Je poursuis ma lecture des Rougon-Macquart, qui arrive bientôt à sa fin, avec le quatrième volume de la série. J’ai, depuis bien longtemps, abandonné l’idée de suivre une logique dans mes lectures. En effet, j’ai lu les différents volumes par ordre de « popularité », en commençant par les plus célèbres. Mais il s’est rapidement avéré que mes préférences n’allaient pas forcément vers les romans les plus réputés. Par exemple, Germinal est l’un de ceux que j’ai le moins appréciés. Malgré ce désordre dans le procédé, je parviens à m’y retrouver dans les personnages et la chronologie des événements, bien qu’il me faille toujours l’arbre généalogique de la famille à portée de mains. J’éprouve ainsi une pointe de nostalgie à l’idée de clore cette œuvre gigantesque, qui aura nécessité cinq années pour en arriver au bout, avec un rythme de lecture plus ou moins soutenu. Il ne me reste plus que L’Argent, Son excellence Eugène Rougon et La Débâcle.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

La conquête de Plassans qui donne son titre au quatrième roman des Rougon-Macquart est l’ambition que précisément s’est fixée Faujas, prêtre bonapartiste ambitieux et sans scrupules, de s’assujettir la ville légitimiste, première étape de l’ascension à laquelle il aspire. Par son pouvoir croissant sur les esprits et sur les âmes, il met en oeuvre une stratégie satanique couronnée de succès – avant la catastrophe.

Mon avis

La Conquête de Plassans est une histoire de convoitises, celle d’un prêtre voulant mettre la ville à ses pieds étant le projet le plus ambitieux du livre. En outre, tous les personnages de ce roman sont en proie à une ambition bien précise, souvent destructrice pour les autres, dont la famille Mouret va être la principale victime.

Cela m’est difficile à admettre, mais j’ai eu bien du mal à rentrer dans cette histoire. C’est la première fois que quelques centaines de pages ont défilé avant que je me sente concernée par le récit. Non pas que l’écriture soit plus ardue que d’ordinaire, loin de là, je le répète mais Zola est selon moi l’écrivain classique le plus accessible, mais la situation initiale ne m’a pas séduite avec autant de facilité. Il ne m’a pas été évident de trouver un point d’accroche dans la mise en place de l’histoire, elle n’a pas éveillé mes émotions et mon attachement aux personnages aussi aisément que dans les autres romans. Néanmoins, le talent de l’écrivain pour construire la structure de son drame parvient à vous saisir à un moment ou à un autre, bien que tardif ici. Car les histoires de Zola se déroulent sous nos yeux telle une fresque, les personnages prennent vie et force au gré des péripéties qui abondent et exaltent leurs caractères. Ainsi, c’est à partir de la seconde partie du récit que j’ai été transportée, lorsque le tragique vient apposer son sceau. Le drame final était finement préparé, Zola a minutieusement amené son dénouement. Celui-ci vous renverse, vous saisit à la gorge, dans une mise en scène grandiose, où l’héroïsme côtoie la couardise.

Les personnages sont épais, ils sont saisissant de réalisme, comme façonnés dans la pierre. Que ce soit l’Abbé Faujas, qui nous échappe, nous filant entre les doigts par sa viscosité de caractère, ou Marthe, dont la névrose est patente, touchante dans son rôle d’épouse et de mère dévouée, puis écœurante dans son apitoiement et sa ferveur religieuse aussi brutale que surjouée, et enfin son époux François Mouret, qui m’a touchée en plein cœur car objet de toutes les injustices. Je pourrais ainsi vous décrire chaque personnage par des caractéristiques propres, grâce aux infimes détails de leurs personnalités avec lesquels Zola tisse son texte.

La Conquête de Plassans est un récit sur la folie. Il y a celle qui est factice car née de la rumeur, du voyeurisme ambiant, du goût prononcé pour le scandale, des on-dit destructeurs. Cette folie qui n’existe qu’à travers les yeux de ceux qui souhaitent la mort à petit feu de leur victime, se délectant du spectacle qu’offre le déclin d’un homme. Et il y a la « vraie » folie, celle d’une femme sujette à de violentes crises d’autodestruction, de scarifications, de pleurs déchirants, dans un délire mystique. Mais celle-ci, il n’y a personne pour la constater, car elle se manifeste dans la chambre conjugale, à la nuit tombée. Et puis, il est si facile de fermer les yeux et de rejeter la faute sur le mari en l’accusant de battre sa femme.

Ce roman, c’est aussi et surtout le récit de la déchéance d’une famille par un seul homme, l’Abbé Faujas, aidé par le voisinage proche, ces spectateurs inactifs qui colportent la rumeur comme une sale maladie. Le couple Mouret est déchiré, les enfants sont peu à peu éloignés du foyer familial. Des Mouret, il ne restera plus rien, si ce n’est les trois enfants éparpillés un peu partout, et que l’on retrouvera dans les prochains romans (Au bonheur des dames et La faute de l’Abbé Mouret). Dès l’arrivée de Faujas et de sa mère, le lecteur sait pertinemment que le diable est entré dans la maison, et qu’il ne la quittera plus. L’incendie final est le paroxysme de cette montée en puissance machiavélique. La maison des Mouret est ainsi une figure centrale dans le roman. Comme dans la majorité de ses récits, Zola privilégie un lieu pour en faire le terrain de jeu des passions et des drames constitutifs de son histoire. Ici, le foyer Mouret est un lieu empli de symboles, il devient un personnage à part entière qui évolue de manière significative, en effet miroir avec ses habitants. Les gens s’y retrouvent, s’y mêlent, ne font qu’y passer ou s’y installent confortablement. Au début du récit, la maison est un espace de neutralité, cernée par les habitations des figures des deux clans politiques du village. Puis elle devient une arène où les luttes s’engagent. Elle est dans le même temps objet de convoitise aux yeux des Faujas, la sœur Olympe dans un désir orgiaque, la mère dans des velléités de confort, le frère Ovide dans une ambition de pouvoir.

Ce roman est aussi un récit sur la manipulation sous toutes ses formes. Il est une condamnation de l’égoïsme, de l’individualisme pour arriver à ses fins, du peu de scrupule que les odieuses gens mettent dans leurs actes pour écraser l’autre, afin de profiter de sa fortune, de son foyer, de sa renommée ou encore de son cercle de connaissances. C’est à travers notamment la rumeur que les ambitions tracent leur chemin, provoquant un raz-de-marée dans une famille déjà affaiblie par les fissures dont on perçoit la présence au début du roman. Ici, Marthe est un sujet de choix, elle rentre dans la religion avec une facilité et une dévotion déconcertante, elle qui n’a pourtant jamais été pieuse, qui nous font douter de l’authenticité de sa foi. Elle est le personnage le plus malléable de l’histoire, emportant dans son sillage son époux malheureux. Le lecteur se révoltera contre son relâchement dans son rôle de mère, l’abandon de son foyer et son aveuglement face à des personnes qui l’utilisent sans aucune considération. La révolte finale de Marthe, ou son éclair de lucidité, est sourd, murmuré, presque honteux, mais bien trop tardif pour être décisif dans son destin et celui de son époux.

L’évolution des personnages chez Zola est d’une maîtrise parfaite , loin d’être hasardeuse elle suit de manière étroite le cours des événements dans une imbrication entre l’être et le faire des plus pointues. Les personnages semblent suivre un parcours tracé au préalable, ancré dans leur chair, dont ils ne peuvent trop s’éloigner. Et l’on retrouve ici cette hérédité chère à Zola, la transmission des tares familiales étant le pilier de son Œuvre. L’auteur a souhaité dessiner des personnages issus d’une même aïeule, la Tante Dide, qui est recluse dans un asile, mais que l’on retrouve de-ci de-là dans quelques romans, dont celui-ci entre autres. Les failles des ancêtres ressurgissent, et l’on s’amuse à reconstruire l’arbre généalogique des vices, qui parfois sautent une génération. Ici Marthe et François, l’une Rougon, l’autre Macquart, forment un couple voué à l’autodestruction par la combinaison de leurs sangs et de tout ce qu’ils transportent.

Zola c’est le génie dans l’art de croiser des thèmes, de les imbriquer les uns dans les autres, de nous décrire des histoires de vie qui ne forment qu’une seule grande histoire. C’est en même temps une critique acerbe de la société de son époque, qu’il décortique sous toutes ses coutures. Chaque livre est unique car traite d’une problématique précise, inédite parmi les autres. On ne peut confondre aucun des romans qui constituent la série des Rougon-Macquart, et cela est déjà une performance. Et lorsque l’on prend du recul pour mieux contempler cette œuvre magistrale, l’on ne peut que s’extasier du sublime de ce travail gigantesque, colossal, d’une perfection et d’une complétude rare. Je reste admirative et fascinée devant une telle méticulosité dans l’acharnement.

Et vous, quels sont les livres de Zola qui vous ont le plus marqués ?

Rendez-vous sur Hellocoton !