Eh oui, je n’avais pas encore lu Hemingway, et pourtant il m’apparaît comme étant l’un des écrivains américains incontournables, si ce n’est le plus incontournable. Je l’ai croisé à de nombreuses reprises, souvent cité en référence dans d’autres livres. J’ai donc voulu le découvrir à travers l’une de ses œuvres majeures. Si j’en avais été capable, je l’aurais bien sûr lu dans sa langue originale… Mais la traduction est pour le coup franchement réussie !

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«Tu veux ma mort, poisson, pensa le vieux. C’est ton droit. Camarade, je n’ai jamais rien vu de plus grand, ni de plus noble, ni de plus calme, ni de plus beau que toi. Allez, vas-y, tue-moi. Ça m’est égal lequel de nous deux qui tue l’autre. Qu’est-ce que je raconte ? pensa-t-il. Voilà que je déraille. Faut garder la tête froide. Garde la tête froide et endure ton mal comme un homme. Ou comme un poisson.»

Mon avis

Ce roman est court, ce qui permet une lecture continue idéale. Il s’apparente à un conte, ou une fable, en en possédant la structure et le fond. Nous suivons deux personnages, un pêcheur, et un jeune garçon. Les deux sont étroitement liés depuis plusieurs années, tels un grand-père et son petit-fils ; leur relation s’articule autour de la pêche qu’ils pratiquent, ou plutôt pratiquaient, ensemble. Ce livre nous raconte l’obstination d’un homme pour rapporter un énorme poisson afin de rattraper les quelque quatre-vingt jours sans aucune prise, et ainsi prouver au garçon qu’il peut revenir pêcher avec lui ; car les parents de ce dernier le lui avaient interdit.

En soi, cette histoire peut sembler au mieux simpliste, au pire grotesque. Mais c’est dans la simplicité que prennent naissance les plus belles émotions, et ici je dois dire que c’est particulièrement vrai. Mais, comment une histoire de pêcheur a pu autant susciter mon intérêt ?

Parce que ce livre ne nous parle évidemment pas que d’une sortie en haute mer. Il évoque entre les lignes, la persévérance, le courage, la victoire, la défaite aussi, la prétendue domination de l’homme sur la nature, la vieillesse, la force mentale…Bref, vous l’aurez compris, à travers une histoire en apparence triviale, c’est tout une réflexion qu’Hemingway nous suggère, mais sans pour autant négliger la forme de son récit, car l’action, le suspense, et un dénouement étonnant sont bien présents. Dénouement qui, d’ailleurs, aurait pu m’arracher des larmes, tant il est poignant.

Car cette histoire a un aspect pitoyable, lacrymale, mélancolique. Le vieil homme se retrouve  confronté à un espadon, qui a décidé de ne pas se laisser prendre si facilement. Le combat est loin d’être gagné d’avance, l’animal vit, se défend, il n’est pas qu’une proie pêchée en silence, sans protestation. Le poisson est capable d’une intelligence le plaçant presque au même niveau que l’homme, lui qui n’a pourtant que sa barque et sa patience pour se consoler.  Ainsi, la force que déploie le vieil homme pour venir à bout de l’espadon, pour ensuite lutter contre les requins et enfin pour revenir au port est extraordinaire, et rappelle les récits héroïques de la mythologie. C’est ici que l’on trouve toute la puissance de cette histoire, qui, en peu de choses, transporte le lecteur vers l’extraordinaire. Ce que nous dit ce livre, est que chacun peut être héroïque, même dans des actions du quotidien ; en effet, quoi de plus banal pour un pêcheur que la pêche ? Et, dans ces gestes maintes et maintes fois répétés, surgit un jour, quelque chose de différent, qui tend vers le magnifique, le grandiose…Mais qui restera pour une grande part méconnu des autres, et c’est cela qui donne tout son éclat au geste. Lorsque l’acte en lui-même reste secret, connu seulement du héros, il n’en est que plus fabuleux.OLYMPUS DIGITAL CAMERA

Ce qui m’a le plus surprise c’est que le vieil homme ne perd jamais espoir, malgré les heures qui défilent, puis les jours et les nuits, il ne sombre jamais et garde toujours la tête sur les épaules. C’est une lutte longue, très longue, où il se fait entraîner par le poisson, à un point tel que l’on ne sait plus trop qui a le dessus sur l’autre. Ce qui permet finalement au vieil homme de prendre l’avantage  est qu’il traite son adversaire l’espadon en égal, et jamais comme un simple poisson. Il connaît ses failles, ses faiblesses et ses forces, et l’attaque là où il sait qu’il sera le plus vulnérable, mais toujours dans le respect de l’animal. Et lorsqu’il croit avoir mis fin à la lutte, viennent les requins, dont le but et les attaques sont autres, plus féroces ils sont surtout plus nombreux, et l’emporteront finalement sur le vieil homme.

Le rythme est parfaitement maîtrisé, ne laissant jamais le lecteur dans l’ennui, malgré l’environnement plat et étendu que représente la mer. Il est comme embarqué sur le navire en compagnie du vieil homme, partageant avec lui sa solitude, ses inquiétudes et ses espoirs. Ce qui rend le récit d’autant plus vivant, ce sont les dialogues entre cet homme et lui-même. Comme s’il s’adressait au petit garçon resté sur la terre ferme, dont il regrette l’absence à ses côtés ; absence d’autant plus lourde que cette lutte de plusieurs jours n’aura eu aucun spectateur.

Son attachement pour cet enfant est d’ailleurs bouleversant. La relation qui les unit s’inscrit en effet dans une protection mutuelle, lorsque l’un craint pour l’autre, faite de bienveillance, de douceur et d’habitudes. C’est une sorte de relation maître-élève, où le premier arrive à la fin de son parcours et tente de montrer encore de quoi il est capable à son élève brillant. Mais ce dernier garde toujours des yeux admiratifs face à celui qui lui a tout appris. L’enfant n’est présent qu’au tout début et à la fin du récit, et pourtant il semble être sur le navire avec nous, car le lecteur ne perd jamais à l’esprit que l’énergie consacrée par le vieil homme à la pêche est nourrie par son attachement pour le garçon. Et lorsqu’il rentre dépité, se couche et s’endort, c’est d’épuisement certes, mais surtout de honte, de ne pas être à la hauteur de l’admiration que lui porte la seule personne qui compte pour lui, et de désespoir face à ce qui lui paraît être le plus grand échec de sa vie. Car pour lui, une victoire ne saurait être qu’à travers le regard de l’autre.

Ce court livre m’a permis de découvrir un écrivain dont la renommée n’est plus à prouver, et j’en suis ressortie plus que convaincue. Par sa fraîcheur, son authenticité et sa poésie, ce roman m’a totalement transportée. Je n’avais pas lu d’histoire aussi dénuée d’artifices depuis bien longtemps, et que c’est agréable. Je pense que pour aborder l’œuvre d’Hemingway, Le vieil homme et la mer est certainement une excellente porte d’entrée.

Et vous, avez-vous lu Hemingway ?

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