Je poursuis ma découverte d’Hemingway, que j’avais entamée avec Le vieil homme et la mer. Je n’ai pas particulièrement pris soin de sélectionner le prochain livre de cet auteur, il m’est tombé sous la main en faisant mes cartons. Ceci est une bonne chose car je pense que, si tel n’avait pas été le cas, j’aurais comme à mon habitude attendu un certain temps avant de me replonger dans les écrits de l’auteur. L’adieu aux armes fait, en outre, partie de ses romans les plus connus et réputés.

Résumé des Editions Gallimard

Frédéric Henry, jeune américain volontaire dans les ambulances sur le front d’Italie, pendant la première Guerre mondiale, est blessé et s’éprend de son infirmière, Catherine Barkley. Avec Catherine, enceinte, il tente de fuir la guerre et de passer en Suisse, où le destin les attend.

Mon avis

Vous vous souvenez de l’agréable surprise que j’ai eue en parcourant Le vieil homme et la mer. Ici, nous changeons de décor, d’ambiance, d’écriture, pour nous retrouver en Italie pendant la Première Guerre mondiale, en compagnie de Frédéric Henry, un ambulancier américain bénévole à la Croix-Rouge.

Mon premier constat, et pas des moindres, qui pourrait d’ailleurs être analysé en long, en large et en travers, concerne l’écriture. Celle-ci est particulièrement froide, lapidaire voire abrégée. Les phrases sont courtes, se suivent sans forcément qu’il n’y ait de lien entre les unes et les autres. Disons qu’il m’a fallu quelques dizaines de pages pour m’y habituer. Car, honnêtement, le style n’est ni agréable, ni recherché, mais brut de chez brut. Il est utile de préciser que j’ai lu la version française de ce roman, donc une part de mes reproches est très certainement induite par la traduction, qui est ce qu’elle est. Ce choix d’écriture pourrait servir le récit, en collant à la dure réalité qu’est la guerre, à travers des descriptions détachées, sommaires et des dialogues concis. Mais, pour ma part, la distance instaurée est trop importante pour que je puisse de moi-même m’imprégner du récit en passant outre le désinvestissement volontaire de l’auteur pour les mots employés. Je pense pouvoir affirmer que c’est la première fois qu’une écriture bloque autant mon avancée dans le récit. Pourtant, j’essaye toujours de m’adapter aux mots, pour en tirer la substantifique moelle, à savoir ce qui se cache derrière cette volonté de l’auteur. Mais ici, le décalage trop important a eu l’effet inverse de celui certainement souhaité par Hemingway. Le reste de ma critique sera donc fortement teintée de ce ressenti trop omniprésent pour que je puisse l’occulter complètement.

Pour en revenir au récit en lui-même, il nous expose l’histoire d’amour entre un ambulancier américain et une infirmière anglaise en Italie durant la Grande Guerre. Nous suivons le premier sur le front, lorsqu’il se retrouve blessé et est obligé de rester hospitalisé pendant plusieurs mois, cet épisode lui permettant de développer une relation étroite avec la jolie infirmière. Cette histoire m’a posé quelques soucis. Je veux dire, les ingrédients étaient à priori séduisants; le décor de la guerre est toujours propice à de grandes passions romanesques, et le fait que nos personnages principaux soient des étrangers pouvait donner un aspect « clandestin » excitant à leur amour.

Mais le constat est là, et bien que j’aie tenté en vain de m’accrocher à l’intrigue, attrapant par-ci par-là les éléments perturbateurs pour gonfler un peu mon intérêt, je ne suis pas parvenue à croire à cette histoire. Tout d’abord, Catherine Barkley, la jeune infirmière, est franchement agaçante par sa mièvrerie, sa jalousie et son égocentrisme. Les dialogues échangés entre elle et Frédéric sont invariablement creux, se contentant de « M’aimeras-tu toute ta vie ? », « Oui, je t’aimerai toujours ». Il n’y a aucune évolution, leur histoire démarrant sur les chapeaux de roues pour continuer sur cette voie, sans jamais se poser un tant soit peu. Comment voulez-vous croire une histoire sonnant aussi faux dès le début ? Pour autant, je suis habituée aux dialogues de ce style, qui nous paraissent souvent incongrus à nous, êtres humains du 21ème siècle. Dans la littérature classique, les dialogues amoureux peuvent effectivement paraître au mieux incompréhensibles et obscurs, au pire grotesques. Mais en général, ils sont enrobés dans des gestuels s’ancrant dans un passé de séduction qui rend l’avancée des sentiments digne d’intérêt pour le lecteur.

Ici, je n’ai ressenti que lassitude et gêne pour Frédéric, qui semble se retrouver dans une drôle de posture. Puis finalement je suis parvenue à m’attacher à lui. Il paraît totalement perdu, ne contrôlant absolument plus rien dans sa vie, et saisissant les occasions au petit bonheur la chance, sans réellement se poser de questions. Sa simplicité de raisonnement et son détachement, sont quelque part rassurants dans un tel contexte ; et l’on se dit qu’en définitive, à cette époque, mieux valait ne pas trop envisager un avenir construit et pensé à l’avance, mais plutôt se laisser porter par les évènements survenant autour de soi, saisir les occasions lorsqu’elles se présentent. Ainsi, le personnage de Frédéric nous dévoile une philosophie de vie intéressante, qui n’est pas forcément la voie royale menant au bonheur, mais plutôt celle conduisant à un état d’équilibre où un semblant de sérénité est au moins préservé. Et dans ce cas-là, son histoire avec Catherine prend une nouvelle dimension, que je n’ai saisie qu’en refermant le livre. Car l’un comme l’autre sait pertinemment que les sentiments, si sentiments il y a, n’en sont qu’à leurs prémices, et que pour croire en une histoire il faut peut-être anticiper l’amour, quitte à en faire trop parfois, pour se donner l’illusion d’un possible bonheur à deux. Chacun en a conscience, Frédéric peut-être un peu plus que Catherine, c’est certain. Néanmoins, l’agacement que j’ai éprouvé pour cette dernière, bien qu’atténué par cet éclairage nouveau, n’en est pas moins prégnant au sortir de ma lecture. L’aspect touchant de cette naïveté d’adulte est neutralisé par son théâtralisme hystérique, plaçant à ses dépens Frédéric comme acteur d’un drame romantique à l’issue incertaine.

Il est évident que cette relation constitue une échappatoire à cette satanée guerre dont l’absurdité n’échappe à personne. D’ailleurs, ce roman a un aspect fort intéressant qui est de nous proposer, au détour de conversations entre soldats, des réflexions pertinentes, bien que trop vite avortées, sur le sens de la guerre et sur le peu de signification que cette dernière a pour les milliers de soldats se retrouvant du jour au lendemain sur le front, l’arme à la main. C’est un sujet que je trouve vraiment passionnant et que j’aurais souhaité voir plus développer ici; la perception qu’ont tous ces combattants d’une guerre dans laquelle ils n’aperçoivent qu’une infime partie de toutes les composantes. Pourquoi/ pour quoi se battre ? Dans quel but ? Quelle en est la finalité ? L’individu n’existe que dans le collectif, il y est totalement assujetti, et sa vie est mise au service d’une cause qui le dépasse.

Ce roman nous raconte aussi le quotidien des soldats, derrière les horreurs de la guerre, où prennent trop souvent racines deux des plus grands vices de l’homme, le sexe et l’alcool. Ce sont les seuls plaisirs accessibles et tolérés, mais qui n’empêchent pas les excès et dérives, tout en étant le lieu où les amitiés se nouent et se pérennisent.

Concernant le rythme du récit, les cent premières pages m’ont parues extrêmement longues, l’histoire ayant du mal à trouver un point d’ancrage. Puis, tout s’accélère dans la seconde moitié du récit, emmenant Frédéric de rebondissements en rebondissements, qui s’avèrent drôles parfois. Nous sortons du cadre purement belliqueux de la guerre pour suivre la fuite et la reconstruction d’un homme et de sa compagne.

Pour conclure, je dirais que je reste plutôt mitigée. Ce livre m’a déplu par de nombreux points négatifs difficiles à surpasser. Mais en creusant en peu, il est vrai qu’Hemingway nous propose une réflexion en demi-teinte, personnelle et intime, sur la guerre, mais peut-être trop pâle pour marquer l’esprit du lecteur. Cette histoire serait d’ailleurs en partie autobiographique. L’adieu aux armes comporte très certainement plusieurs niveaux de lecture, propres à l’expérience de chacun. Je ne suis peut-être pas allée au-delà du premier niveau.

Et vous, avez-vous lu d’autres romans d’Hemingway ?

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