Voici un drôle de roman que j’ai pioché dans une liste de « livres à lire » sur je ne sais quel site lorsque j’étais à la recherche de matière neuve. Le résumé de quelques lignes m’a suffi pour attiser ma curiosité. Un livre inclassable avec un personnage apparemment mémorable, une bizarrerie littéraire donc ?

Résumé de l’éditeur

À trente ans passés, Ignatius vit encore cloîtré chez sa mère, à La Nouvelle-Orléans. Harassée par ses frasques, celle-ci le somme de trouver du travail. C’est sans compter avec sa silhouette éléphantesque et son arrogance bizarre …

Mon avis

Autant vous dire que l’impression diffusée par ce bref résumé a été largement confirmée à ma lecture. Comment vous parler de ce roman sans risquer de déflorer la seule chose qui mérite son intérêt, à savoir une bonne dose d’humour inqualifiable envoyée en pleine figure à chaque page, comme une rasade d’alcool fort qui vous prend par surprise, mais qui, comme toute substance éthylique, provoque à la longue des effets beaucoup moins euphorisants.

Mais revenons plus en avant. Le lecteur se cogne à Ignatius. Il fait la connaissance aussi brutale que parasite avec cet impressionnant personnage. Ignatius est gros, obèse même, grand, mal vêtu, débraillé, arborant une casquette de chasse et des semi-bottillons qui ont bien vécu. Ignatius se remarque de loin, il s’impose à vos yeux, il est ce que l’on peut qualifier de « pollution visuelle », mais pas que, car loin d’être un obstacle se dressant face à vous, il est aussi une véritable calamité qui dégouline sur chaque passant qu’il croise. Ignatius est gaffeur, grande gueule, irréfléchi, provocateur, glacial en société. Pour compléter le tableau il faut lui ajouter des qualités sociales et relationnelles telles que la mauvaise foi, l’hypocrisie, l’antipathie, l’impolitesse et l’arrogance. Vous avez sous vos yeux le parfait misanthrope qui ne se contente pas de cracher son venin sur une simple catégorie de personnes, mais sur tout être vivant susceptible de croiser un jour sa puante route.

Les misanthropes, quoi que ce terme ne soit pas parfaitement exact pour le qualifier, je les adore. Ils me font rire, me renvoient l’image d’une infime partie de ce que je suis, de ce que nous sommes tous et c’est pour cela qu’on les aime d’ailleurs, ils sont le plus souvent intelligents et piquants ; ils représentent des personnalités fort riches que l’on n’a pas fini d’exploiter. Ignatius en est une sorte, disons qu’il pourrait éventuellement se glisser dans cette catégorie. À lui seul il contient tout ce qui rend misanthrope ses contemporains, les faisant d’ailleurs paraître, à ses côtés, bien gentillets. Ignatius est le roi des paresseux qui croit lutter, mais il ne fait que nager dans la choucroute, pour élever le monde dans lequel il vit. C’est un philosophe de chambre qui a des idées, qui se tiennent parfois, mais inapplicables car nées d’un esprit résolument fermé à toute évolution. Ainsi, Ignatius élabore un journal dans lequel il retranscrit ses pitoyables expériences et ses théories fumeuses. Je dois dire que ces tentatives littéraires sont des divertissements fort intéressants, Ignatius a une plume qui mérite qu’on s’y attarde, une verve dans le style, un bagou presque trompeur. Pourtant, il ne faut pas oublier le grossier personnage se camouflant sous ce langage soutenu que vous aurez vite en horreur.

Nous le suivons à un moment de bascule dans son existence, l’énergumène se retrouvant contraint de chercher un travail. Après vous avoir dressé un tel portrait, vous comprendrez que cette quête s’avérera bien grotesque, ubuesque. Incapable qu’il est d’émettre le moindre effort, et même de saisir l’intérêt pour tout un chacun de se lever le matin afin de participer à la grande marche du monde, il sabote tout ce qu’il entreprend. Ceci nous offre des scènes cocasses d’une drôlerie presque dérangeante. Ignatius passe d’employé de bureau au sein d’une entreprise de textile à vendeur de hot dogs ambulant. Ma préférence se dirige vers ce deuxième emploi dans lequel il brille.

Ce livre est un étalage d’absurdités, de grossièretés, d’inconvenances. Pour autant, l’histoire ne sombre jamais dans le vulgaire, c’est au moins à souligner. J’ai parcouru les mésaventures de notre antihéros avec un regard toujours plus ahuri, les yeux comme deux ronds de flan, ne sachant pas très bien où un tel hurluberlu allait nous mener. Que devais-je en attendre ? Il ne s’agit en l’occurrence pas d’un livre dans lequel le personnage principal part d’un stade A pour migrer vers un stade B marquant une transition, une évolution, une certaine élévation de sa personne ; il s’agit encore moins d’un récit destiné à nous enseigner quelque chose, à nous énoncer une morale, à faire ressortir un bien, à démêler le vrai du faux. Non, il s’agit ici de nous présenter, de nous donner en spectacle, de tourner en ridicule un individu infréquentable, un parasite à fuir à tout prix, un monstre d’inhumanité ni trop riche pour survoler l’existence des autres et rendre ses tares scandaleusement comiques, ni trop pauvre pour tolérer ses idées, ni trop intelligent pour susciter le génie, ni trop idiot pour excuser cette originalité. Ignatius est indéfinissable. L’auteur a dessiné le prototype parfait de l’être qui ne peut vivre que dans un roman où il aurait la première place, pour être ensuite vite oublié. Si une telle personne existe, par pitié éloignez-la de toute civilisation.

L’auteur a eu la délicatesse de composer auprès de son personnage une figure maternelle ; il faut bien le rendre un peu plus humain. Je dois dire que c’est plutôt bien joué. Si elle n’avait pas été évoquée je n’aurais cessé de m’interroger sur l’identité de la génitrice d’une telle abomination de la nature. L’auteur a créé un semblant de lien maternel en suscitant presque la fusion, une relation œdipienne plutôt crédible qui infantilise d’autant plus Agnitius. Lorsqu’il se retrouve dans sa chambre d’adolescent à laquelle il interdit l’accès, l’on aurait presque tendance à le croire à l’orée d’une puberté à retardement alors qu’il a plus de trente ans.

La Conjuration des imbéciles est un texte difficilement explicable, difficilement analysable ; un ovni littéraire. Il m’a déridée à de multiples reprises, dans des scènes juste aberrantes que je me suis parfaitement représentées à l’écran, allez savoir pourquoi. Oui, j’aurais bien vu cette drôle d’histoire en film, un genre de Mr Bean. Il y a de l’idée, c’est incontestable, ne serait-ce que dans la création des personnages. Car Ignatius n’est pas la seule personnalité explosive, il y a aussi sa mère, le Noir Jones, le flic Mancuso, le directeur d’entreprise Mr Levy, l’anarchiste Myrna. Plus réalistes par rapport à Ignatius, mais restant des caricatures d’un certain genre américain, ils sont hilarants, tous imbéciles dans leur style.

Cinq cents pages avec Ignatius c’est long, très long. J’ai eu hâte d’en finir avec lui, de respirer auprès d’autres personnages plus dans la norme, plus proches de moi. Ignatius est hors concours. Pourtant, je me suis laissée emporter dans le tourbillon, les scènes sont suffisamment rythmées et s’enchaînent sans temps mort pour que l’idée d’abandonner ce petit monde s’efface rapidement lorsqu’elle pointait le bout de son nez. Je ne crierai pas au génie comme j’ai pu le lire plusieurs fois ; il me manque trop d’éléments pour que ce roman soit suffisamment monumental, notamment le soupçon d’une évolution chez Ignatius, mais pour cela il aurait fallu le doter d’une larme de capacité à se remettre en question.

Il y a du pitoyable dans ce roman, avec ce héros grotesque dont l’auteur ne parvient pas vraiment à se détacher, qui semble lui coller aux pattes. La bibliographie très pauvre et le destin tragique de John Kennedy Toole ajoutent, à ses dépens, au pathétique de l’œuvre qui essoufflera le sourire du lecteur. Ignatius a dévoré son propre créateur.

Et vous, connaissez-vous ce classique de la littérature américaine ?

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