Voici le livre de la box Exploratology de janvier. Nous partons cette fois-ci en terre africaine, en Angola précisément, avec une histoire qui mêle les genres. Ma résolution 2017 visant à élargir mon horizon littéraire se concrétise, je ne pensais d’ailleurs pas aller si loin! Si ma mémoire ne me trompe pas je crois n’avoir jamais lu d’auteur africain, j’étais donc enchantée par cette sélection. Mention spéciale pour la couverture, simple et raffinée.

Résumé de l’éditeur

A Luanda, à la fin de la guerre révolutionnaire, Félix Ventura, le bouquiniste albinos, crée de faux passés qu’il vend aux nouveaux riches. Ses clients sont des entrepreneurs prospères, des hommes politiques, des généraux, tous ont assuré leur avenir. Il leur faut donc transmettre à leurs enfants un bon passé. Félix leur construit des généalogies flatteuses, des portraits d’ancêtres, des mémoires brillantes. Il en vit bien, jusqu’à l’arrivée d’un mystérieux étranger à la recherche d’une identité angolaise. Alors, dans un vertige, le passé envahit le présent et tout bascule.

Mon avis

Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas retrouvée dans une telle situation : l’impossibilité d’écrire quoi que ce soit au sujet d’un livre. Une fois refermé, j’ai su qu’il me serait difficile d’en faire une critique. Une semaine plus tard, face au constat de la page blanche, et parce que j’aime vous parler de toutes mes lectures (il y a eu quelques exceptions en 2016 tout de même), je me suis contrainte à replonger dans l’histoire, à en tourner les pages à nouveau, pour en extraire l’essence. Et puis, je me serais sentie bien bête de taire ma première expérience avec une plume venue d’un nouveau continent ; zut alors, suis-je donc formatée à ne parler que de textes occidentaux?

Eh bien, après avoir lu une seconde fois le texte je ne suis guère plus avancée. Non pas que l’histoire soit mauvaise, absolument pas. Pas plus qu’elle soit lisse, creuse, manquant de substance. Il semblerait plutôt qu’un filtre opaque se soit glissé entre elle et moi, filtre que je n’ai pu retirer, qui me rend l’intégralité du texte beaucoup trop étranger, indéchiffrable ; il doit me manquer un code.

Pourtant la patine est agréable, les personnages existent, il se passe bien quelque chose entre les lignes, j’ai pu aborder les contours, me faire une idée générale, mais je ne parviens pas à toucher l’essentiel du doigt.

La scène se déroule à Luanda, capitale de l’Angola, dans une bâtisse où réside un personnage insolite. Félix se décrit comme généalogiste, ce n’est pas entièrement faux, à un détail près, il invente des passés, il redessine l’arbre, ôte ce qui ne plaît pas au client, remplace les branches pourries par de plus prestigieuses. Ses clients ont de l’argent, des positions confortables dans la société, il ne s’agirait pas qu’un mauvais passé leur fasse défaut, surtout auprès de leur descendance, qu’il souhaite préserver. Ainsi, Félix, érudit, curieux, lecteur insatiable et éternel rêveur, creuse et décortique de nobles familles pour extraire un enfant inconnu, souvent illégitime, dont il peut offrir l’existence à quelque bonhomme prêt à s’offrir ce grand frisson.

L’histoire nous est racontée à travers les yeux d’un petit habitant des lieux, un gecko, qui a été humain dans une ancienne vie. C’est le genre de fantaisie qui me plaît. Entre cet animal et son colocataire s’est créé un lien bien particulier, ils partagent de longues soirées de confidences, l’un dans un recoin du plafond, ou dans une anfractuosité humide du mur, l’autre dans le fauteuil en rotin d’un illustre ancêtre. Tous deux craignant une trop vive lumière, leur peau est fragile,  ils vivent dans l’ombre. Tous deux ont maille à partir avec leur passé, l’un a été adopté après avoir été abandonné dans un carton de livres, l’autre est condamné à revivre éternellement le sien dans le corps d’un reptile.

Jusqu’au jour où un client, et une séduisante femme, viennent bousculer leur quotidien pas tellement rangé.  C’est alors que la temporalité du texte est mise à mal, que tout se mélange dans un agglomérat indistinct qui est ce qui m’a posé problème. Le livre se joue du vrai, du faux, des mensonges, des non-dits, de la vérité, des apparences, de la fiction, de la réalité, de ce que l’on construit, de ce que l’on invente, de ce que l’on croit ; ainsi des passés, inventés ou réels, refont surface et créent une rupture avec le présent. Parmi tous les personnages tournoyant dans la maison, aucun n’a d’identité propre et clairement définie. Où sont les limites de leur être ? Dans quelle mesure peut-on affirmer que leurs actes passés constituent ce qu’ils sont aujourd’hui ? Et, qui sont-ils d’ailleurs ? L’auteur s’amuse de la définition même d’identité, à travers plusieurs existences n’ayant rien en commun hormis le fait d’avoir été à un moment donné brisées, malmenées, redirigées. Ainsi en est-il de Félix et du gecko, des clients qui souhaitent redéfinir un pan immense de leur vie, du président qui a des doubles, d’un clochard communiste flirtant avec la folie, et de Lucia, l’amante de Félix, à l’enfance apparemment plate mais dont l’on découvrira les remous.

L’histoire se déroule à une vitesse folle sans que rien ne nous soit clairement énoncé. Les dialogues sont obscurs, c’est une pièce de théâtre bouffonne où les acteurs défilent dans un courant d’air, ils sont impalpables, ils sont grotesques, ils ont leur logique propre mais tournoient autour d’un quelque chose qui leur semble à tous familier. Comme si cette question de la quête incertaine d’une identité était leur préoccupation majeure, celle de toute une vie, de tout un peuple même. Ils ont leur mot à dire sur la question, interviennent dans l’échange avec des anecdotes sorties de mystérieuses mémoires, des fables qui illustrent le texte. Le récit est entrecoupé par les rêves du gecko, réminiscences d’un passé lointain ? pures inventions ? fragments de réalité ? Certains nous éclairent quand d’autres nous plongent dans un curieux désarroi méditatif.

Et si tout ceci était une immense farce destinée à porter en dérision le contexte culturel et politique de l’histoire ? Pour en être certaine il faudrait que l’Angola soit, pour moi, davantage qu’un nom exotique placé sur le vaste continent africain.  Avec ce roman je me suis tout de même instruite sur ce pays, principalement autour de son passé de colonie portugaise, mais concernant les us et coutumes je ne suis pas certaine qu’il faille prendre toutes les informations pour véritables.

Bien que ce tourbillon de vie m’ait emportée, la dynamique du texte est efficace, je ne m’en sors pas satisfaite. L’idée principale brandie par le personnage de Félix, verser du fictif dans la réalité, brouiller les pistes, s’amuser du réel, est abordée d’une manière certes folklorique, il y a de la couleur, ça pétille, c’est parfois drôle, mais le tout est cloisonné dans une image que je ne suis pas parvenue à interpréter tant elle est confuse. La construction du texte y est pour beaucoup ; quelles sont les limites du chemin directeur ? Où commence le superflu ?  Comme l’impression que les trois quarts du récit me resteront cachés.

Le marchand de passés fait partie de ces histoires dont je me souviendrai, le gecko philosophe et Félix, le généalogiste faussaire, sont inoubliables. Ce conte romanesque, fantastique et drolatique possède une frénésie captivante. Il y a dans le ton un détachement, une ironie, une fantaisie, un optimisme attendrissants. C’est le genre de fable enivrante qui touche au merveilleux. Oui, mais au-delà du vernis, de l’image, il y a les idées de l’auteur, le signifié, et c’est à peine si je les ai effleurées.

Et vous,  y a-t-il des continents dont vous n’avez pas encore exploré la littérature ?

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