De George Sand, je n’avais encore rien lu, et pourtant le 19e siècle français m’a offert jusque-là mes plus beaux moments de lecture. Je ne pouvais pas faire l’impasse plus longtemps sur cette écrivain, d’autant plus qu’elle est l’une des rares femmes de l’époque à avoir pris la plume non sans connaître un certain succès. J’étais donc impatience de découvrir son œuvre, son style. J’ai choisi de commencer par le premier qu’elle publia sous son pseudonyme.

Mot de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Indiana a fait George Sand et c’est à travers l’écriture que celle-ci a conquis sa liberté, sa dignité de femme, son identité même. « La cause que je défendais, dira-t-elle plus tard, est celle de la moitié du genre humain, celle du genre humain tout entier : car le malheur de la femme entraîne celui de l’homme comme celui de l’escale entraîne celui du maître. » Et : « J’ai écrit Indiana avec le sentiment non raisonné, mais profond et légitime, de l’injustice et de la barbarie des lois qui régissent encore l’existence de la femme dans le mariage, dans la famille et dans la société. »

Mon avis

Indiana regorge d’éléments singuliers qui dessinent l’univers de l’auteure. En lisant un seul de ses romans je crois avoir déjà cerné la dame. Car il faut dire qu’elle se distingue nettement de ses contemporains masculins, ce que je n’espérais pas forcément, m’attendant peut-être à ce qu’elle se soit imposé un conformisme qui aurait plu aux lecteurs de l’époque ne doutant pas qu’il s’agissait là de l’œuvre d’un homme. Eh bien, quel ne fut pas mon étonnement lorsque, dès les premières pages, voire même la toute première, j’ai été saisie par l’originalité du texte, sous bien des aspects.

Tout d’abord, l’entrée en matière est splendide. George Sand nous dresse une scène de la vie quotidienne, quoique mystérieuse et sombre, dans laquelle trois personnages semblent être liés par d’étroits fils encore invisibles. Elle nous décrit le lieu, les individus, leurs postures et les pensées qui les animent. On croirait la retranscription d’un tableau, tant la peinture est précise et vive. Ou mieux encore, un souvenir, tenace et marquant dans la vie de l’écrivain. Immédiatement, je me suis plongée dans cette scène, voulant lever le voile sur le mystère planant sur les protagonistes, comme figés dans le décor mais dont l’esprit boue, fermente. Le contraste entre la fixité du plan et le mouvement des intellects est saisissant. Le lecteur est agrippé, il ne peut alors que tourner les pages avec avidité, voulant en savoir plus, voulant percer cette bulle d’une étrange familiarité. Car en effet, qui ne s’est jamais retrouvé dans un salon, le soir, assis, pensif, accompagné d’autres personnes dans le même état. Ce préambule apporte chaleur et convivialité, en même temps que cachotterie et impatience.

L’on comprendra rapidement que celle qui nous intéresse est Indiana, une jeune femme de dix-neuf ans tout juste, exotique et élégante, l’épouse d’un vieux monsieur avec lequel elle forme un couple disgracieux au possible, mû par le quotidien et la certitude du lendemain. Ainsi, l’on nous présente, sans détours, une femme et son époux du côté sombre de leur union. L’auteure fait l’impasse sur une esquisse de leur histoire, elle y reviendra plus tard, au moment voulu. Aussi, tout lecteur se placera du côté de cette pauvre épouse, soumise et prisonnière, qui n’a que son imagination comme loisir, et la présence encombrante de son cher cousin, Ralph, ce parasite de la maison, irraisonné et peu clairvoyant; du moins c’est de cette manière qu’il nous est tout d’abord présenté.

Et c’est peu après cette séduisante mise en bouche qu’un nouvel étonnement m’a saisie. En effet, là où les grands classiques de l’époque, dans le genre romance, peuvent souffrir d’une lenteur désuète, mais tout à fait charmante, s’étalant sur les sentiments des uns et des autres, et délaissant l’action, les faits et les aventures, ici, j’ai eu la bonne surprise de découvrir de véritables péripéties, dignes parfois d’un théâtre de boulevard, avec des quiproquos, du comique de situation et des dialogues acerbes. Car, oui, il s’en passe des choses dans ce roman, l’histoire ne stagne à aucun moment, il n’y a point de temps mort, mais de l’action à outrance. Les personnages en sont d’autant plus réels et attachants, puisqu’ils ne sont pas que des êtres pensants mais agissent. Des décisions sont rapidement prises, entraînant de nouveaux rebondissements, apportant un coup de fouet à une véritable intrigue, de celles que l’on pourrait tout à fait lire à notre époque. Alors, pour autant, George Sand n’oublie pas complètement les échanges amoureux et les introspections à rallonge dans un style littéraire sublime mais pas toujours accessible. Mais elle sait les placer à des moments opportuns, ce qui n’alourdit pas le récit et maintient le lecteur dans l’attente. Oui, il y a du suspense ; jusqu’à la fin l’intrigue prendra de nouvelles directions.

Le rythme est intense et accentué par la brièveté des chapitres, par l’alternance des situations, des lieux, des problématiques. L’auteure ne reste pas sur un seul sujet mais en aborde de multiples. Bien sûr, on pourrait résumer le texte en une seule phrase : une femme, désabusée par un mariage malheureux, est éprise d’un homme énigmatique qui lui fait miroiter un bonheur encore inconnu pour elle. Finalement, on aura tous lu, un jour ou l’autre, un livre pouvant se résumer de la même manière. C’est un thème inépuisable, ceci est bien connu. Le mariage en littérature, et surtout la position de la femme en son sein, ne sont pas près de s’éteindre. George Sand nous en offre une nouvelle vision, une nouvelle interprétation, plus authentique, plus tragique aussi. Je pourrais dire que, pour elle, il est plus aisé de décrire les rouages de l’esprit féminin dans le couple, étant elle-même une femme aux nombreuses vies sentimentales, mais certains écrivains hommes sont tout aussi doués, le premier qui me vient à l’esprit est mon cher Balzac.

Cependant, c’est peut-être bête à dire, mais j’ai perçu le regard féminin dans ce récit, peut-être justement dans la description des personnages masculins, plus acérée, plus culpabilisante pour eux aussi. Pour autant, elle ne nous décrit pas une Indiana affirmée, déterminée et rebelle, bien au contraire, elle nous dépeint une femme bercée par de multiples illusions, d’une naïveté indéfectible et d’une foi en l’autre inébranlable. Certains, avec une telle personnalité, auraient rendu l’histoire convenue, ridicule et navrante ; ici ce n’est point le cas, l’intrigue cultive son goût épicé, venu de l’île Bourbon (ancienne Réunion), d’où notre héroïne est native. Finalement on s’attache à elle, dans ses mésaventures, dans son espoir toujours tenace, et l’on se ligue contre Raymon, son amant porteur du poison qui restera en elle jusqu’à sa mort. Raymon, cet égoïste, cet homme intéressé et sans scrupules, qui représente la perfidie et la face sombre de la séduction. On aime le détester quand tout le monde l’idolâtre.

Enfin il y a le dénouement, tellement innovant. Lorsque l’on croit avoir terminé le roman, par une scène mélodramatique décevante, l’auteure nous livre un ultime rebondissement, inattendu, osé et malin, qui nous fera refermer le livre à la fois hébété et satisfait. Je regretterai toutefois un manque d’informations au sujet du devenir de Raymon, que nous avons laissé brusquement quelques chapitres plus tôt.

Ainsi, j’ai été désarçonnée par Indiana, par ce qu’a fait George Sand d’une idée de départ somme toute banale, par l’originalité du récit qui ne souffre d’aucun essoufflement, par son héroïne faussement fragile. Cette découverte m’a convaincue de poursuivre la lecture de son oeuvre, qui promet de me réserver encore bien d’autres belles surprises, je l’espère.

Et vous, avez-vous déjà lu George Sand ?

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