Cela faisait longtemps que je n’avais lu de roman de Balzac, qui est un auteur que j’apprécie énormément, comme beaucoup d’écrivains du 19ème siècle, bien qu’il ne soit pas le plus facile à appréhender. La cousine Bette fait partie de son œuvre magistrale La comédie humaine, comportant un nombre incalculable de personnages hauts en couleur que l’on prend plaisir à retrouver d’une histoire à une autre, dont le très célèbre Eugène Rastignac qui se faufile parmi les pages. Je tiens à souligner que l’édition dans laquelle j’ai lu ce roman commet un massacre sur cette œuvre, à grand renfort de fautes d’orthographe et de coquilles sautant aux yeux des moins regardants.

Mon avis

Balzac n’est pas un écrivain évident à lire. Sa prose est très descriptive,  maniérée et pompeuse parfois, représentative de sa personne en somme. Il est loin de la « simplicité » apparente d’un Zola. Pour autant, les précédents livres que j’ai lus, entre autres Le Père Goriot et Eugénie Grandet, pour ne citer que les plus connus, m’ont surtout marquée par le dramatique des personnages et des situations, et l’humour cassant de Balzac, souvent teinté d’ironie. Bien sûr, dans chacun de ses ouvrages il dresse un portrait peu flatteur de la société de son époque, de toutes les classes sociales, n’épargnant personne. Mais dans La cousine Bette, je n’ai pas retrouvé l’ambiance sombre dont j’avais l’habitude.

Le ton m’a paru un peu plus léger, presque théâtral, ceci est notamment dû à l’omniprésence des dialogues et à la tournure vaudevillesque de l’intrigue. Pour autant, l’écriture m’a été parfois difficile à digérer. Balzac n’emprunte pas le chemin de la simplicité pour exprimer ses idées. C’est beau, c’est lyrique, c’est de la grande littérature, mais ça n’en reste pas moins complexe, à lire et à comprendre. Disons qu’il a fallu que je m’accroche bien, butant sur de nombreuses phrases dont le sens et la portée m’ont échappé. Mais le plaisir de parcourir une écriture aussi soignée n’en a été que plus exacerbé.

L’intrigue en elle-même, pleine de rebondissements, de fils entrelacés et de fausses pistes, est on ne peut plus alambiquée. D’un chapitre à l’autre – les chapitres sont d’ailleurs extrêmement courts car le rythme est dense – nous assistons au déroulement d’un tapis qui paraît sans fin. Cette histoire souffre de trop d’informations transmises à travers de multiples péripéties, qui ont fini par m’égarer. J’ai tenté de suivre le même fil directeur, afin de préserver dans ma mémoire le sens du récit et de ne pas me perdre dans les histoires annexes ; mais Balzac est un filou car tout ce qu’il nous dit converge vers un même but, une même finalité, il ne balade pas le lecteur pour le simple plaisir de lui faire tourner la tête, ici rien n’est superflu. Son histoire est tellement construite, pensée, réfléchie dans des détails infinitésimaux, que sa complexité apparente n’est due qu’au fait que Balzac expose celle-ci en nous donnant toutes les clefs pour la rendre la plus intelligible possible. Hélas, ma mémoire à court terme n’est peut-être pas assez entraînée pour ce genre d’exercice fastidieux que représente l’avancée dans une histoire née d’un esprit aussi créatif et rigoureux que celui de Balzac.

Néanmoins, bien que je ne nierais pas le fait qu’une partie non négligeable de La cousine Bette soit très certainement passée au travers de mon attention, je pense pouvoir juger de manière convenable l’histoire qui m’a été contée. Je dirais dans un premier temps que le titre est plutôt trompeur puisque la cousine Bette n’est pas le personnage principal de ce roman. Je dirais même que sa présence est spectrale ; elle est toujours là, mais dans l’ombre des autres personnages. Le livre m’était présenté comme le récit d’une femme aigrie qui, par esprit de vengeance sur sa famille, va en manipuler les membres les uns après les autres. Certes, cette femme a des projets plus que contestables, envers notamment sa sœur aînée, dont la beauté et la bonté d’âme n’ont d’égale que la laideur de Bette, néanmoins ce personnage mesquin et vil n’aurait pu voir ses desseins aboutir sans l’aide d’un personnage encore plus détestable, qui est Madame Marneffe, une courtisane d’une vive intelligence mais aussi d’un grand égoïsme. C’est une sacrée bonne femme que celle-ci, elle porte le roman à elle seule en écrasant largement les autres personnages féminins. Il faut dire qu’elle est la cible des crocs de plus d’un homme, qui vont un à un sombrer dans l’abîme que représente ses charmes charnels; sous les regards parfois jaloux, parfois admiratifs de ses rivales.

Finalement, la cousine Bette paraît bien pathétique à ses côtés, on la prendrait presque en pitié, car sa bêtise se fait balayer par l’intelligence de Madame Marneffe avec qui elle va se lier d’une amitié malsaine. On pardonne plus facilement aux imbéciles, dont les actes sont motivés par des mobiles moins vicieux.

Balzac a un don unique pour décrire les mœurs amoureuses de son époque. Je me suis littéralement délectée de ses analyses extrêmement fines et intelligentes sur les relations entre hommes et femmes. Il nous présente sa propre thèse sur l’adultère, qui est d’une justesse incroyable et qui a cela d’extraordinaire qu’elle transcende toutes les époques, et qu’elle pourrait très clairement s’appliquer à la nôtre, où le taux de divorce n’a jamais été aussi élevé. Voici un extrait que je trouve particulièrement succulent :

« L’amour, cette immense débauche de la raison, ce mâle et sévère plaisir des grandes âmes, et le plaisir, cette vulgarité vendue sur place, sont deux faces différentes d’un même fait. La femme qui satisfait ces deux vastes appétits des deux natures, est aussi rare, dans le sexe, que le grand général, le grand écrivain, le grand artiste, le grand inventeur, le sont dans une nation. L’homme supérieur comme l’imbécile […] ressentent également le besoin de l’idéal et celui du plaisir ; tous vont cherchant ce mystérieux androgyne, cette rareté, qui, la plupart du temps, se trouve être un ouvrage en deux volumes. Cette recherche est une dépravation due à la société. Certes, le mariage doit être accepté comme une tâche, il est la vie avec ses travaux et ses durs sacrifices également faits des deux côtés. Les libertins, ces chercheurs de trésors, sont aussi coupables que d’autres malfaiteurs plus sévèrement punis qu’eux. Cette réflexion n’est pas un placage de morale, elle donne la raison de bien des malheurs incompris. »

Balzac est un homme d’une clairvoyance surprenante, un visionnaire de son époque à qui rien n’échappe, et qui a l’intelligence de ceux qui savent se mettre à toutes les places possibles et ne pas se contenter de leur simple position pour porter un jugement ou une analyse sur une situation. Et cela est admirable. À travers les personnages qu’il met en scène et les histoires qu’il nous raconte, Balzac propose un véritable décorticage de la France du 19e siècle. C’est une photographie d’une époque prise avec le regard d’un homme mûr et réfléchi.

La cousine Bette est un roman sur le couple et plus particulièrement sur le mariage. Les hommes n’ont pas les plus beaux rôles, ils sont d’une faiblesse sans nom face aux jolies demoiselles. Nous avons un parfait exemple du mari infidèle, à la limite de la pathologie, et de la femme volontairement aveugle par passion et admiration. Je n’ai pas pu échapper à un profond désir de secouer cette dernière, mais une femme ignorante par choix est bien trop irraisonnable, et en l’occurrence ici elle le sera jusqu’à la fin de sa vie, qu’elle n’aura vécue qu’à moitié, offrant largement sa part de plaisir à son mari ; à un point qui peut paraître inconcevable pour beaucoup d’entre nous.

Ce roman nous parle de la manipulation sous toutes ses formes, du pouvoir de l’argent et du danger qu’il représente lorsqu’il vient s’immiscer dans les relations familiales. L’argent et le sexe sont encore une fois les deux pièces maîtresses de ce jeu de rôle où chacun arbore un masque différent en fonction de son auditeur. Ces deux jetons sont bien trop souvent les mobiles des actes les plus vils ; que les joueurs en soient des femmes ou des hommes d’ailleurs. Car Balzac fournit sa part de vice aux deux sexes, évitant les stéréotypes sexués en contrebalançant les personnages trop prononcés par d’autres plus nuancés. Les enfants Hulot, Hortense et Victorin, représentent l’équilibre et la sagesse qui font tant défaut à leurs parents, et vont être les premières victimes des passions de leur père.

De plus, Balzac nous propose quelques réflexions sur la position des artistes de son époque, et ce que ce terme regroupe comme personnages divers et variés. Wenceslas incarne l’avatar de l’artiste fainéant et oisif que Balzac semble abhorrer. Ce qui n’est point sans faire sourire. Il nous donne son avis sur l’art, et se moque des gens de peu de goût qui, par envie de se conformer aux riches gens, s’orientent vers de pâles copies.

La cousine Bette n’est pas le premier roman que je conseillerais pour débuter avec Balzac, car l’intrigue complexe et l’écriture particulièrement méticuleuse peuvent en dérouter plus d’un. Néanmoins, on l’appréciera pour le talent indéniable de l’écrivain dans ses descriptions et sa mise en scène de personnages universels et intemporels, avec une minutie quasi chirurgicale rendant la fresque d’autant plus vivante.

Et vous, avez-vous lu un ou plusieurs romans de Balzac qui vous ont particulièrement marqué ?

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