Helena s’est très vite imposé dans ma petite sélection. Un thriller psychologique américain raconté par un français, voilà de quoi séduire l’adepte des drames familiaux que je suis. L’épaisseur du livre me laissait envisager une histoire délayée mais généreuse, quand la couverture, elle, m’a immédiatement troublée. Ce regard sombre de femme sur peau luisante et ce titre hachuré ont-ils efficacement diffusé leur sévérité parmi les 700 pages de ce roman ?

Résumé de l’éditeurHelena - Jérémy Fel

Une décapotable rouge fonce sur l’Interstate. Du sang coule dans un abattoir désaffecté. Une présence terrifiante sort de l’ombre. Des adolescents veulent changer de vie. Des hurlements s’échappent d’une cave. Des rêves de gloire naissent, d’autres se brisent.

Mon avis

Ce roman s’axe autour de la rencontre entre une jeune fille de la jeunesse dorée, Hayley, et une famille rustique composée de trois enfants et de leur mère, Norma. Un banal accident de voiture en est la cause, contraignant Hayley à sympathiser avec ces gens simples et authentiques, se liant presque d’amitié avec Norma, heureuse de lui venir en aide. Obligée de passer la nuit dans leur demeure, Hayley va pourtant y vivre l’enfer, victime de la violence de l’un des membres de la fratrie.

Il y a la petite Cindy, qui se prépare à participer à un concours de mini-miss, la fierté de sa mère ; Tommy, le solitaire, le perturbé, le pied bancal ; Graham, l’aîné, stable et plein d’ambitions. Déjà, cette fratrie hétérogène et décomposée/recomposée annonce l’imminence d’un éclatement. Leurs différences sont gravées à vif, décrits qu’ils sont par ce qui les oppose et non les rassemble. Norma tente de mener de front leur bonne éducation et la tenue de sa propriété agricole ; seule, depuis la mort de son dernier conjoint. Un lecteur averti pensera sans aucun doute à une autre Norma, la mère de Norman Bates (Psychose). L’une comme l’autre possèdent une personnalité flasque reconstruite à travers l’amour porté pour ses enfants, ont accumulé des vies amoureuses tourmentées et supportées dans la douleur, ont choisi une existence solitaire et recluse, mais détiennent une force les rendant tantôt fascinantes tantôt effrayantes. Elles sont des mères de famille que l’on est tenté d’applaudir avant de suspendre son geste face à la violence de leurs instincts, des louves sous une apparence tendre et naïve, prêtes à tout pour défendre la chair de leur chair, quitte à flirter dangereusement avec l’illégalité. Voici pour le portrait de la mère Norma d’après Bloch et Jérémy Fel.

Ce récit est celui d’une escalade de la violence des personnages. À partir d’un acte criminel, dans lequel le bourreau et la victime sont clairement définis, les valeurs, principes et morales de tous s’étirent et se transforment. Poussés vers des limites inimaginables quelque temps plus tôt, nos personnages sont contraints d’adapter leur comportement, quitte à laisser parler leurs plus vils instincts. Il est très souvent question de survie. Alors, le lecteur assiste à la métamorphose de Norma, de Hayley, de Tommy, de la petite Cindy et de Graham. L’auteur ne les ménage guère et leur dresse des obstacles de dernière minute, des murs se lèvent en un claquement de doigts, des barrières se referment, des crevasses se forment. Tels des rats égarés dans un labyrinthe et guidés par leur seul instinct de survie et ce que le maître du jeu décide pour eux, ces individus pitoyables avancent, butent et se relèvent.

Ce roman porte en lui la rage, la vengeance et l’amour, à travers des êtres déchaînés par l’ouragan de motivations dévorantes surgies brusquement ; les pires car elles n’ont pas eu le temps d’être élaborées posément. Ainsi, l’auteur nous donne-t-il un bel exemple de fureur maternelle ne répondant à rien d’autre qu’à l’amour d’une mère pour ses enfants.

Jérémy Fel crée une tension sur le simple fait de l’incertitude des personnages quant à leur propres capacités. Il existe un instant-t où ils savent ne plus agir selon leur modèle fondamental. L’auteur détaille l’avant, le pendant et l’après avec minutie et pointillisme. Le résultat est juste et complet. Le lecteur est surpris à de nombreuses reprises, par la tournure de l’intrigue purement factuelle proposée par l’auteur et par l’orientation psychologique de ses personnages ; l’un et l’autre étant d’ailleurs liés dans un rapport de causes à effets tournant et brillamment exécuté. Le talent de l’auteur se dévoile dans la longueur, dans le marathon que représente l’écriture d’une histoire, courte dans la temporalité mais longue car riche de nombreuses péripéties qui se répondent et s’entrechoquent.

Jérémy Fel décrit, à travers Hayley, une jeunesse américaine aisée marquée par la drogue facile, la désinvolture, l’alcool en excès et le laisser-aller parental : tableau classique de l’être jeune aux États-Unis. Tommy et Graham arborent, quant à eux, des portraits standards ; l’un du sociopathe en germination, l’autre du bon élève sans histoires. Des adolescents qui, pris seuls, m’auraient sans doute ennuyée, chez lesquels j’aurais déploré un manque de nouveauté. Mais en interaction ils s’élèvent et prennent de l’épaisseur. L’auteur les encastre à l’intérieur d’un édifice narratif puissant, qui les écrase jusqu’à en faire sortir le concentré de leur caractère.

Ce récit présente le format des séries américaines, se calquant sur un rythme propice aux cliffhangers, offrant le micro et orientant la caméra sur chaque personnage, à tour de rôle.

J’émets toutefois quelques réserves sur le final, nous apportant, enfin, l’explication quant au choix du titre. Je n’y pas ai pas trouvé la révélation percutante que j’attendais, ni même un effet de rupture avec l’histoire laissant le lecteur en suspens. De plus, je déplore une plume fade qui raconte sans esthétisme une histoire, par chance, suffisamment costaude pour supporter une pauvreté langagière qui parfois se perd dans des détails inutiles.

Helena est un roman fascinant, oppressant et addictif, qui dérange au bon moment, avant de rassurer pour mieux frapper de nouveau. Il n’épargne rien à ses personnages, essoufflant le lecteur à force de mésaventures malsaines et sordides. La folie n’est jamais bien loin, mais se camoufle sous une normalité de façade, celle que l’on donne après-coup aux actes inconsidérés effectués précipitamment. Tous, Norma, ses enfants et Hayley, tentent de se convaincre de la fatalité de leurs agissements pour redorer leur conscience.

Une fois commencé, Helena se dévore. Il est impossible de relâcher le livre avant de savoir comment l’histoire se termine. Jérémy Fel s’en assure en ne laissant jamais une situation s’éterniser. Son intrigue rebondit tout en s’intensifiant, resserrant les multiples étaux posés là dès les premières pages. Un excellent thriller, original et consistant.

Et vous, avez-vous entendu parler de ce roman ? Vous laisserez-vous tenter ?

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