C’est avec grand plaisir que j’ai eu la chance de participer ce mois-ci à la Voie des Indés du réseau Libfly que m’a fait découvrir  Goran. Chaque mois, le site sélectionne quelques titres de maisons d’édition indépendantes et les propose gratuitement en lecture contre avis. C’est le genre de concept  que j’ai envie de faire circuler, l’idée même du site oui, mais surtout les « petits » éditeurs méconnus qui n’ont souvent rien à envier aux plus grandes maisons. Je regrette de constater que la majorité de mes lectures est issue de ces dernières. Il est vrai que j’y trouve mon compte et mon plaisir, mais c’est décidé, 2017 sera l’année de la découverte pour moi, je vais m’ouvrir à d’autres horizons littéraires !

Ayant pris le train à l’heure cette fois-ci, j’ai pu faire mon choix parmi la sélection de livres. Et c’est naturellement vers une histoire familiale que je me suis orientée…

Un récit publié aux éditions du Chemin de fer.

Résumé de l’éditeur15592179_10154861963438044_609465576_n

Anna et ses deux frères se retrouvent pour vider la maison familiale, après la disparition de leurs parents. Confrontés aux non-dits, à l’impossibilité de communiquer, ils renouent, dans le jardin, avec le jeu du loup de leur enfance. Resurgissent alors les fantômes du passé, qui ont fait d’eux ce qu’ils sont aujourd’hui : une fratrie incapable de faire face aux souvenirs, d’affronter ses fêlures.

Mon avis

Parlons de l’objet livre. Quelle surprise de découvrir un si mince volume de quelque soixante pages. Le papier est beau, doux, épais ; j’ai eu comme l’impression de tenir un petit carnet entre mes mains. Impression renforcée par les illustrations parsemant les pages, sur lesquelles je reviendrai.

La fille aux loups est un texte court nous racontant une rencontre, des retrouvailles plutôt, entre deux frères et une sœur au lendemain de la mort de leurs parents. Ils reforment une famille, l’espace d’un instant, dans la maison qui les a vus grandir, dans laquelle l’odeur de la mère et du père persiste, mémoire collective, lieu de pèlerinage en quelque sorte pour ces adultes qui se retrouvent nez à nez avec leur(s) enfance(s).

C’est sur le rythme du jeu du loup que se dessine l’histoire, que les mots, les phrases prennent forme. Comme dans leur plus jeune âge, ils courent dans le jardin, se bousculant, se frôlant, à qui sera le prochain loup. De ces trois personnages je me souviendrai surtout d’Anna, personnage qui étouffe, qui est en souffrance, tourmentée dans sa vie sentimentale, manipulatrice d’hommes, Anna la menteuse, la cachottière, l’insaisissable, la seule fille de cette fratrie, Anna fait peine. Il y a Simon aussi, le dodu, l’inconfortable, l’absent, celui que l’on mettait de côté, celui que son père ignorait de manière odieuse, il a choisi de se faire voir en prenant de l’ampleur, en s’épaississant. Et puis il y a l’aîné, Pierre, celui peut-être sur lequel l’auteur s’épanche le moins, comme tout aîné il est vite effacé par les suivants.

Ce récit est la peinture d’une famille vue à travers les yeux des enfants devenus adultes. L’idée est riche, un puits sans fond tant il y aurait à en dire. Le lecteur colle un à un les morceaux d’une photographie, celle des deux parents, côte à côte dans leurs deux fauteuils qu’ils n’auraient échangés pour rien au monde. De ces parents, nous apprenons, à demi-mot, à peine murmuré, qu’ils étaient spéciaux, peut-être maltraitants. Par un sous-entendu l’on soupçonne l’inceste, entre les frères et la sœur, commis par le grand-père peut-être, tout ceci n’est pas bien clair. Mais une seule certitude se profile, il y a eu violence, et c’est sûrement Anna qui est la plus apte à en parler car ses cicatrices sont toujours à vif.

Ainsi, nous ne saurons rien de ce qu’a véritablement été leur enfance. Nous avons des souvenirs, comme distendus par les années, sont-ils véridiques ou reconstruits ? D’autant que de l’un à l’autre ils sont bien différents, rien ne les relie. Ils appartiennent à chacun, ils ne sont pas partagés. Ces frères et sœurs sont égoïstes dans leur manière de se rappeler. Nous découvrons une fratrie éclatée, incapable de se retrouver, incapable d’évoquer ensemble ce qu’a été leur enfance commune, incapable même de se toucher. Il y a pourtant quelque chose entre eux à percer, un accouchement douloureux à faire, il est bien temps à présent que les parents ne sont plus là.

Je regrette que leur rencontre soit si infructueuse, chacun étant occupé avec ses propres souvenirs, qu’il n’y ait pas une mise à plat plus prononcée, qu’il n’y ait pas confrontation. Il y a seulement le jeu du loup pour faire lien, pour rassembler, mais c’est bien futile, bien stérile. Il m’a manqué du dialogue, il m’a manqué une collision, un affrontement oui. Je suis ressortie avec l’impression d’en être à l’aube d’une naissance, d’avoir raté l’essentiel, de quitter les personnages trop tôt, beaucoup trop tôt ; de ne pas avoir pu rentrer dans l’histoire finalement. L’auteur nous dresse seulement le portrait des protagonistes, c’est très court, alors même que le thème du livre était d’une richesse absolue. Qu’en est-il du pardon ? De l’oubli ? De la résilience ? Ils ne sont qu’à peine effleurés. Pourtant, nous avons là, sous nos yeux, des sujets tourmentés réunis dans un jeu symbolique qui aurait pu être le théâtre d’une véritable explosion, entre réminiscences et dissensions.

Nous touchons du doigt des adultes meurtris, esseulés, livrés à eux-mêmes, en proie toujours à leurs douleurs d’enfant, chacun à sa manière revivant des scènes du passé, reconstruisant la mémoire de la famille ; comme s’ils n’avaient pas eu les mêmes parents. C’est le propre d’une fratrie, être issus d’une même parenté et être pourtant si différents, avoir aussi sa propre interprétation du modèle parental. Mais les bribes de passé sont insuffisantes, pas assez fortes pour que le tableau soit complet, il est davantage fait de trous que de liens. Je n’ai pas vu cette famille prendre vie sous mes yeux.

Le récit est entrecoupé d’illustrations, découpages de photographies ou dessins. N’étant pas particulièrement sensible à ce genre de collage, je n’en ai apprécié ni l’utilité ni la valeur. Selon moi, un écrit fictif se passe d’illustrations ; surtout que celles-ci sont sans grand rapport, je dirai concret, avec le texte. Un papillon, le toit d’une maison, pourquoi ? Je ne comprends pas cette abstraction…Je suis passée bien vite dessus.

Malgré ma surprise au vu de la taille du texte, puis de son contenu, un avant-goût d’un quelque chose qui demeure un mystère, j’ai apprécié la plume de l’auteur, prometteuse et maîtrisée. En réalité, j’ai apprécié aussi le récit, j’ai pu deviner les blessures, ressentir la peine des personnages, et l’ambiance de non-dit et de fuite est finement retranscrite. Il me manquait le triple de pages, le triple d’explications, le triple de mots pour que cela me paraisse pleinement abouti.

Et vous, vous orientez-vous parfois vers des éditeurs moins connus ?

Rendez-vous sur Hellocoton !