Voici un livre que m’ont fait parvenir les Editions Paulo Ramand. Il s’agit du premier roman d’un jeune écrivain de vingt-et-un ans qui vient tout juste de paraître. Il me semble que c’est inédit sur le blog que je vous présente le premier ouvrage d’un auteur en « exclusivité » si j’ose dire; l’occasion pour moi de découvrir un jeune talent encore méconnu.

Résumé de l’éditeur

Imaginez…
Un lycée. Une bande d’imbéciles. Des insultes, des passages à tabac et bien pire.
Une mère excessivement protectrice et un père bien trop différent de vous.
Une soirée, une énième soirée qui tourne mal.
Un courrier anonyme glissé sous votre porte.
Et vous voilà parti pour déterrer le passé, au risque de côtoyer le pire.

Je m’appelle Jean et voici mon histoire.

Mon avis

Je dois vous avouer qu’il m’est délicat de m’atteler à cette critique, puisque je n’ai aucune envie de porter préjudice à ce jeune auteur. On ne juge pas l’oeuvre d’un écrivain en herbe comme celle d’un auteur réputé aux nombreux succès, ou tout du moins l’on excuse plus facilement. Sylvain Gane a tout à prouver et il saura certainement séduire un grand nombre de lecteurs avec ce roman .

Dans ce livre, deux principaux thèmes sont traités, mais à des niveaux nettement différents. L’un concerne le harcèlement scolaire, puisque le personnage principal est la victime d’une bande d’imbéciles qui s’acharnent violemment sur lui sans raison, si tant est que l’on puisse violenter quelqu’un sous des motifs valables. L’autre, celui qui constitue le cœur de l’intrigue, concerne la recherche des racines familiales, le héros étant en plein doute quant à l’identité de son véritable père, suite à la réception d’une curieuse lettre, l’œuvre d’un corbeau. Ces deux trames trouvent un point de rencontre en la personne de Philippe, un homme d’une trentaine d’année, qui va brusquement faire irruption dans la vie de Jean en apportant avec lui angoisse et confusion. Nous suivons Jean de près au cœur de ce qui s’annonce comme un drame. Le récit est écrit à la première personne, apportant une proximité plus forte que celle offerte par un simple journal intime. En effet, le lecteur est invité dans la tête du jeune garçon, submergée de questions qui lui sont presque directement adressées. Nous sommes ainsi au plus près de la souffrance de Jean, de ses réflexions, de son mal-être, et assistons impuissants à l’installation insidieuse d’une forme de délire paranoïaque.

Le rythme est ainsi relativement lent, bien que l’histoire se déroule sur quelques jours seulement. Mais l’auteur a fait le choix de nous proposer des moments de « pause », où nous sommes en intimité totale avec le héros. Force ou faiblesse du récit, je reste indécise.

Ce roman a pourtant le mérite de réussir dans sa fonction immersive, puisque nous ne nous éloignons à aucun moment de la tête du personnage principal, nous ressentons le moindre vacillement dans ses émotions. Néanmoins, la face plus négative d’un tel procédé est de noyer le lecteur dans un trop-plein de questionnements,  plus ou moins en lien avec l’intrigue principale, et surtout répétitives. En effet, Jean se retrouve très souvent seul avec lui-même, dans sa baignoire généralement, l’occasion de se laisser aller à un torrent de larmes qui s’accompagne d’un ressassement continuel de ce qui lui y arrive. Néanmoins, je regretterais peut-être un manque de distanciation de ce personnage par rapport à son vécu, et une ouverture des vannes lacrymales trop fréquente, comme si ceci était le seul moyen pour lui d’évacuer ce qui l’empoisonne. Mais rappelons tout de même que ce jeune homme n’a que seize ans, que ce qui lui arrive, au lycée et au sein de sa famille, n’est guère enviable; cet élément est largement suffisant pour expliquer et excuser un tel comportement. Néanmoins, pour apporter du rythme et un peu plus de matière au récit, il aurait été pertinent de rendre Jean un peu plus actif, quitte à l’éloigner du modèle adolescent et de l’immaturité qui va avec, de manière à offrir un regard moins pitoyable sur son vécu. Car en effet, le larmoyant devient vite pesant, oppressant, étouffant. Le lecteur aura envie de clore cette histoire pour sortir de cet état léthargique. Je devine que la volonté de l’auteur était sûrement telle, et en cela il a réussi. Mais en ce qui me concerne, je n’ai pas été particulièrement sensible aux malheurs de Jean, pas assez  « spiritualisés » à mon goût.

Ce roman aurait mérité d’être plus concis, il en aurait gagné en rythme et en intensité. L’auteur aurait pu s’épargner certaines scènes, certains échanges entre les personnages qui alourdissent le récit, et impatientent le lecteur. Ainsi, arrivée à trois-cent pages, j’avais hâte de connaître le dénouement, et je dois dire que les cinquante dernières pages m’ont paru excessivement longues. La conclusion est apportée en plusieurs étapes, non nécessaires, puisque rapidement le lecteur en saisira l’essentiel.

Je me suis pourtant laissée emporter par l’ambiance, oppressante, pesante, lourde de non-dits, d’allusions, de questions demeurant sans réponses. Les personnages gravitant autour de Jean, que ce soient ses parents, ses deux amies ou le mystérieux Philippe sont tous crédibles dans leur personnalité, les relations sont intelligemment décrites et exploitées. La mère de Jean est certainement la plus mémorable, odieuse, égoïste, surprotectrice, j’ai rapidement suspecté chez elle une face cachée, son excès de tendresse et de bienveillance lui servant à camoufler un passé honteux.  L’auteur a voulu concentrer son récit sur un nombre restreint de personnages, et ce choix est idéal, apportant à son récit une ambiance de « huis-clos » où chacun est suspecté de jouer un double-jeu, une farce macabre dont Jean serait la seule victime.

La fin est brutale, violente, elle surprendra certainement les lecteurs s’attendant, et souhaitant, un allègement dans le ton du récit. Pour ma part, je m’y attendais, je n’envisageais qu’un tel dénouement; et malgré l’absence de surprise j’ai été satisfaite que l’auteur ait fait ce choix, qui diffère des romans du même genre. C’est audacieux, un parti pris intéressant quoique franchement pessimiste mais qui colle parfaitement au ton global du récit, ainsi qu’à la personnalité du personnage principal. Et après mûre réflexion, j’envisage la passivité du héros, et son repli sur soi d’une tout autre manière. Bien que je ne revienne pas sur la sensation que j’ai éprouvée tout au long de ma lecture, le final m’a quelque peu ouvert les yeux.

Harcelés est un roman qui aborde deux thèmes sensibles sur fond d’adolescence. Au final, je ne retiendrai que la quête de Jean au sujet de ses racines familiales, le harcèlement scolaire passe largement au second plan, s’efface face à une véritable intrigue, puisque ce que subit Jean de la part des autres élèves n’est évoqué qu’en pointillés. Le final vient tout remettre en question, en nous obligeant à porter un nouveau regard. La force de ce livre réside certainement en ceci que son dénouement, par sa violence et le coup de massue qu’il apporte sur le reste du récit,  vient partiellement neutraliser les points faibles que j’ai relevés durant ma lecture.

Et vous, vous arrive-t-il souvent que la fin d’un livre remette en question son appréciation globale ? 

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