Vous le savez, la science-fiction n’est pas un genre vers lequel je me tourne, mais il se trouve que je me suis engagée à lire ce roman auprès d’un ami (coucou Cédric !). De l’univers du livre je m’étais fait des idées, j’imaginais une guerre entre les deux espèces sur une Terre ravagée. N’ayant pas vu le film original mais uniquement La planète des singes : Les origines, que j’ai fortement apprécié, j’avais construit mon propre scénario. Inutile de préciser que j’étais bien loin du roman, dont je ne soupçonnais pas l’auteur être français !

Résumé de l’éditeur

Y a-t-il des êtres humains ailleurs que dans notre galaxie ? C’est la question que se posent le professeur Antelle, Arthur Levain, son second, et le journaliste Ulysse Mérou, lorsque, de leur vaisseau spatial, ils observent le paysage d’une planète proche de Bételgeuse : on aperçoit des villes, des routes curieusement semblables à celles de notre Terre. Après s’y être posés, les trois hommes découvrent que la planète est habitée par des singes…

Mon avis

Premier étonnement, la Terre est derrière nous dès la première page, avec une introduction savoureuse qui évoque une bouteille à la mer, plutôt dans l’univers, contenant un document sur lequel est inscrit l’histoire à venir. Nous sommes en 2500, une expédition est entreprise dans le lointain, auprès d’une étoile qui fait office de Soleil pour plusieurs planètes, dont l’une est la sœur jumelle de notre Terre. Trois aventuriers sont de la partie. Le voyage dure deux ans, l’auteur en distille les détails techniques et scientifiques. Bien. Donc la planète des singes est une vraie planète, qui a ses ressources, son fonctionnement et sa galaxie.

Le narrateur est un journaliste de la mission, Ulysse. Une fois atterris, il découvrent, ou redécouvrent, un environnement semblable en tous points à leur bonne vieille planète laissée pourtant à des milliers d’années-lumière de là. Et puis, ils croisent les premiers êtres vivants : des hommes. Comme eux. Nus. Mais des hommes à qui il manque une chose essentielle : la conscience, la lueur dans le regard, l’âme, appelez ça comme vous le voudrez. Ils se comportent en animal.

La scène de basculement est une bataille, une chasse plutôt, dans laquelle les ennemis de ces bipèdes imberbes sont des singes, des gorilles. Ulysse est pris dans un piège. Emporté de force avec ses congénères, il se retrouve vendu à un centre de tests, offert aux membres de l’équipe comme objet d’étude. Son unique but sera alors de faire valoir son identité et ses origines. Lui est un Homme de la Terre, doué d’intelligence, de sensibilité et de cognition.

La lecture de ce récit aura été poinçonnée par l’apparition de plusieurs sentiments. L’aspect « conquête spatiale » nous offre une introduction fantastique tendant à placer le lecteur dans une dynamique surnaturelle. La propulsion vers un au-delà de notre Voie lactée permet une mise à distance, une ouverture de l’esprit du lecteur, une prédisposition à accueillir les événements à venir comme exotiques. L’enchantement laisse ensuite la place au trouble. Quitter une planète pour retrouver sensiblement la même fait dérailler le cerveau, brouille les préconçus, emmêle son propre réseau de connaissances. Sur quels fondements de savoir juger les faits ? Et puis, ces hommes qui ont tout l’air d’en être mais qui ne le sont pas vraiment. Je me suis trouvée profondément gênée par cette mise en scène où mes repères ont vacillé, à l’instar d’Ulysse bien sûr, qui pourtant, malgré la parfaite intégration et intellectualisation de cette expérience, relate son aventure au même rythme que s’il avait tenu un journal de bord. Au plus près du réel.

Il retranscrit à la lueur du paradoxe de la planète l’évolution de son mental, sacrément tourmenté. Sa force est de n’avoir jamais cédé face à la pression du groupe. Seul contre tous mais pourtant déterminé à se faire entendre. Pour mieux nous assurer de la solidité de son caractère, l’auteur nous montre le sage scientifique, grande tête sur Terre, sèchement ramolli, vidé, dénaturé. C’est une coquille vide au regard éteint. Si même le penseur sombre, que reste-t-il d’espoir ?

J’ai suivi le périple d’Ulysse non comme celui d’un explorateur en terre inconnue — où l’on nous trompe bien souvent sur la supposée infériorité du héros dans un environnement hostile — mais comme la lutte d’un homme au nom de l’humanité entière. Comme si le jeune journaliste était garant de notre espèce. En cela, Ulysse est le héros le moins bien aidé de toute la littérature puisque pris dans une position au degré d’inextricabilité rarement atteint. Imaginez donc un singe devant prouver qu’il possède le niveau d’intelligence d’un homme. Oui, mais un singe venu d’un ailleurs où tous les singes sont savants. Inverser le processus pour mieux juger de son absurdité, tel est le point de départ du texte.

L’angoisse, le tiraillement, la colère ont été pour moi de véritables moteurs. Ainsi, la lumière apparue sous la forme d’une chimpanzé intriguée par l’énergumène prétendant être au niveau de leur race a représenté la fin d’une longue détresse. Ouf ! Enfin, Ulysse entrevoit une voie de secours. Il peut être entendu, considéré, sauvé.

C’est fascinant comme l’expérience d’un personnage annihilé peut être à ce point pénible à lire. En lui déniant tout, tout ce qui constitue notre être, à savoir le langage, la conscience de soi, la pensée, le sentiment, on en fait soit un fou, soit un abruti. Ce processus d’avilissement est le pire qui soit. Ici pourtant, il ne dure que peu. Ulysse reprend le dessus. C’est du côté de l’espoir que l’auteur penche, plutôt que de la décrépitude ; le texte n’aurait sinon pas eu grand intérêt. La descente aux enfers est passagère. Lui succède un combat acharné, une lutte oratoire, morale, psychologique et expérimentale pour faire la preuve des qualités fondamentales constituant l’humain, ou ici le simiesque.

L’auteur propose une théorie de l’évolution contraire à la nôtre, sans être révolutionnaire. Ce n’est pas le singe qui est cousin de l’Homme, mais l’inverse. Il n’a pas poussé la spéculation bien loin, a simplement interverti les branches. Le procédé est simple sur le papier, mais il fallait tout de même oser exploiter l’idée. Pierre Boulle n’est pas tombé dans l’excès en présentant un miroir déformé de notre société. On aura bien compris la pensée générale. Les parallèles sont légers. En effet, il ne s’attarde guère sur la division sociale des singes ni sur leur construction sociétale. Je craignais justement l’angle de la dystopie du point de vue socio-politique ; bien que, évidemment, on puisse considérer ce roman comme telle. J’y ai davantage perçu une profonde réflexion sur la fragilité de notre espèce et en filigrane une condamnation de sa prétendue domination. L’auteur s’est amusé à la faire basculer dans l’absurde. En cela, sa démarche se rapproche de celle de Vincent Message, les deux textes m’ayant secouée de la même manière, ayant ébranlé les mêmes zones de certitude.

La planète des singes est une très belle découverte. Nonobstant le malaise évident qui a fortement perturbé ma lecture — mais qui fait partie de l’expérience, à l’évidence ce roman est une réussite — l’intrigue en elle-même est amusante, construite par paliers bien définis. Le schéma narratif est infaillible et sans réelle surprise. Les lecteurs pourront déguster l’histoire à leur manière. Quand certains s’arrêteront sur le cheminement pugnace du héros, d’autres en dégageront du spirituel, du philosophique.

Quant à la fin, sur laquelle j’ai beaucoup spéculé en entendant divers sons de cloche, je me garde de toute interprétation. Pour être honnête, elle ne m’a pas plu. Quoi qu’il en soit, je reste stupéfaite du modelage de l’histoire proposé par Hollywood dans le film de 2011. Je l’ai aimé mais… après avoir lu le texte original j’ai l’impression d’être confrontée à deux visions divergentes. Permettez-moi tout de même de m’arrêter sur celle de l’auteur. Rendons à César ce qui lui appartient ! (Oh, tiens ! Vous le voyez le jeu de mots ? 😉 )

Et vous, connaissez-vous cette histoire à travers les films ? ou le livre ?

 

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