De Boris Vian, j’ai dû lire dans un lointain passé scolaire L’Écume des jours, dont je n’ai gardé aucun souvenir. Étant un écrivain à la renommée on ne peut  plus établie, et bien plus que cela d’ailleurs puisqu’il s’exprime dans de multiples domaines, je me devais de retenter l’expérience d’une immersion dans sa littérature. Et c’est vers un roman décrié, qui a soulevé les voix du scandale, que j’ai choisi de me tourner, non sans crainte d’ailleurs.

Mot de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Si vous le lisez avec l’espoir de trouver dans J’irai cracher sur vos tombes quelque chose capable de mettre vos sens en feu, vous allez drôlement être déçu. Si vous le lisez pour y retrouver la petite musique de Vian, vous l’y trouverez. Il n’y a pas beaucoup d’écrits de Vian dont il ne suffise de lire trois lignes anonymes pour dire tout de suite : « Tiens, c’est du Vian ! ». Ils ne sont pas nombreux, les écrivains dont on puisse en dire autant. Ce sont généralement ces écrivains-là qui ont les lecteurs les plus fidèles, les plus passionnés, parce que, en les lisant, on les entend parler.

Mon avis

Cette critique aura mis du temps pour être écrite puisque, au moment où je pose ces mots, j’ai terminé ma lecture depuis une semaine déjà. Alors que d’habitude l’inspiration vient dès le lendemain. En réalité, ce n’est pas tant d’inspiration dont j’ai manqué, d’ailleurs le terme est mal employé, mais plutôt de motivation, d’ardeur ou même d’excitation, comme j’en éprouve à chaque fois que je vous partage un avis. Car voyez-vous, ce roman n’a guère suscité d’émotions, de réflexions, de pensées dignes d’être partagées avec l’entrain habituel, tant elles s’inscrivent dans le négatif, le déplaisant, voire le détestable. Je me suis longuement interrogée sur l’utilité de vous livrer ici un ressenti extrême comme il m’a rarement été donné d’en faire l’expérience en littérature. Puisque au vu de la pléthore de commentaires dithyrambiques entourant ce livre, le mien apparaîtrait au mieux totalement infondé, au pire la conséquence d’une pudibonderie mal placée pouvant suggérer un manque d’ouverture d’esprit. Et, la perspective de devoir justifier un tel avis face à une œuvre aussi réputée que celle-ci m’a plusieurs fois empêchée de prendre mon clavier afin d’exprimer ce que j’avais à dire. Mais, si j’avais cédé à ce manque de courage, j’aurais été un jour ou l’autre bousculée par le regret de n’avoir su trouver les mots. Après ce bavardage nécessaire, qui aura eu le mérite d’introduire de manière franche ce qui suit, voici ce que j’ai pensé de cet amas de pages.

J’irai cracher sur vos tombes se veut être un roman qui dénonce la ségrégation des noirs dans l’Amérique des années 40. J’ai été trompée pour ma part par le genre « policier » que certains lui attribuent et qui est largement exagéré, car ce qualificatif repose sur l’ultime partie du récit mettant en scène la course-poursuite à la suite du héros. Bref, ne commençons pas par la fin, car avant celle-ci il y a une histoire, ou plutôt une enfilade de dialogues se voulant constituer une histoire alors qu’il n’en est rien. J’ai été décontenancée par la pauvreté de ces derniers ainsi que par l’écriture dans sa globalité, qui manque de tout : de finesse, de consistance, de style, de sens. Les phrases sont d’une pauvreté ahurissante, concises, creuses, balancées avec une désinvolture qui fait honte à la littérature et au travail d’écrivain. D’ailleurs, tout n’est que désinvolture dans ce roman. Le thème, puisqu’il y en a un, et encore, si je n’en avais été informée avant ma lecture je serais totalement passée à côté, est traité de la pire des manières. Le message que veut certainement faire passer l’auteur est flouté à la fois par la forme du récit que par le fond, vulgaire et maladroit à l’instar du style.

Mais revenons à cette satanée histoire, que je vais vous résumer en deux lignes. Lee Anderson, jeune noir à la peau claire, décide de venger la mort de son petit frère épris d’une blanche. Ainsi, nous suivons son installation dans la ville de Buckton et sa rencontre avec ses futures victimes.  Et là, nous assistons, impuissants, ahuris, à une surenchère dans le scabreux, le vulgaire ; Lee passe d’une partenaire à l’autre dans des mises en scène sexuelles, des viols parfois, tellement scénarisées qu’elles en deviennent risibles : « Elle était à plat ventre »,  « Et puis, je la pris par la taille et la mis debout », « Elle avait les yeux fermés et bavait un petit peu ». L’auteur insiste de manière répétitive sur des détails anatomiques ou des positions, ne suscitant ni l’envie, ni l’outrage puisque cela en est grotesque. Ainsi, ces scènes ne convaincront personne. Disons que c’est la répétition obsessionnelle qui en devient gênante, et qui peut à terme encourager un profond dégoût pour toute forme de désir charnel, ici malmené à l’extrême. À côté de ces descriptions, aussi dénuées d’attrait que rébarbatives, Boris Vian s’égare comme son héros entre la librairie qu’il gère – quelle injure faite aux livres – les relations arides qu’il noue et l’ambition qui l’anime de venger son frère, « le gosse » comme il est appelé. Concernant cette dernière, on n’en comprend réellement la teneur que tardivement, la vengeance n’étant jamais clairement exprimée. Et puis, dans les dernières pages tout s’accélère, l’accomplissement du châtiment coïncide avec la mort du bourreau et met fin à cette histoire absurde d’une manière réjouissante, car ce personnage, mais surtout ce qui l’entoure, m’excédait au plus haut point.

De ce dernier, Lee Anderson, je serais bien incapable de vous tirer une description précise, que ce soit de son physique (noir ou blanc), ou de sa personnalité. L’auteur ne s’épanche guère sur ce qui l’anime – ses actes n’étant vraisemblablement motivés que par une obscure vengeance – mais encore moins sur ses émotions, inexistantes. Lee est un individu creux, suscitant l’indifférence par sa personnalité et l’agacement par ses faits et gestes. L’écriture à la première personne pourrait contrecarrer le peu de consistance du récit grâce à une immersion dans la tête du narrateur. Mais le « je » apporte une proximité dérangeante entre le lecteur et cet antihéros dont l’on préférerait ne pas croiser la route. En effet, Lee possède toutes les caractéristiques littéraires d’un personnage duquel l’on ne peut absolument rien extraire. Malgré un caractère antipathique et une instabilité due à un penchant largement psychopathe, ces caractéristiques, au demeurant fort séduisantes, sont neutralisées par la fadeur de l’intrigue et la pauvreté intellectuelle du personnage, à la limite de la débilité. À côté de ce vide nous trouvons un excès dans la débauche, faisant certainement partie du plan initial, ou bien constitutif de sa personne, je ne saurais trop dire. Et, à partir de là, tout n’est qu’incertitude car ce qui nous est décrit ne s’inscrit dans rien de connu pour le lecteur, comme si ce dernier prenait le récit de court, s’obligeant à un travail d’imagination intense pour reconstruire le passé du personnage principal, ce qui jetterait une lumière sur ses agissements.

Ainsi, ce roman nous narre l’histoire d’une vengeance dont ni les racines, ni l’exécution, ni même les conséquences ne sont intelligibles pour le lecteur. Alors, comment être sensible aux soi-disant messages suggérés par l’auteur lorsque la matière pour les exprimer est aussi pauvre et indéchiffrable ; car je persiste à croire que l’auteur a souhaité transmettre quelque chose de plus sérieux que ce qui nous est présenté. Certains se seront peut-être laissé berner par la violence du récit, mais pour ma part je n’ai pas voulu céder à cette facilité ;  la violence des mots et de la mise en scène se révélant bien souvent être un cache-misère.

Le seul point positif que je trouve à ce roman est sa longueur qui au moins n’aura pas nécessité de trop nombreuses heures de lecture, quoique 150 pages soient déjà largement suffisantes pour aborder une histoire aussi faible. De « la petite musique de Vian » dont fait référence la quatrième de couverture, je n’ai perçu qu’un son criard, bien loin d’une douce mélodie. Peut-être que ce roman s’inscrit, et prend une toute autre dimension, dans une œuvre plus globale, mais je m’inquiète que cet auteur soit bien loin de mon univers littéraire, et qu’il serait bon pour moi de le mettre définitivement de côté. D’ailleurs, c’est bien la première fois que j’ai la certitude que l’adaptation cinématographique est meilleure que sa version papier, puisque cette dernière ne peut vraisemblablement pas être pire. Je serais presque curieuse d’en voir la réalisation.

Et vous, quelle est votre histoire personnelle avec Boris Vian ?

Rendez-vous sur Hellocoton !