Je reviens doucement, tentant d’émerger de ces derniers jours d’effroi. Il m’a été impossible de lire, mon esprit était mobilisé ailleurs, incapable de s’extraire du drame dont les images continuent de me hanter. Puis, ce petit livre est arrivé à point nommé, quelque 50 pages reçues dans la box Exploratology de novembre. Une lecture rapide, pour échapper à la noirceur ambiante, avant d’entamer un plus gros volume. Voici donc un très court récit autobiographique, d’une écrivain hongroise (encore). Je dois avouer qu’à première vue j’ai été interloquée par l’épaisseur très réduite de ce livre, qui m’apparaissait contradictoire avec le genre autobiographique. Comment peut-on écrire l’histoire de sa vie en si peu de mots ?

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Onze chapitres pour onze moments de sa vie, de la petite fille qui dévore les livres en Hongrie à l’écriture des premiers romans en français. L’enfance heureuse, la pauvreté après la guerre, les années de solitude en internant, la mort de Staline, la langue maternelle et les langues ennemies que sont l’allemand et le russe, la fuite en Autriche et l’arrivée en Lausanne, avec son bébé.

Mon avis

Agota Kristof nous parle de son enfance en Hongrie, de son exil en Suisse, des difficultés qu’elle a rencontrées dans l’acquisition d’une nouvelle langue, aux sonorités si différentes de sa langue maternelle, de sa situation plus que précaire avec son époux et son nourrisson, et de ses débuts d’écrivain, des premiers frémissements d’une reconnaissance dans le milieu. Le texte nous porte par sa légèreté de ton, mais qui n’est qu’un leurre car les mots employés sont forts, maîtrisés, ils ne sont pas choisis au hasard. L’écrivain instaure une distance par rapport à sa propre histoire qui m’a immédiatement frappée. J’ai en effet éprouvé quelques difficultés à superposer la narratrice au personnage principal. L’emploi du « je » n’a pas réussi à rendre la présence de l’auteure plus marquée. En fait, il m’a semblé que le « je » se teintait d’un aspect universel, où chacun peut y placer qui il souhaite. Il est un « je » qui s’apparente à un « on », trop appuyé dans le texte il perd de sa réalité. Le récit commence par la phrase « Je lis. C’est comme une maladie. »; il nous interpelle ce « je », trop direct, il est appuyé par l’emploi d’un présent distancié qui résonne comme dans un rêve. L’on ne sait plus si ce qui est écrit s’est réellement produit. Quel est le degré de personnalisation de ce « je », qui est-il ?

Mais l’on se laisse facilement bercer par la poésie franche des mots, mais une poésie trop descriptive. Le texte est ancré dans une dure réalité, celle d’une immigration de masse au sortir d’une guerre désastreuse, qui fait bien évidemment écho à notre actualité européenne. L’auteur nous livre des détails, des anecdotes, qui construisent un récit hachurée, écrit en pointillé, comme si elle souhaitait ne pas trop en dire pour aller à l’essentiel, enfin, à ce qui lui paraît l’être.

Pour ma part, j’assimile ce récit à une mise en bouche. C’est-à-dire que ma plus grande crainte s’est avérée, et pourtant je souhaitais résister à ce préjugé aussi évident, aussi trivial, à savoir que la qualité d’un texte dépend de son nombre de pages. Mais lorsqu’il s’agit d’un roman j’ai bien peur que oui, dans une certaine mesure. Car cinquante pages sont bien maigres pour une telle entreprise, qui plus est autobiographique. En allant à l’essentiel de son vécu purement factuel, l’auteur en oublie un autre, l’émotion. Celle-ci brille par son absence ici. Les phrases sont trop maîtrisées, trop réfléchies pour laisser la place à ce quelque chose émotionnel qui est pourtant ce qui permet au lecteur de se sentir imprégné du récit.

A peine le livre ouvert, le voilà déjà refermé. Je me suis retrouvée bien bête une fois la dernière page tournée. Que venais-je de lire qui soit si éphémère ? Pourquoi un tel livre ? Pourquoi est-il si court alors qu’il y aurait tant à approfondir ?

Je suis frustrée, la frustration est d’ailleurs le seul sentiment qui s’est emparé de moi. L’auteur aborde des thèmes pourtant lourds, tels le sentiment d’arrachement à son pays, les difficultés immenses pour apprivoiser une nouvelle langue, une nouvelle culture, le sentiment de trahison envers sa famille restée sur place. Toutes ces choses qui auraient mérité que l’auteur s’y attarde pour, ne serait-ce qu’informer son lecteur, prendre le temps de lui raconter, par plaisir, générosité, ou simple désir de transmettre. Mais, j’ai eu l’impression que Agota Kristof ne souhaitait pas elle-même aborder sa propre histoire, car les souffrances sont toujours vives, la plaie n’est certainement pas encore cicatrisée.

Ce texte est ainsi une ébauche d’un quelque chose qui, je suppose, n’a jamais été achevé. Dans le détachement de l’auteur, c’est toute sa douleur qui transparaît. C’est comme si elle avait bâclé une tâche nécessaire pour ne plus revenir dessus. Mais le lecteur se sent lésé, car il a bien conscience qu’il n’a accès qu’à une infime partie de ce qu’aurait pu nous dire l’auteur. Il ne sait pas toujours lire entre les lignes, et il ne souhaite pas forcément mettre en travail son imagination et son empathie pour regarder au-delà de la simple signification des mots. Le lecteur a besoin qu’on lui offre de la matière consistante sur quoi réfléchir, sur quoi se poser.

L’Analphabète est ainsi passé entre mes mains avec une rapidité déconcertante, ne laissant qu’une trace éphémère dans mon esprit, qui m’a fait hésiter un instant quant à la possibilité d’une relecture, afin de décortiquer chaque phrase à la recherche de susbtance pour assouvir mon appétit. Mais selon moi, et là j’admets être un peu sévère, un roman ne doit pas nécessiter plusieurs lectures pour séduire son lectorat. Je ne laisse jamais de seconde chance, lorsque je relis un texte c’est que je souhaite approfondir une réflexion déjà entreprise; or, ici, une relecture aurait simplement eu pour utilité de remplacer la première.

Vous l’aurez compris, avec ce livre je reste définitivement sur ma faim, m’interrogeant même sur la nécessité d’avoir publié ce récit; qui se révèle trop intime, dans le sens où seul l’auteur peut avoir accès à ce qui se cache sous les mots. Elle nous donne un os à ronger, pour finalement fuir son texte et le laisser dans un état brut. Ce récit est une tentative de fuite devant un travail qu’elle a pourtant jugé nécessaire, sinon elle ne l’aurait pas entrepris, mais qui est inachevé, bâclé car certainement trop douloureux. Les mots trop bien choisis cachent en réalité une mise à distance du vécu. La lucidité apparente du narrateur est trompeuse. Ceci explique mon impression d’un « je » neutre,  pluriel. Je pense que pour apprécier ce récit, il faut au préalable connaître l’écrivain et en apprécier l’oeuvre. Car il n’a aucun sens si son auteur nous est totalement méconnu, ce qui était mon cas. Pour autant, il ne me pousse pas à vouloir découvrir d’autres de ses écrits. Je n’apprécie guère chez les écrivains une trop grande retenue, pouvant passer pour une forme de fausse modestie. Et lorsque je ne décèle chez ces derniers aucun plaisir à avoir écrit, à raconter, j’ai tendance à fuir, moi aussi.

Et vous, craignez-vous les romans trop courts ?

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