Voici un roman de ma petite sélection estivale, choisi sur son synopsis uniquement. La référence aux Jeux olympiques tombait à pic en ce mois d’août. De plus, j’ai lu très peu de livres se situant dans l’avant-guerre 39-45, à Berlin qui plus est. Le contexte historique allié à une enquête sombre autour de meurtres a priori politiques m’ont convaincue.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Berlin, 1934. Bernie Gunther, chassé de la Kripo – gangrenée par les nazis – en raison de ses sympathies pour la république de Weimar, s’est reconverti : il est maintenant responsable de la sécurité de l’Hôtel Adlon. Or, le patron d’une entreprise de construction y est assassiné après avoir passé la soirée avec un homme d’affaires américain véreux, ami de hauts dignitaires nazis. Quelque temps plus tard, c’est un boxeur juif qu’on repêche dans un canal. Une séduisante journaliste, qui effectue pour le Herald Tribune un reportage sur la préparation des Jeux olympiques de Berlin, demande à Bernie de retrouver le meurtrier. Cette affaire lui semble le bon moyen pour rendre compte du climat de démence meurtrière et de répression antisémite qui règne sur la capitale allemande.

Mon avis

Ce roman n’est pas le premier mettant en scène Bernie Gunther. Il se déroule sur deux périodes, l’une avant, l’autre après les enquêtes qui parsèment les précédents romans. Bernie est un enquêteur hors pair, malheureusement condamné à errer dans un hôtel, luxueux tout de même, en tant que membre du personnel de sécurité. J’ai rapidement apprécié ce personnage, étonnant et riche de réflexion et d’enseignement. Bernie est un homme bourré de cynisme, qui n’a pas la langue dans sa poche, vif d’esprit et toujours prêt à fouiner dans les affaires des autres qui flairent mauvais ; il représente une sorte de détective légèrement misanthrope, quelque peu désabusé aussi, mais profond et franc. Bernie est aussi un homme à qui la chance sourit, il lui faut bien un peu de baraka pour s’en sortir dans cette société répressive en agissant de la sorte; fermons donc les yeux sur l’aise avec laquelle il parvient à faire son chemin.

Ainsi donc, notre héros va s’intéresser à deux meurtres que rien ne semble relier, ceux d’un ouvrier juif ancien boxeur et d’un patron du bâtiment. Je dois dire que concernant l’avancée de l’enquête, qui en est une uniquement du côté de Bernie car il est bien le seul à s’intéresser à ces deux morts, j’ai souvent divagué. Cela est en partie dû, justement, à une construction ondoyante car nous avançons à la vitesse de Bernie, en fonction des liens de cause à effet qu’il établit, des idées qui lui viennent, des suspicions aussi. Ce sentiment de flou domine sur la première partie du récit.

Dans ce sinueux parcours en quête de vérité, beaucoup de thèmes sont abordés. J’ai apprécié découvrir le Berlin de l’avant-guerre, juste après la prise de pouvoir par Hitler, l’angoisse sourde qui souffle dans les rues, l’oppression envers les juifs chaque jour plus intolérable, la perspective d’un avenir bien lugubre pour ce peuple, ce qui se joue à plus haute échelle dans les instances dirigeantes, et l’organisation tumultueuse des JO de Berlin en 1936, que les États-Unis ont menacé de boycotter. Cette page de l’Histoire décrite ici a un goût bien amer quand on connaît la tournure prise dans les années à venir. Le récit peut par moments faire froid dans le dos.

À travers les deux meurtres aussi discrets qu’énigmatiques dont la police ne veut guère s’occuper, l’auteur décortique la grande Histoire et condamne les arcanes du pouvoir et ce qui engendrera plus tard l’extermination des juifs. Procédé commun dans la littérature mais ici habilement mis en œuvre, Philip Kerr nous propose d’entrer dans le sujet par des portes dissimulées, offrant une vision nouvelle sur le climat de l’époque.

Pour autant, et sur ce point je suis assez sévère, le dessin des personnages, hormis Bernie, m’a semblé quelque peu léger. Comme si l’auteur avait passé un vernis sur eux, pour adoucir leurs traits. Et ceci rentre en décalage avec l’ambiance et le contexte. Disons que les vrais « méchants » de cette histoire, certains de véritables ordures n’ayons pas peur de le dire, font plutôt piètre figure ; ils auraient mérité plus de dimension, pour insuffler davantage l’horreur et la peur. Quand on pense à ce qui se jouait alors, l’accentuation des perversions aurait été tout à fait légitime. Ainsi, à aucun moment je n’ai craint pour la vie de Bernie. Il ne m’a pas paru véritablement menacé, alors même que ses petites affaires pouvaient causer de sacrés remous. J’en reviens au facteur chance donc. Mais Bernie a aussi le don de l’échange, du dialogue, de la menace et de l’anticipation ; il est prêt à tout, même à falsifier ses papiers d’état civil afin de supprimer un aïeul juif gênant. Car il est aussi un personnage ambivalent, tantôt apparaissant comme un homme sain et téméraire, tantôt comme un suiveur opportuniste et un peu trouillard.

Pour en revenir à l’intrigue, après un long périple dans le Berlin de l’année 1934 nous faisons un bond dans le temps pour nous retrouver à Cuba en 1954. Cette ellipse entraîne avec elle un certain nombre de questions, que la seconde partie du récit nous livre dans un tout autre contexte. Le décor et le ton changent, même Bernie n’est plus le même. Vingt ans et une guerre mondiale ont changé l’homme, c’était inévitable. Moins cynique, moins engagé, plus taiseux et, de manière contradictoire, beaucoup plus naïf, il va se lancer dans une enquête, en écho à la première, dans laquelle il sera impliqué à un niveau plus personnel, plus intime. En retrouvant son éphémère amour d’antan, la sublime journaliste américaine que les événements d’alors ont condamnée à fuir son promis, il renoue avec un passé lourd qui semble le rattraper, sur lequel il pensait avoir fait une croix définitive. À La Havane il veut créer un petit business autour des cigares puis retourner en Allemagne, mais cela semble mal engagé.

Je craignais de perdre le fil de l’histoire, d’autant plus que la première partie se termine de manière abrupte. Mais l’auteur parvient habilement à renouer les fils entre eux, dans une nouvelle direction. Après la politique allemande des années 30, c’est celle de Cuba des années 50, non moins agitée, que l’on découvre. Je pensais m’égarer, mais l’auteur nous épargne l’excès de détails, et le récit retrouve plus de fluidité. Nous retombons finalement sur nos pattes, la boucle se referme en nous offrant quelques révélations et explications surprenantes et habiles qui colorent le récit d’un aspect « secret d’alcôve » désuet mais charmant.

Hôtel Adlon est un roman qui nécessite une lecture attentive, beaucoup de choses sont mises à plat, il faut faire le tri dans ce qui nous est fourni. L’intrigue est complexe, oui, mais en suivant correctement le fil, elle parvient à un dénouement finalement simple qui nous fera presque regretter que l’auteur ait choisi des chemins aussi tortueux. Le récit est intégralement porté par son personnage principal qui fait de l’ombre aux autres, dans la première partie surtout, et par une écriture piquante et métaphorique remplie d’insolence. Sans être une lecture mémorable, par manque d’émotions fortes, d’une palette de personnages suffisamment sculptés et d’approfondissement de certaines thématiques qui ne sont que légèrement frôlées, il a le mérite de tenir la route et d’être parfaitement rythmé. Petite fausse note qui pourrait en gêner certain(e), la gent féminine est ici traitée avec tout le sexisme ordinaire malheureusement beaucoup trop courant en littérature.

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