays), et espérant passer à nouveau un moment horrifique qui m’empêcherait de fermer les yeux la nuit, je fais l’amer constat que cette suite était loin d’être nécessaire. J’avais déjà des doutes sur le personnage de Mila, la retrouver n’était pas une finalité en soi, mais j’étais prête à la supporter une nouvelle fois. L’Écorchée sent quand même l’usure du filon, je crois que l’on a un peu pris le lecteur pour un jambon. Et puis la traduction, j’espère en tout cas que la faute lui en incombe, est lamentable. Bon et puis, pour la défense de l’auteur, connaissez-vous une suite qui surpasse le roman initial ? Si toutefois, malgré mes réprimandes, vous souhaitez découvrir L’Écorchée, sachez qu’il ne peut être l’être qu’en ayant lu Le Chuchoteur. 

Et vous, avez-vous lu cet écrivain ? Dans les thrillers, existe-t-il des suites réussies ?

Rendez-vous sur Hellocoton !