Ma première rencontre avec Christian Bobin n’a pas été fertile. Déconcertée par ses motivations, je n’ai pas su apprécier l’univers découvert dans La plus que vive, malgré les nombreuses qualités du texte. Croisant la route par-ci, par là de nombreuses critiques élogieuses, et en particulier celles de Yuko qui m’a conseillé ce titre-là en particulier, j’ai souhaité affronter une nouvelle fois cet auteur dont l’aura de sympathie s’étend discrètement sur la blogosphère. 

Extrait choisi par l’éditeur

« Tu dis n’importe quoi, c’est tellement agréable, d’ailleurs n’importe quoi, ce n’est jamais n’importe quoi : tu es là, tu passes d’une chambre à l’autre, tu parles toute seule, et voilà ce que tu entends lorsque tu parles toute seule, de la chambre rouge à la chambre jeune, dans le passage : hier j’étais heureuse. Aujourd’hui je suis amoureuse, et ce n’est pas pareil. Et c’est même tout le contraire. »

Mon avis

Je pourrais copier et coller telle quelle ma critique de février 2015. Elle me paraît refléter à l’exact mon impression actuelle. À présent, je peux l’affirmer sans crainte que l’on m’oppose mon manque de persévérance : je suis définitivement hermétique à la plume de Christian Bobin. Croyez-moi, je peine à vous le confier tant je n’ai jamais douté des grandes qualités de cet écrivain, dont je ne conteste ni le style, ni l’imaginaire. Cet homme a des choses à exprimer, dans un langage qui perce le cœur de nombre de lecteurs mais qui frôle le mien avec douceur avant de s’évanouir dans ma mémoire.

Ici, il est question d’une jeune fille, adolescente dirons-nous au début, déjà adulte, penserons-nous à la fin du texte. Treize ans tout juste, l’âge des premières fois, l’adieu à l’enfance, l’accueil d’un futur plein de promesses. Les pointillés avant de sauter dans la maturité. Isabelle est l’aînée, une sœur et un frère lui succèdent. La première scène déroule un abandon, les parents les laissent sur une aire d’autoroute, une lettre suggère un suicide tout en appelant une âme charitable à récupérer les enfants. Isabelle la découvre et décide de prendre les choses en main en sollicitant l’aide d’une brave dame, Églantine. Une vie auprès d’elle les attend. Une vie paresseuse à se construire un foyer, un semblant de famille, des souvenirs. Une existence à mener, au-delà de la disparition des parents. On passe l’éponge, on pardonne, on tente d’oublier. Il y a Jacques, le fils de la vieille dame, marin épris de grands voyages, il se porte volontaire pour instruire les gamins.

Églantine raconte son histoire, les enfants l’écoutent sagement. Isabelle, en attendant, grandit, seule avec elle-même et son arbre, un cerisier dont elle est tombée amoureuse et à qui elle livre ses émois. Vient ensuite la rencontre avec un homme, un vrai, de ceux qui provoquent le rêve éveillé. Isabelle hésite à franchir la route la séparant d’un bonheur qu’elle sait être passager. Elle trempe le bout du pied dans l’eau de l’amour avant de le retirer prestement. Quel âge a-t-elle à ce moment-là ? Le lecteur s’en moque, il sait qu’elle sera toujours inapte à aimer.

Isabelle c’est l’incarnation de la déprime, de l’engourdissement, elle a la jeunesse triste et grise, elle anéantit l’espoir, sa vie est pauvre car trop intellectualisée. Isabelle est morte avant même de vivre. À trop vouloir la faire penser, l’auteur la rend creuse et morne, rongée par une perpétuelle interrogation. Quant aux autres personnages, ils sont inconsistants, ils ont la fluidité de ce qui est trop familier de l’auteur pour être retranscrit. La froideur m’envahit en les découvrant ; ne les comprenant pas, je ne les affectionne guère. Seul Nello, le chien, m’est devenu attachant. Il suffit de peu pour rendre un animal plus remarquable qu’un humain. Ajoutez à cela une narration sélective qui dit des choses prises au hasard de leur existence. Une rêverie, une confession, une image, mises bout à bout.

Le texte est difficile, les sujets s’entremêlent, le il et le je dialoguent et je me dis que je n’aime pas cette originalité. Quand l’histoire, elle, ne m’apporte rien, que reste-t-il ? Demeure une patte, une façon d’écrire, de raconter, oui c’est certain. L’auteur possède sa logique propre, sa sensibilité, un rapport très étroit avec ses personnages qui peut plaire, j’en conviens. Je m’interroge sur cette distance entre le créateur et l’objet créé. À quel moment la fusion peut-elle être néfaste ?

Isabelle Bruges est un texte impossible à décoder, il entortille des phrases et des idées, poétise des détails. Il effleure une intrigue par en-dessous, sans jamais en dire assez, c’est encore une fois trop peu, toujours trop peu. Il manque tout. L’auteur doit s’amuser, se plaisant à raconter les choses à sa manière, la plus radine possible quand il s’agit d’éclairer le lecteur. On ne sait trop ce qui doit être compris dans ce texte à la langue étrangère. Il se parle à lui-même, face à un miroir il narre son histoire. Où le lecteur doit-il se situer ? Une nouvelle fois je reste en retrait, frustrée de n’être pas davantage invitée à connaître des personnages qui sont des intimes pour lui, c’est certain. J’observe sur le seuil, essayant de déchiffrer deux, trois éléments à ma portée. Bien sûr, je lis avec plaisir ces jolies phrases, toutes pleines de sentiment, de métaphores, de sous-entendus, de devinettes. Je prends ce qui m’est offert, mais je suis affamée. Quelques pages de douce poésie ne font pas un roman. Je me suis égarée en suivant Christian Bobin, il n’est pas fait pour moi. J’en demande peut-être trop…

Et vous, êtes-vous un lecteur régulier de Christian Bobin ?

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