D’ordinaire, je ne suis pas une adepte de la « rentrée littéraire ». Je ne m’informe que de manière sporadique des dernières sorties, et j’ai toujours plusieurs mois, voire années, de retard. Mais cette année, et ceci est sûrement imputable au fait de tenir un blog, je m’y suis un peu intéressée, et ai rapidement jeté mon dévolu sur ce livre. En effet, cette histoire de « septième fonction du langage » avait tout pour m’intriguer; réminiscences de mes études universitaires où j’ai eu le plaisir d’assister à des cours de sémiotique et de linguistique, passionnants au demeurant.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Le 25 février 1980, Roland Barthes est assassiné alors qu’il transportait un document sur la septième fonction du langage, une fonction qui permet de convaincre n’importe qui de n’importe quoi. Le commissaire Jacques Bayard et le sémiologue Simon Herzog enquêtent parmi la crème du milieu intellectuel français et découvrent l’existence d’une société secrète, le Logos Club.

Mon avis

Je crois que cet article est l’un des plus difficiles qu’il m’ait été donné d’écrire depuis la création de mon blog. Je ne sais de quelle manière procéder, par quel bout aborder ce roman et surtout l’axe que je souhaite donner à ma critique. Car voyez-vous, ce livre est bien particulier, par tous ses bords il se révèle d’une complexité opaque le rendant d’autant plus fascinant. Je ressors de ma lecture noyée sous un flot d’impressions diverses mêlant l’admiration, la perplexité, le scandale et l’envie de crier au génie.

Je savais que ce livre serait quelque peu ardu à appréhender; le thème de la sémiotique est on ne peut plus obscur, alambiqué et divisé en de multiples courants de pensée. Ce roman nous entraîne au cœur des milieux intellectuels des années 70/80; vous y trouverez tous les grands philosophes français, et d’autres étrangers, de cette époque, avec Foucault en tête, Barthes donc, Sollers, Althusser, BHL, Kristeva, Derrida, Eco, Searle etc… Comment mettre en scène autant de têtes pensantes ? Comment faire évoluer des personnages ayant réellement existé en respectant leur personnalité, leur courant philosophique, leurs amitiés et inimitiés, tout cela sur fond d’assassinat et donc de scandale imminent ? C’est avancer sur un mince fil sans aucune accroche possible que de se lancer un tel défi.

Je vous rassure, vous, les lecteurs bien éloignés de ce monde-là, il n’est pas forcément besoin d’être agrégé de philosophie pour apprécier cette lecture. Certes, celle-ci vous demandera un minimum d’attention, de discernement et de persévérance afin de saisir les concepts exposés; mais croyez-moi, le discours est clair, aplani, abordable. Ce livre est une excellente manière de reconstituer le paysage philosophique du 20ème siècle, et d’en comprendre la dynamique et les racines séculaires. Néanmoins, si votre curiosité est la plus forte vous serez tentés d’approfondir tout ceci, et alors ne craignez pas d’allonger votre lecture de nombreuses heures.

Le décor est donc planté, nous avons des grands penseurs, mais aussi des politiques. Car l’action se déroule durant la campagne présidentielle de 1981, ayant vu s’affronter Giscard et Mitterrand. Elle repose sur l’accident tragique ayant coûté la vie de Roland Barthes. J’apprécie particulièrement l’idée de créer une fiction à partir d’un événement précis, inscrit dans les mémoires d’une époque, de le remodeler pour en faire les prémices d’une intrigue fictive, et de réattribuer les rôles des acteurs du moment. C’est osé, risqué, mais cela peut être merveilleusement ingénieux. En l’occurrence, ici, j’ai été convaincue. Les événements s’enchaînent à la perfection, le rythme est minutieux, les péripéties sont distillées au compte-gouttes pour maintenir le lecteur dans un état d’expectation excitant, les personnages sont fins, brillants, bien à leur place si je puis dire. Nos deux enquêteurs, le policier Bayard et le jeune professeur Herzog forment un duo étonnant et détonant, improbable mais dégageant une certaine harmonie et une complicité naissante.

Ce roman nous offre des joutes verbales exquises à travers le Logos Club (sorte de secte pour les orateurs amateurs de rhétorique regroupant les plus grands noms des milieux culturels) qui est une excellente invention, peut-être inspirée d’une réelle organisation je ne sais pas, permettant à l’auteur de satisfaire un plaisir égoïste, cela se ressent, et nous, lecteurs, nous réjouissons d’assister à des matchs de ce genre, délicieusement violents. En bref, j’ai adoré, et attendais impatiemment chaque nouveau duel pour m’en délecter.

Ce roman maintient un suspense haletant par le questionnement qui plane au-dessus du récit, à savoir, quelle peut bien être cette fameuse septième fonction du langage. Je ne vous dirai pas si nous obtenons une réponse, mais simplement que le chemin pour y arriver est sinueux, pluriel et voilé. Bayard et Herzog vont devoir faire preuve d’une très grande ouverture d’esprit afin de mettre la main sur ce secret si bien gardé.

Néanmoins, ce tableau idyllique cache une réalité qui m’a troublée durant ma lecture, et qui a bien failli me faire reposer le livre en cours de route. Lorsque je sous-entends que les personnages sont respectés, puisque la grande majorité ayant existé donc, je vous mens un peu. C’est-à-dire que leur philosophie est conservée, mais leur personne l’est moins. Ce serait certainement recourir au pléonasme que d’affirmer que les milieux intellectuels sont des nids de débauches s’inscrivant dans des mœurs groupales. Le savoir, ou tout du moins, le supposer, est suffisant. Or, ici, nous avons un étalement d’obscénités, de vulgarité, absolument écœurant faisant se résumer l’existence corporelle de ces philosophes à un étrange ballet entre sexualité débridée et consommation excessive de diverses substances psychotropes dans des orgies nauséeuses. J’ai été mal à l’aise en lisant ces descriptions scabreuses. D’autant plus que j’avais sous mes yeux la mise en scène supposée du quotidien de réelles personnes, et non de simples personnages fictifs. En tant que lectrice lambda, je n’avais pas envie de lire cela; des allusions m’auraient suffi. Ici, nous avons l’étalage d’une intimité pétulante qui contentera peut-être les lecteurs avides de scandales, mais qui n’a produit en moi qu’une profonde gêne. Je souhaitais souligner ce point car le livre est excellent, si l’on enlève ces scènes incongrues.

Je souhaiterais aussi revenir sur l’aspect politique de ce roman, qui est bien présent, puisque nous suivons de près les opposants des deux parties en lice. De plus, Barthes se serait fait percuter par un camion juste après un déjeuner avec Mitterrand. Inscrire la quête de la septième fonction du langage dans un cadre politique, cela paraissait évident. Néanmoins, j’aurais souhaité que celle-ci reste dans un cercle plus restreint, plus intimiste et ésotérique si j’ose dire, et le Logos Club représentait un environnement parfait. Je n’ai donc pas forcément apprécié que les politiques s’en mêlent, ceci était peut-être un peu trop prévisible à mon goût. La politique et l’art de convaincre sont du déjà-vu. D’ailleurs, j’ai cru jusqu’à la fin que l’auteur s’était finalement résolu à ne pas exploiter cette ficelle. Mais il a fait le choix d’un final, du côté de la politique, un peu convenu, qui déteint avec l’aspect novateur du récit.

Ce roman est d’une extrême intelligence, audacieux, malicieux et innovant, il nous offre une relecture de l’Histoire pertinente et amusante, tout en faisant l’apologie des beaux mots, de la pensée libre et du raisonnement. C’est une lecture qui saura vous plaire sous de multiples facettes, malgré quelques fâcheuses digressions et une orientation politique pouvant entacher l’aspect cabalistique de l’histoire.

Et vous, avez-vous décelé des pépites parmi les ouvrages de la rentrée littéraire ? Peut-être celui-ci fait-il partie de vos prochaines lectures ?

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