Ha ! le disparate de mes lectures n’a pas fini de me surprendre. Je passe d’une époque à l’autre, d’un genre à son opposé sans transition. Ce qui donne parfois de drôles d’assemblages. Toujours est-il qu’après avoir embarqué mon cœur dans des contrées sentimentales avec Adolphe, me voici revenue à du contemporain saupoudré d’humour en la compagnie d’un livre dont la couverture, petits poissons mignons, me faisait de l’œil depuis la haute étagère de mon salon.

Résumé de l’éditeur

Sur le chemin du travail, Guylain lit aux passagers du RER de 6h27 quelques pages rescapées de livres voués à la destruction. Ce curieux passe-temps va l’amener à faire la connaissance de personnages hauts en couleur qui cherchent, eux aussi, à réinventer leur vie.

Mon avis

Il est des livres à l’idée de départ à la fois innovante, facétieuse et prometteuse. Ici, l’objet concentrant notre attention est une usine ayant vocation à détruire les livres (les rebuts de tous genres) pour les recycler en… livres. Mais quand l’ingénieuse entreprise est portée par des personnages possédant des caractéristiques atypiques, alors l’histoire racontée présage des aventures drolatiques savoureuses.

Guylain Vignolles (vous voyez la contrepèterie ?) travaille auprès de la monstrueuse machine, monument de l’horreur qui dévore les pages, les mixe en une infâme purée, matière première vite réutilisée. En amoureux des mots, il collecte les feuilles miraculeusement épargnées par la broyeuse – les peaux vives comme il les appelle –  avant de les lire à haute voix dans le RER, sous le regard concentré et impatient des voyageurs.

Deux univers, deux ambiances. Le choc suggère une intrigue autour de la sauvegarde des écrits, de la circulation des mots, de leur survie face à une industrie (celle du livre) démesurée et malade. La Zerstor figure une mécanique boulimique, engloutissant sans digérer le moindre livre passant entre ses mâchoires, pour produire la pâte à papier destinée à fabriquer de nouveaux livres qui finiront leur vie en charpie comme les autres. Un cycle infernal, diablement mis en scène par l’auteur. Les métaphores sont nombreuses et inélégantes pour parler de l’engin. En parallèle, le cas Guylain lisant des bribes d’ouvrages dans le RER est tout aussi éloquent. On avale des phrases, extraits d’histoires dont on se moque, pour le simple plaisir d’écouter quelqu’un les énoncer. Pourtant la motivation du héros est honorable ; lui qui ne supporte pas la perte définitive de l’objet livre se porte garant de sa préservation.

Il me faut aussi mentionner Giuseppe, cet ancien employé aux jambes mixées par la machine, qui tente désespérément de retrouver ses deux membres dans les bouquins recyclés avec la bouillie douteuse. J’ai adoré cette mini-énigme, introduite dans la première partie du texte avant d’être totalement oubliée. Et puis, le versificateur, cet homme qui ne s’exprime qu’en rimes. Il y a beaucoup de talent dans la peinture de ces truculents individus. Des petits détails réfléchis qui font mouche. Il en faut parfois guère plus pour occuper un espace littéraire et colorer une histoire sinon plutôt banale.

Pourtant, une seconde partie diamétralement opposée succède à une première parfaitement réussie. Il est question d’une rencontre amoureuse via clef USB. Cet imprévu est l’occasion d’un long récit, intégré au principal, sous forme d’autobiographie confiée par une dame-pipi. Rien à voir, donc. Adieu interrogations sociales, économiques, philosophiques et anthropologiques autour de l’industrie, en général, et celle du livre en particulier. Ce changement radical de registre surprendra le pauvre lecteur, ravi pourtant de la tournure des évènements inauguraux.

Le palpitant quotidien de Julie dans les toilettes publiques est en soi amusant ; je n’ai pas rechigné à en lire les passages, écrits avec une plume cynique collant parfaitement au thème crapuleux. Mais ce brusque saut narratif m’a totalement prise de court. L’auteur sombre peu à peu dans un genre plus classique suintant le mielleux, afin que son héros, dont les tracas sont mis de côté en présence de la fictive Julie, trouve amour et bonheur dans les bras d’une femme. Objectif dont je n’avais pas soupçonné l’urgence, Guylain sans le célibat n’étant plus le Guylain à l’esprit corrosif du début, et donc franchement peu intéressant, littérairement parlant.

Avec du recul, nous pouvons voir dans le texte trois blocs distincts, constituant autant de nouvelles. Le microcosme de l’usine et ses ouvriers épicés, Guylain et ses lectures solennelles, et enfin la lucide et indélicate, mais non moins érudite, Julie. Le résultat assez inattendu ne fait malheureusement pas honneur à chacune des histoires narrées, perdant le lecteur dont le plaisir initial est maltraité par cet obscur choix. Il semblerait que l’auteur ait souhaité fusionner des idées disparates, jugeant son talent narratif suffisant pour se permettre ce genre de construction branlante. Je dois reconnaître sa maîtrise du petit rien ; répliques, broutilles, accessoires sont ici agencés avec style et dynamisme. Certaines scènes sont hilarantes à souhait, et si l’on ne sourit pas aux cocasseries, on appréciera la poésie d’Yvon.

Le liseur du 6h27 est malheureusement pour moi un échec. L’alléchante première partie s’essouffle comme un ballon crevé, avant de se transformer en un discours déjà entendu autour de la rencontre singulière d’un homme et d’une femme que tout oppose. Le complexe réseau de spécificités installé migre en terrain plat et convenu. Néanmoins, la lecture offre un degré de divertissement suffisant pour qui recherche légèreté et feel good, et n’est pas à cheval sur un respect brut de la ligne directrice. 

Et vous, est-ce un genre qui vous attire ? 

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