Je vous présente un roman qui m’a été envoyé par les Editions Le Livre de Poche, que je tiens à remercier. Il est sorti en 2014 et vient de paraître en format Poche. Par un curieux hasard il se trouve qu’il a certains points communs avec le précédent livre présenté, Testament à l’anglaise. En effet, l’action se déroule en Angleterre sur plusieurs décennies du 20ème siècle, la construction du livre s’appuie sur de nombreux flash-back, l’histoire concerne une riche famille et ses secrets les plus enfouis, et un lieu symbolique, ici une grande demeure familiale, devient le centre névralgique de l’intrigue. Néanmoins, malgré ces similarités, qui seraient certainement passées inaperçues si mes lectures ne s’étaient succédé, ces deux romans restent différents sur bien des aspects.  

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

1981. Tredower House, en Cornouailles. A l’occasion du mariage de sa nièce, Chris est de retour dans le domaine que son grand-oncle Joshua a acquis entre les deux guerres. Au cours de la cérémonie, Nick, son ami d’enfance, surgie et affirme détenir la preuve que son père, exécuté pour avoir commandité le meurtre de Joshua en 1947, était innocent. Le lendemain, on retrouve Nick pendu. Chris décide alors de faire la lumière sur la mort de Joshua. Il est loin de se douter des dangers qu’il encourt en exposant la légende familiale à la lumière de la vérité.

Mon avis

Je me répète mais, vous devez savoir comme j’apprécie tout particulièrement les romans mettant en scène de grandes familles aisées dans leur intimité. Je me délecte facilement des sombres histoires et des secrets qui souvent en constituent le socle, en apparence inébranlable mais qui s’avère d’une fragilité cristalline. La famille est une source inépuisable en littérature, de par le fait qu’elle constitue une structure nette avec une hiérarchie, une dynamique et des mécanismes qui lui sont propres, et bien souvent construite sur des légendes, sortes de mythes fondateurs transmis de génération en génération. La famille reste selon moi un thème universel et d’autant plus alléchant qu’elle est protéiforme. C’est donc emplie d’excitation que j’ai entamé ce roman. Mais il m’a pourtant fallu patienter avant de me sentir complètement cernée par l’ambiance et les personnages. En effet, la mise en place de l’intrigue, qui prend la forme d’un long retour en arrière sur l’histoire familiale marquée par la richesse de l’oncle Joshua, revenu d’Amérique après avoir fait fortune, est un tantinet trop long. Ce passage est néanmoins inévitable pour tout roman de ce genre.

En réalité, le récit est entièrement construit en alternant de longs paragraphes s’inscrivant dans le présent des années 80, avec des détours à l’époque où le destin de cette famille a basculé. Ainsi, le lecteur a toujours un pied dans le passé, et s’en accommode plutôt bien. La gymnastique cérébrale que cela nécessite n’est pas des plus ardues, bien au contraire, elle est plutôt plaisante, et le lecteur n’aura aucun mal à se situer dans le récit. Cette construction est l’une des grandes forces de ce livre, car elle favorise une immersion totale dans l’intrigue, ne nous laissant guère de répit il est vrai tant le rythme est dense, mais parfaitement maîtrisé. Je me suis retrouvée, après une amorce somme toute un peu délicate, à tourner les pages à une vitesse folle en quête de réponses.

Le récit se complexifie à un rythme régulier. Les personnages secondaires viennent se greffer à l’intrigue initiale de manière progressive. Le lecteur est ainsi à son aise pour digérer les nouvelles informations et intégrer les diverses péripéties, il ne s’en trouve pas dérouté. Cependant, l’histoire n’en reste pas moins composite et solidement ficelée. Arrivé à quelques pages de la fin, on se rend compte qu’un nombre impressionnant de données nous a été exposé; le tout s’entrelaçant pour former une grosse pelote. Il a été nécessaire pour moi de faire une pause afin de mettre à plat tout ce que je savais sur les personnages et leurs relations. Car la complexité de l’intrigue repose sur les liens entre deux familles, et une troisième qui apparaît tardivement, unies par un même personnage, l’oncle décédé Joshua, le pilier central de l’intrigue, l’homme qui a provoqué le malheur des uns et le bonheur des autres. Ces deux familles, bien que liées à vie, n’en sont pas moins nettement distinctes. Elles entretiennent des relations délicates de longue date, plus ou moins souhaitées, plus ou moins manipulées au bénéfice des uns et des autres, et qui se sont grandement altérées avec le temps. Les Napier d’un côté, les Lanyon de l’autre, la première ayant petit à petit dévoré l’autre, la phagocytant sans scrupules. L’une tout en apparence, l’autre rongée par les malheurs successifs et la malchance. Des Lanyon, il ne reste presque rien, sinon des souvenirs ternis par trop de drames.

Ce roman est une histoire de contrastes, le lecteur n’aura aucun mal à voir la vermine qui se cache sous la lumière factice. Les Napier font horreur, le père est particulièrement détestable, abject, foncièrement égoïste, manipulateur et sans une once de bienveillance paternelle. Mais avec une mère comme la sienne il ne pouvait que l’être, car il n’est pas difficile de percevoir l’emprise malsaine qu’elle a eue sur sa descendance. A l’inverse, les Lanyon sont l’innocence même, ils ne nous sont représentés qu’à travers leurs faiblesses, et en clair-obscur par rapport aux Napier. Leur existence est morose, malheureuse, insipide, marquée par la tragédie.

Le narrateur, le fils Napier, Chris, est un personnage bien mystérieux. Coincé entre ces deux familles, il lui est difficile de prendre position, mais, rongé par la culpabilité d’avoir abandonné son ami d’enfance, Nicky Lanyon, il se place dans le rôle de trouble-fête, celui qui mettra à jour la vérité. Cette lourdeur dans le personnage à travers un sentiment de culpabilité maintes fois exprimé est parfois indigeste, car semblant représenter son unique motivation. On finit par ne voir en lui que le porte-drapeau d’une vengeance qui ne le concerne que de loin. De plus, Chris apparaît d’une complaisance insensée face à son père, sa mère et sa sœur. Cependant, malgré la faiblesse apparente de son caractère, il est doté d’une force incroyable qui le pousse à ne jamais lâcher prise, et à faire de sa quête, qui est avant tout celle de son ami d’enfance, sa croix. Son ardeur et sa droiture semblent infaillibles. Son unique but est de lever le voile sur le mystère qui entoure sa propre famille et celle de son ami. Mais l’on ne cesse de se demander s’il sera assez fort pour en supporter les conséquences, pour oser mettre le nez dans les failles de ses Parents et accepter la part sombre de son histoire familiale. Il est l’enfant que tous veulent faire taire, et ce quel qu’en soit le prix. Néanmoins, ce personnage est resté pour moi une énigme, dans son attitude de constance, de persévérance et surtout dans son infinie capacité à pardonner. J’ai tenté de mettre en parallèle l’adulte qu’il est devenu par rapport à l’enfant qu’il nous décrit, et nous retrouvons les mêmes traits de sa personnalité, dans une régularité troublante. Il incarne la stabilité dans ce chaos qu’il a lui-même provoqué. Néanmoins, sa faille, car il en faut bien une pour contrebalancer ce portrait proche de la sainteté et le rendre plus réaliste, est l’alcool. Autant vous dire que ce détail n’apporte rien à l’histoire car il n’est que cité et rarement mis en pratique, mais il est là, constitutif de Chris.

En tant que narrateur, ce dernier est omniprésent, et le lecteur analyse les événements à travers le prisme de sa subjectivité. De ce fait, l’enquête est dès le départ biaisée par ce regard que nous impose l’auteur. La neutralité n’existe pas car le narrateur est trop mouillé, nous partons avec des a priori évidents qui malheureusement viennent altérer le suspense. Certains rebondissements étaient prévisibles, bien que leur pertinence en soit préservée.

L’argent est lui aussi un personnage à part entière, il est le fil qui relie tous les personnages, la clé du mystère, mais il s’accompagne de ses amis fidèles que sont le chantage, la cupidité, la jalousie et la bassesse. Le message de ce livre pourrait porter sur la nocivité de l’argent, car s’il n’est pas mérité il vous brûle les doigts. C’est peut-être un peu facile et convenu, mais le tout est bien maîtrisé et la morale bien qu’axiomatique se révèle dans une intrigue qui tient debout.

Le Retour est un roman efficace, qui atteint ses objectifs initiaux, à savoir nous exposer une famille dans la tourmente, à un moment où ses barrages sont prêts à céder pour déverser un torrent putride susceptible de tout ravager sur son passage en brisant les liens ténus de la filiation, et de l’amitié. Malgré une faiblesse dans l’aspect thriller du récit, ce dernier ne souffre d’aucune longueur, grâce à une construction favorisant l’omniscience du lecteur et donc sa capacité à mettre en relation les événements passés et présents.

Et vous, êtes-vous aussi friands des secrets de famille dans la littérature ?

 

 

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