Après avoir été conquise par Emily Brontë, j’ai décidé de m’attaquer à sa sœur Charlotte et son très célèbre Jane Eyre. J’ai entendu plusieurs sons de cloches sur cette œuvre. Je dois dire que l’aspect romance de cette histoire, davantage mis en avant qu’en ce qui concerne Les Hauts de Hurle-Vent, me faisait craindre de retrouver ce qui m’avait déplu chez Jane Austen; ces écrivains étant dans la même veine littéraire.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Jane Eyre est pauvre, orpheline, pas très jolie. Pourtant, grâce à sa seule force de caractère, et sans faillir à ses principes, elle parviendra à faire sa place dans la société rigide de l’Angleterre victorienne et à trouver l’amour…

Mon avis

L’introduction de ce roman avait d’étranges ressemblances avec le conte de Cendrillon, quoique la Cendrillon de Brontë est un peu moins docile; éléments qui m’ont permis de rentrer dans le récit avec facilité. Jane Eyre est une petite fille orpheline élevée par sa tante, détestée de ses cousins elle est considérée par la famille comme une moins que rien. Le tableau était peu glorieux, et j’ai tout de suite eu de la sympathie pour Jane Eyre car, bien loin de se soumettre, elle possède une audace et un goût pour la provocation lui permettant de tenir tête à ceux qui la méprisent. J’ai été très surprise par le caractère de cette enfant, par la rugosité de la personnalité imaginée par l’auteure, à l’opposé du portrait classique de l’enfant maltraitée et rêveuse.

Jane pourrait presque même agacer, car au fil des pages le lecteur aura l’impression que la situation n’est pas exactement celle qui nous est décrite à travers les mots de l’héroïne, et se demandera si ce n’est finalement pas elle qui manipule son petit monde. D’ailleurs, Jane n’aura aucun mal à crier à qui veut l’entendre ce qu’elle subit chez les Reed avec une désinvolture et un aplomb surprenants. N’en rajouterait-elle pas un peu ? L’on pourrait se le demander. En outre, le cours de l’histoire appuiera mes doutes quant à la véracité des faits. Pour autant, je me suis attachée à cette petite fille. Nous la suivons brièvement durant ses longues années de pension, qui ne vont pas altérer son fort caractère et sa détermination, bien au contraire puisqu’elle n’aura de cesse de remettre en question l’autorité des maîtresses. Je regrette que cette période n’ait pas été plus développée par l’auteure, car il semblerait que ces huit années aient été déterminantes pour le devenir de Jane.

L’histoire prend ensuite une tout autre tournure lorsque Jane se fait employer auprès de Mr Rochester afin d’éduquer la petite Adèle, la fille cachée du maître. C’est à ce moment-là que j’ai décroché du récit. En effet, alors que les premiers chapitres se sont déroulés sous mes yeux sans accroc, à partir du moment où Jane est entrée au service d’Edward Rochester, l’histoire a pris le chemin banal que je redoutais, à savoir celui d’une intrigue sentimentale où les deux se cherchent s’en jamais se trouver. Jane est secrètement éprise d’Edward, et ce transport amoureux transforme la jeune fille indomptable en une créature animée par ses seuls sentiments envers cet homme. La mièvrerie vient doucement se répandre sur le récit, dans des dialogues sans fin, où les choses ne sont jamais dites mais émergent dans des sous-entendus assommants que seuls les protagonistes peuvent saisir. C’est un jeu du chat et de la souris auquel l’on assiste, jeu qui ne m’amuse guère lorsque les échanges me sont abscons.

Puis, après ces longues tirades et réflexions stériles, un coup de tonnerre vient fragiliser cet amour naissant; Mr Rochester est déjà marié à une autre femme, une folle qui vit au sein même du manoir, cachée dans une chambre qu’elle ne doit pas quitter. Cette révélation lourde de conséquences viendra bouleverser Jane Eyre, qui décidera de fuir les lieux, dans lesquels pourtant elle se plaisait tant. Je dois dire que mon intérêt et mon attention ont été de nouveau sollicités à partir de ce rebondissement auquel je ne m’attendais pas, car j’étais aveuglée et endormie par la parade des amoureux. Ce coup de fouet dans l’histoire était le bienvenu. Il a apporté avec lui un dynamisme à travers une reconsidération des positions de chacun. Edward Rochester, que je trouvais exaspérant, sirupeux et orgueilleux, devient un homme touchant, devant supporter le poids d’un mariage forcé dont il lui est impossible de se défaire, à une époque où le divorce est bien sûr largement prohibé. Ce thème, que je n’avais encore jamais rencontré en littérature, celui du mari malheureux du fait de l’aliénation de sa femme, et épris d’une jeune fille pétillante qui seule pourrait lui redonner le sourire, est une source riche pour alimenter une intrigue sentimentale de par les chemins inexplorés qu’elle offre.

L’auteure a su me surprendre alors même que je commençais à envisager sérieusement de refermer ce roman. Elle a su attribuer à ses personnages des facettes inédites, les rendant mémorables. Ainsi, Jane Eyre décide de fuir son amant car elle ne peut supporter sa situation conjugale. Je dois dire que ce choix m’a interrogée, venant d’une femme qui avait tout pour assumer ses sentiments du fait d’une personnalité coriace propice à l’acceptation d’un mode de vie peu ordinaire. C’est du moins ce portrait d’elle que j’ai retenu. Mais Jane Eyre a tristement évolué en devenant gouvernante. Elle a emprunté un chemin tout tracé, acceptant de renoncer à une vie maritale et familiale, se rangeant dans une existence austère mais non sans regrets. Sa fuite apparaît alors d’une affliction sans nom. Elle va se retrouver à errer, jusqu’à ce qu’elle rencontre une fratrie auprès de laquelle elle pourra se reconstruire.  Cet épisode est le second qui m’a profondément ennuyée. Une nouvelle histoire sentimentale nous est proposée, mais d’un tout autre ordre cette fois puisqu’elle est loin d’être aussi passionnelle que la précédente.  Jane Eyre incarne la figure d’une féminité assumée, révoltée, mais qui se perdra dans des choix de raison qui la feront frôler le bonheur sans jamais qu’elle ne s’y arrête.

Puis, le final m’a permis de clore ce roman sur une note positive puisqu’une nouvelle fois l’auteure apporte du mouvement dans les rôles de chacun; une nouvelle cartographie des personnages nous est proposée qui satisfera les lecteurs en quête de belles romances. Ainsi, ce livre alterne des phases de creux avec des rebondissements inouïs donnant une nouvelle direction à l’intrigue. L’auteure ne laisse jamais ses personnages dans une position statique, elle les fait évoluer au gré de leurs choix de vie, faisant la part belle aux regrets, aux remords et aux espoirs. Les personnages de Jane Eyre sont peints avec un réalisme extrême en ce qu’ils sont en perpétuel doute, aucune décision n’est totalement assumée et toutes comportent une part de risque non négligeable. Mais Charlotte Brontë leur offre la capacité de faire un pas en arrière, de revenir sur leurs actes, un droit à l’erreur en somme. Je regrette juste de ne pas avoir retrouvé la Jane Eyre enfant, qui a définitivement disparu une fois entrée au service de celui qui deviendra son amant.

En somme, Jane Eyre ne m’a pas émue par l’histoire sentimentale qu’il met en scène mais plutôt par la démonstration du pouvoir des choix que l’on fait dans une vie et qui ne sont jamais complètement irréversibles. Les personnalités dressées par l’auteure sont plurielles, et dévoilent de nouvelles facettes à mesure que l’histoire se déroule, que les intrigues interpersonnelles se complexifient. Ainsi, aucun individu n’est tout blanc ou tout noir. Ceci est un aphorisme certes, mais non évident à démontrer dans la pratique de l’écriture puisque reposant sur l’habileté de l’auteure à passer d’une couleur à l’autre sans brutalité et en préservant la cohérence des caractères. Ce roman m’a finalement convaincue quoique souffrant d’après moi de longueurs sentimentales.

Et vous, ce grand classique vous a-t-il transportés ?

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