Le Parfum est un roman mondialement connu, que j’envisageais sérieusement de lire depuis de nombreuses années, sans jamais réellement savoir quelle en était l’histoire. Mais le titre était suffisamment attractif pour qu’il suscite à lui seul mon intérêt. Ainsi, je n’avais aucune attente particulière en ouvrant ce livre, si ce n’est une curiosité attisée par l’immense succès rencontré auprès des lecteurs.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Au XVIIIème siècle vécut en France un homme qui compta parmi les personnages les plus géniaux et les plus horribles de son époque. Il s’appelait Jean-Baptiste Grenouille. Sa naissance, son enfance furent épouvantables et tout autre que lui n’aurait pas survécu. Mais Grenouille n’avait besoin que d’un minimum de nourriture et de vêtements, et son âme n’avait besoin de rien. Or ce monstre de Grenouille avait un don, ou plutôt un nez unique au monde, et il entendait bien devenir, même par les moyens les plus atroces, le Dieu tout-puissant de l’univers, car « qui maîtrisait les odeurs, maîtrisait le cœur des hommes ».

Mon avis

Le Parfum est un roman unique en son genre, inqualifiable, presque indescriptible, il est d’une singularité telle qu’en parler comme n’importe quel autre roman serait lui nuire. Mais puisqu’il faut bien vous donner mon avis, je vais tenter de le faire avec minutie. Car en effet, plus qu’un moment de lecture il nous offre une expérience. Tout, dans ce livre, est atypique, et l’on se rend rapidement compte que l’on tient entre les mains quelque chose de totalement inédit. En tout cas, c’est cette impression qui m’a submergée dès les premières pages, dans les descriptions sensitives minutieuses et abondantes de l’auteur, dans son personnage qui mériterait une analyse fouillée, dans l’univers créé ou recréé qui se situe bien au-delà de ce que l’on connaît.

Ce roman repose sur son unique personnage, ou plutôt ce livre c’est un personnage, puisque l’histoire n’est construite que sur la base des caractéristiques dont l’auteur a muni son héros. Jean-Baptiste Grenouille est un être hybride, entre l’homme et la bête, il est indéfinissable si ce n’est par sa particularité, son don surnaturel, celui de pouvoir sentir toutes les odeurs de ce monde, des plus communes aux plus infimes. Il ne vit qu’à travers son odorat, il n’est qu’un nez qui annihile tous les autres sens. Ainsi, il n’expérimente son environnement que grâce à ce sens surdéveloppé. La vue et l’ouïe sont inutiles pour lui. Cette particularité originale fait de lui un être en marge de la masse constituée par le reste des humains, incapable de communiquer de manière socialement admise, incapable de ressentir le moindre sentiment ou la moindre émotion vis-à-vis des autres êtres humains qui croisent sa route. Bien qu’il paraisse aux yeux de tous débile et fragile, il est doué d’une grande intelligence le rendant maître dans l’art de la manipulation, et semble connaître l’Homme mieux que quiconque. Ainsi, il leurre tout le monde, il se fond dans la masse pour mieux camoufler de sombres projets. Jean-Baptiste Grenouille, malgré une « personnalité » trouble, voire inexistante puisqu’il fuit toute interaction avec autrui capable de nous en apprendre davantage sur ce qu’il est en société et donc sur sa personne, c’est un individu que l’on ne peut réellement détester, tout comme il paraît bien difficile de l’aimer. En réalité, ce que j’éprouve pour lui oscille plutôt entre un immense dégoût et une fascination comme j’en ressens devant ce qui m’est à la fois étranger et méconnu. Grenouille échappe à toute norme, il désarçonne, déstabilise. L’auteur a ainsi créé un personnage qui place le lecteur dans une position inédite où il ne peut aucunement ressentir l’indifférence d’ordinaire éprouvée face à des personnages empreints d’humanité, souvent trop familiers pour susciter la fascination. Construire un roman autour d’un seul être dénué de toute humanité, avec la multitude de caractères qu’englobe ce terme, était un pari risqué mais ingénieux pour marquer l’esprit de son lectorat.  Car une fois ce roman refermé persiste l’impression d’avoir côtoyé l’inhumain, mais d’une tout autre sorte que celui qui qualifie l’abominable.

C’est à la fois une naissance, un parcours personnel, une existence et une folle ambition que nous expose l’auteur. Ainsi, Le Parfum nous met dans la peau de Grenouille et nous fait découvrir un univers d’odeurs de toutes sortes. Le récit abonde en descriptions fines de senteurs plus ou moins subtiles; car tout possède une odeur, des substances organiques aux matériaux. La retranscription de ce monde méconnu est d’une précision inouïe et nous plonge dans une dimension ne mettant en éveil qu’un seul de nos sens, au détriment des autres qui sont atrophiés. Je n’aurais jamais cru pouvoir imaginer aussi nettement une senteur à travers de simples mots pour la représenter; car quoi de plus difficile que de penser une odeur que l’on ne connaît pas. L’odorat est un sens que l’on ne peut guère tromper, qui saisit au vol tout ce qui passe à proximité de l’organe récepteur. Mais ici les émanations sont intensifiées, les fragrances sont sublimées, les pestilences s’épanouissent. Aucun obstacle ne vient empêcher l’exhalaison. Cette surabondance d’odeurs pique parfois le nez ou bien monte à la tête et étourdit.

Au-delà de l’expérience sensuelle proposée par l’auteur, et pour la mettre en exergue,  une histoire nous est racontée; c’est celle de Grenouille. Le récit est divisé en plusieurs parties correspondant aux grandes étapes de son projet, aussi dément qu’inimaginable. Grenouille va devoir côtoyer des hommes, communiquer et vivre avec eux afin d’acquérir les connaissances que son nez ne peut lui fournir. Il va apporter la gloire en même temps que la mort à ceux pour qui il aura travaillé, et des cadavres vont parsemer sa route mais dont il n’aura que faire. Une étape majeure de son parcours à travers la France des parfums consistera à une vie d’ermite de plusieurs années au fond d’une grotte dans une région dépeuplée. Cette longue pause régénérante l’éloignera définitivement de toute forme humaine, le renvoyant à un état larvaire, ou plutôt embryonnaire, rappel de la vie intra-utérine constituée ici de pierre et de roche (Cet épisode m’a étrangement rappelé le boyau de terre dans lequel Robinson Crusoé aimait à se reposer). Cette étape a marqué un tournant dans le récit, un changement dans le ton qui était jusque-là teinté d’un certain humour, d’un second degré appréciable faisant s’apparenter le texte à un conte enfantin. A partir de là j’ai commencé à ne plus suivre correctement le cheminement de l’auteur, l’ambition initiale du héros devenant davantage opaque au fil des pages. En effet, son but ultime n’est jamais clairement évoqué, même si l’on en comprend les grandes lignes; il semble évoluer au gré des pérégrinations de Grenouille dont les réflexions absconses nous empêchent de saisir toutes les facettes du dessein. La dernière étape de son projet, le point final de cette folle histoire, reste une énigme. Elle est absolument démentielle, certainement porteuse de symboles indéchiffrables même à la lueur des événements ayant mené jusque-là. Et c’est la frustration qui l’emporte, puisqu’une vague de mystère recouvre la raison même de ce livre, représentée par la quête du héros qui n’aura jamais été aussi impénétrable que lorsqu’il réalise la « mission » pour laquelle il est né.

Ainsi, Le Parfum est indéniablement un roman à lire pour sa capacité immersive rare et son personnage hautement singulier, qui resteront certainement dans mon esprit aussi longtemps qu’un autre roman ne les aura pas surpassés. Néanmoins, l’originalité du récit n’empêche malheureusement pas un « dénouement », le mot n’est ici guère approprié, qui, par son incongruité et sa violence, augmente d’un degré la perplexité dans laquelle était potentiellement plongé le lecteur.

Et vous, ce foisonnement d’odeurs vous a-t-il écœurés ou transportés ?

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