Voici un autre roman de ma petite sélection Poche. Cela faisait un certain temps que je n’avais lu de roman noir autour d’un tueur en série. Qui plus est, l’auteur est italien ; de quoi changer des poids lourds américains que l’on commence à trop bien connaître.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Cinq petites filles ont disparu. Cinq petites fosses ont été creusées dans la clairière. Au fond de chacune, un petit bras, le gauche. Depuis le début de l’enquête, le criminologue Goran Gavila et son équipe ont l’impression d’être manipulés. Chaque découverte macabre les oriente vers un assassin différent. Lorsqu’ils découvrent un sixième bras, appartenant à une victime inconnue, ils appellent en renfort Mila Vasquez, experte en affaires d’enlèvement. Dans le huis clos d’un appartement, Gavila et ses agents vont échafauder une théorie à laquelle nul ne veut croire…

Mon avis

J’en ai lu des histoires de tueurs en série, je crois que c’est ce que j’ai le plus lu entre 14 et 19 ans ; c’est joyeux. J’ai appris à aimer d’autres genres fort heureusement, mais j’y reviens régulièrement, c’est un peu la base pour moi quand je cherche une lecture « simple », immersive et contenant une bonne dose de suspense.

Pourtant l’on retrouve toujours sensiblement la même trame, les mêmes réflexions autour de la psychologie du tueur, des personnages similaires chargés de mener l’enquête. Ce qui change, et qui fait tout le charme du genre, c’est la motivation du tueur et le mode opératoire. Mais bien souvent le premier est très léger, alors que les écrivains fourmillent d’idées pour décrire des manières de tuer toujours plus ignobles. C’est pour cette raison que je me suis détournée du genre. Le seul roman où la psychologie du tueur est décortiquée en profondeur est Au-delà du mal de Shane Stevens, une pépite.

Revenons-en au livre d’aujourd’hui. Nous entamons le récit au cœur de l’enquête, alors que la police est à la recherche d’un détraqué ayant enlevé cinq petites filles. Point fort du texte apportant du rythme dès la première page. Mila Vasquez se greffe à l’équipe; elle est experte pour retrouver des disparus, et ici il s’agit de découvrir l’identité d’une sixième petite fille, dont le bras gauche était enterré avec les cinq autres. En parallèle, nous en apprenons sur cette femme, éminemment torturée, il en faut toujours une, comme pour donner la réplique au criminel recherché. Mila possède une caractéristique, ou plutôt est dénuée d’une capacité essentielle, l’empathie; il lui est impossible de verser des larmes pour autrui. Mila se mutile aussi, à chaque victime elle entaille son corps au couteau. Ceci nous est expliqué rapidement, sans véritables précisions, comme un fait banal vite oublié. Alors que je m’attendais à ce qu’il constitue une pièce centrale du personnage, et de l’histoire, et qu’il entrerait en conflit avec la dynamique du groupe pour la bonne résolution de l’enquête, il ne resurgit pas. À certains moments j’ai même cru que l’auteur avait oublié ce détail, puisque Mila semble parfois bien capable de ressentir compassion et peine. Mais à la fin, lors d’une révélation choc, le lecteur a enfin connaissance de la source de son mal-être, qui explique plus que ce qu’elle devrait.

L’intrigue suit sa route, rythmée par la découverte progressive des corps des petites filles, orientant l’équipe à chaque fois vers un criminel différent, pédophile, psychopathe, marginal. Mais celui que l’on recherche est au-dessus. Ainsi, c’est une sorte de jeu de piste qui s’installe, les policiers n’ont que peu d’indices sur lesquels s’appuyer, ou plutôt ils en ont trop justement, ça grouille d’éléments mais l’assemblage est ardu. Il s’agit alors de dresser le portrait le plus précis du tueur afin d’anticiper ses gestes et de l’amener à commettre des erreurs. Il n’y a rien de bien original là-dedans, mais au moins l’on échappe aux éternels interrogatoires stériles, aux enquêtes de voisinage. Et puis finalement ce n’est pas tant de savoir Qui est derrière tout ceci qui nous intéresse mais Pourquoi et Comment. De plus, l’émulation du groupe, qui fait souvent défaut, est ici renforcée par le fait que, pendant une période, tous cohabitent dans un petit appartement, un espace clos de réflexion et d’échange ; ceci pour plus d’efficacité. Cette disposition accentue l’urgence de la situation et le poids pesant sur leurs épaules, déjà lourdes de la pression journalistique au-dehors.

Dans la seconde moitié du récit les choses s’accélèrent, de fulgurantes révélations sont faites qui donnent un nouveau tournant à l’enquête, qui la bouleversent même. J’ai été manipulée moi aussi, me suis laissé piéger. Il faut dire, avec toutes ces scènes de crimes le lecteur a de quoi ruminer, ses yeux sont habilement détournés de la vraie mécanique. Plusieurs personnages clefs de l’histoire subissent de profondes révolutions, ils ne seront plus les mêmes. J’émettrai tout de même un doute quant au réalisme d’un rebondissement en particulier ; il me semble que l’auteur est allé un peu trop loin avec l’un des personnages, Goran, le criminologue. Bien qu’il s’inscrive dans la logique de l’histoire, une carte en plus dans le château, son explication est juste grotesque.

Quoi qu’il en soit, l’enquête jusque-là plutôt classique, le groupe soudé d’enquêteurs, éclate et amène ingénieusement un final déroutant qui est toute l’originalité du livre. J’attendais un Comment, je l’ai eu. Quant au Pourquoi, il n’en est rien, silence de ce côté-là. Enfin, la dernière page suggère une nouvelle piste, aussi furtive que frustrante, puisqu’elle remet une nouvelle fois les cartes en jeu ; il s’agirait alors de tout reprendre. Est-ce à espérer un second tome ? Pourquoi pas.

Il est dommage que l’action se situe dans une ville, voire un pays, inconnue ; cette information m’a échappé. Moi qui voulais retrouver des paysages italiens, c’est loupé. L’intrigue aurait tout aussi bien pu se dérouler au fin fond des Etats-Unis. L’auteur aurait d’ailleurs pu être américain,  je ne me serais pas posée de questions. Bref, pour le côté exotique je repasserai. Mais Donato Carrisi tient la route. Il est largement à la hauteur des grands du genre ; il offre un thriller équilibré, malsain et fichtrement bien construit.

Le Chuchoteur, tout en restant sur les bases classiques du genre, en respectant les codes, le degré d’horreur que le lecteur attend, revisite le principe même de tueur en série, et interroge sur la question de la culpabilité quand les mains restent propres. Le texte, pourtant massif, ne souffre d’aucune longueur ni temps mort. Je suis satisfaite de ne pas être tombée sur du déjà-vu cette fois-ci, l’auteur a su me surprendre avec un tissage astucieux et difficile à percer avant le dénouement, qui se fait en plusieurs étapes. Je m’orienterai certainement vers lui lorsque j’éprouverai à nouveau le désir de me frotter à la noirceur de l’homme en compagnie d’individus peu recommandables.

Et vous, appréciez-vous ce genre de littérature ?

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