Le Violoniste de Mechtild Borrmann fait partie de ma petite sélection Poche d’il y a plusieurs semaines. Je dois reconnaître que, pour l’une des rares fois, ce sont le titre et la couverture qui m’ont arrêtée. Sobres, épurés, élégants ; cette simplicité m’a semblé de bon augure.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Moscou, 1948. Alors que le célèbre violoniste Ilia Grenko quitte la salle de concert sous un tonnerre d’applaudissements, son Stradivarius à la main, il est arrêté par le KGB, sans comprendre ce qu’on lui reproche. Après des jours de privations, d’humiliations et d’interrogatoires, Ilia signe des aveux absurdes qui le condamnent à vingt ans de goulag. Sa famille est envoyée en exil. Et son violon, d’une valeur inestimable, disparaît à jamais. Deux générations plus tard, Sacha, le petit-fils d’Ilia, se met en quête du Stradivarius et découvre l’histoire de sa famille, broyée par le régime totalitaire et ses hommes de main, indifférents à toute dignité humaine.

Mon avis

Les romans dans lesquels des objets de valeur, d’art ou de famille, ont une place importante sont toujours de jolies découvertes. L’objet, comme pilier de l’histoire, personnage principal, porteur de secrets ou relique du passé. J’attache une importance toute particulière à la place qui leur est faite dans les livres, à la manière dont l’auteur les insère à son texte, les relie à ses personnages, aux diverses histoires, mythes, légendes qu’il construit autour de lui.

Ici, c’est un violon Stradivarius, un instrument absolument remarquable donc, dont l’heureux propriétaire, un musicien russe de talent, se voit séparé avant d’être lui-même déporté dans un camp de travaux forcés. Ce violon sera sa ligne de mire, ce qui le fera tenir ; il n’aura de cesse de contrôler l’état de ses mains, de ses doigts, de peur de ne plus jamais être capable de jouer de nouveau.

Le roman se compose de trois récits se succédant à un rythme haletant. Il y a celui d’Ilia, son terrible interrogatoire insensé et vain, puis sa déportation et son quotidien au camp. Ensuite, celui de son épouse, elle-même exilée dans un petit village qu’elle ne doit pas quitter pendant dix années ; dans son malheur elle est la plus chanceuse en trouvant refuge, avec ses deux fils, chez une charmante dame altruiste, affable et généreuse. Enfin, c’est l’histoire de Sacha se déroulant à notre époque. Petit-fils d’Ilia, cet ancien délinquant devenu génie de l’informatique va faire la rencontre, aussi brutale que déterminante, avec son histoire familiale, effilochée dans le temps et dont les racines se sont formées au cœur de la terrible année 1948. Ses parents sont tragiquement décédés, puis son oncle, et enfin sa sœur ; drames mystérieux que Sacha va tenter de percer.

Cette construction  naviguant dans le temps et l’espace a joué en défaveur du récit de Sacha, pour lequel mon intérêt a été decrescendo. Tout d’abord, il y a le fait que lui-même ne sache rien, ou presque, de sa propre famille, il est une sorte d’électron libre, un peu trop vadrouilleur et dilettante pour moi. Ensuite, sa passion soudaine pour ses aïeuls, et le violon, et les risques qu’il prend en toute inconscience m’ont paru légèrement démesurés. En quelques jours il va mettre en péril sa propre existence, sa situation professionnelle et personnelle pour quelque chose extrait d’un passé lointain et inconnu. Le lecteur, seul, a connaissance des terribles événements ayant abouti à ce moment précis de l’existence du descendant Grenko.

On ne peut qu’être touché, ému, par l’injustice et l’ignominie dont vont être victimes Ilia et Galina. En quelques heures seulement leur existence bascule, sans qu’aucun signe n’ait pu annoncer leur chute. L’époque est sinistre en Russie, les libertés sont restreintes, les artistes sont étroitement surveillés, personne n’est véritablement à l’abri du despotisme ambiant. Alors quand le piège s’abat sur le violoniste Ilia, un homme qui, on le devine dès le début, ne tiendra pas, ne pourra se défendre, la gorge se noue, les poings se crispent. Il n’est pas un lutteur, il ne sait pas combattre, il est un pur musicien avec toute la sensibilité, la légèreté, la douceur dont le violon le pare. Ses mains, il ne s’en sert que pour manier l’archet. Ilia est faible, oui, et le dessin de ce personnage contraste avec le héros pugnace et impassible à travers les yeux duquel nous sont bien souvent décrites les atrocités de l’Histoire. Il est pitoyable en nous rappelant que ce ne sont évidemment pas les hommes les plus forts qui étaient condamnés à de tels labeurs, mais que, bien sûr, parmi eux se trouvaient des êtres comme Ilia, graciles, incapables, apeurés. Et c’est pour ces individus égarés que mon cœur se serre.

De son côté, Galina survit habilement, par le travail harassant et le devoir maternel d’offrir à ses enfants une vie décente. Ce qui renforce le drame d’Ilia c’est la rancœur puis l’oubli de Galina, qui croit, du fait des tromperies dont elle a été victime, qu’Ilia a fui son pays, la condamnant, elle et leurs fils. La mémoire d’Ilia est salie, écrasée, il est détruit et mourra deux fois. J’ai été touchée par l’éclatement du couple, ordonné et contrôlé par les services de renseignements russes, dont Ilia croit être responsable et Galina décisionnaire. Leur ignorance est poignante car reconstruit un univers parallèle où leurs fautes sont accrues, où l’Etat reste propre de toute implication. Ils sont les malheureuses victimes, rendues aveugles, d’une machinerie efficace et inébranlable mise en place au réveil de la Seconde Guerre mondiale. L’ignorance et l’auto-flagellation sont les pires des mécanismes. Quand l’un des deux croit l’autre coupable, à tort, et que cette pensée persiste jusqu’au réveil tardif, que se passe-t-il alors ? Comment composer l’album familial sans que les taches de cette « trahison » involontaire n’apparaissent, et sur les visages, et dans les mémoires ? Comment y survivre ?

En parallèle, il y a la disparition du fameux violon, dont la quête sera inaugurée par Galina ; première tentative d’une longue série. Le violon n’est finalement pas la pièce centrale du récit, il disparaît au fil du texte. Il est le plus souvent rêvé, évoqué, nommé, il n’a d’existence que dans le cœur d’Ilia et les souvenirs de ceux qui l’ont côtoyé.  J’aurais apprécié plus de poésie autour de l’objet, qu’il porte davantage l’histoire, que son empreinte et l’enjeu qu’il suscite soient plus graves ; je l’ai trouvé un peu creux, même sa renommé et sa valeur sont à peine évoquées. Stradivarius ou non, un violon lambda aurait suffi me semble-t-il.

Le Violoniste est un récit dramatique et poignant, du fait de son contexte et de sa tragédie amoureuse, mais il édulcore la réalité, passant outre les détails trop sordides, les descriptions lourdes ; l’ambiance retranscrite n’est ainsi pas assez glaciale. Je n’ai pas ressenti l’horreur, la vraie, tout est tempéré, mesuré. Pourtant, il ne manque pas de drames ; mais je n’ai ni frémi ni été saisie par l’urgence, la peur, l’ivresse. La quête de Sacha, comme je l’ai dit, m’a désintéressée. Aucun attachement au personnage, puisqu’il me paraît à mille lieues de sa propre famille, arraché de l’arbre généalogique, tombé par hasard dans l’histoire. De plus, le texte manque de musicalité, de lyrisme.

L’intérêt du roman réside selon moi dans le drame intime se jouant entre Ilia et Galina, suffisamment accablant et pouvant seul alimenter un roman entier. Leur histoire contient tous les éléments de la tragédie antique. Le violon, la vengeance, la malédiction sur les générations à venir… ces points n’ont pas été assez développés ; le ton ne s’y prêtait peut-être pas. En résumé, Le Violoniste possède un synopsis original et prometteur, sur la base de la disparition d’un instrument ô ! combien symbolique, mais qui s’effrite au fil des pages. Resteront les remords de Galina, et la désillusion d’Ilia ; un couple touchant par sa simplicité et son écho dans l’Histoire. Une lecture divertissante mais dont je ne garderai que peu de traces dans ma mémoire.

Et vous, les romans reposant sur un objet, de valeur ou symbolique, vous parlent-ils ?

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