Je me suis intéressée à ce roman après avoir découvert l’histoire de son succès, assez fulgurant dès sa sortie en format Poche. J’ai ensuite lu son résumé avant de rapidement me le procurer. Le monde paysan offre de très beaux romans, souvent crus, violents, poisseux, mais toujours authentiques. Alors un policier, pensais-je, sur fond de ruralité, avait tout pour me plaire.

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Les Doges, un lieu-dit au fin fond des Cévennes. C’est là qu’habite Gus, un paysan entre deux âges solitaire et taiseux. Ses journées : les champs, les vaches, le bois, les réparations. Des travaux ardus, rythmés par les conditions météorologiques. La compagnie de son chien, Mars, comme seul réconfort. C’est aussi le quotidien d’Abel, voisin dont la ferme est éloignée de quelques centaines de mètres, devenu ami un peu par défaut, pour les bras et pour les verres. Un jour, alors que l’abbé Pierre disparaît, tout bascule : Abel change, des événements inhabituels se produisent, des visites inopportunes se répètent.

Mon avis

Il y a des livres qui vous laissent dans un état d’incertitude presque gênant, quand une fois la dernière page tournée vous ne savez pas vraiment ce que vous venez de lire. Est-ce l’histoire d’un drame familial ? Ou bien, un thriller psychologique ? Ou encore, le récit de la folie d’un homme ?

Et pourtant, jusqu’aux ultimes pages j’étais pleinement dedans, dans l’attente de l’événement crucial. L’ambiance est lourde, le paysage, la météo, le silence, et les deux personnages que sont Gus et Abel. Le ciel semble prêt à vous tomber sur la tête à chaque instant. Le décor est quasi apocalyptique. L’auteur nous décrit les arbres sombres, la neige collante et étouffante, les flocons qui tombent, le ciel qui se charge, l’absence de bruit, ou les cris animaux, avec une mélancolie  vous assommant dès la première page. L’on marche derrière Gus, lasse de son existence, rythmée par les saisons et les bêtes, qu’il faut traire et nourrir. Gus vit dans un périmètre restreint, il connaît cette nature, endormie et sauvage, mais il la craint, sursautant aux bruits nouveaux, soupçonneux face à des traces inconnues. Gus n’est peut-être pas le paysan solitaire et taciturne que l’on attend dans un tel contexte. Il faut dire, sur un fond noir, le gris se détache. Pris dans la solitude désertique, Gus s’humanise. Mars, son chien, n’y est pas pour rien ; à ses côtés, Gus devient un maître attentionné et aimant, et ceci est bien suffisant.

Puis de curieux événements surviennent, des coups de feu, des traces de pas, Abel qui tient des discours contradictoires et agit de manière désordonnée. Il y a aussi ces étranges visites, des évangélistes apparus on ne sait comment qui s’intéressent à la foi de Gus, inexistante cela va sans dire. En parallèle nous découvrons le passé du paysan ; à cinquante ans, et malgré un quotidien sans grands tumultes, il possède un bagage de cicatrices lourdement chargé. Il a assisté à la mort de ses deux parents, sa mère a assassiné son mari à coup de fourche, puis elle s’est pendue. Gus était là, assis devant sa mère se débattant avec la corde et l’a regardée calmement expirer son dernier souffle ; il la détestait. Ces souvenirs, apparus dans le silence des montagnes, ont l’effet de bombes dans le texte. L’auteur fait l’impasse sur une discrétion de rigueur, il expose les faits, bruts, puis revient sur Gus et son chien. C’est au lecteur à recoller les morceaux de sa personnalité tout en contrastes. Il m’a été difficile de me frotter à lui ; le temps de digérer les informations le concernant sûrement. J’ai été partagée entre la sympathie face à sa triste condition et la peur de ce qui couve en lui, fragments de son passé acérés et prêts à refaire surface. Un homme transportant sous ses bras de tels drames familiaux ne peut que susciter l’inquiétude, d’autant plus s’il vit reclus. Gus m’a troublée.

L’auteur est parvenu à créer du suspense dans les choses les plus insignifiantes. Car dans ce livre les péripéties sont pauvres. Non, la tension est plutôt à chercher dans l’ambiance, le ciel lourd surtout, toujours menaçant, qui semble peser un peu plus chaque jour. Le lecteur, comme Gus, attend l’événement que semble augurer cette nature environnante. Les journées se suivent, dans une certaine répétition. Gus se lève aux aurores, s’occupe du bétail, se fait à manger, allume la radio, va à l’épicerie puis au café, son quota de sociabilité hebdomadaire, et boit régulièrement un verre avec Abel ; leurs échanges sont brefs, sibyllins, sourds. J’ai tourné les pages, happée par le rythme, lent, happée par l’inertie de l’action, cheminant dans le brouillard, voulant poser du sens sur tout ceci.

Il y a enfin une révélation, choc, suivie d’une deuxième, encore plus saisissante. Tout à coup le décor se met en branle, ça s’accélère. Et puis la fin arrive, je l’ai lue, je l’ai relue, y ai longuement réfléchi, l’ai une nouvelle fois lue, mais elle demeure toujours énigmatique. Et enfin cet épilogue, qui ne m’a pas éclairée davantage. Ce virement est bien étrange, cette mise en mouvement ne s’accompagne d’aucune explication. Je suis sortie d’un brouillard pour en pénétrer un autre, et y rester.

Alors que j’étais jusque-là séduite par ce roman atypique, tant il repose sur des éléments simples mais glacials car de riens l’auteur parvient à dresser un décor efficace et redoutable, j’en suis sortie violemment, comme expulsée du récit sans préambule. Ce n’est pas très juste pour le lecteur. Aussi je ne peux juger ce roman convenablement, car je n’en ai pas saisi la finalité, le sens. Je peux m’étaler sur le style de l’auteur, métaphorique et nonchalant, sur l’univers créé, qui se résume à peu de choses, mais sur l’histoire je crains de ne pouvoir discourir, elle m’a échappée, elle reste un immense point d’interrogation. En fait d’histoire, il y a des souvenirs et une scène finale. C’est peu. L’auteur a voulu jouer sur la sobriété, disséminant des éléments par-ci par-là, comme la mort de l’abbé Pierre, fil rouge du récit, ou bien ces fameux évangélistes, ou encore le voisin Jean Paradis. Vous constaterez que tout ceci est bien mystique, mais je ne suis pas parvenue à décrypter les signes de cet au-delà.  Car s’il y a une chose que j’ai saisi, c’est qu’il est bien question de la mort. Une mort anesthésiante, insidieuse.

Grossir le ciel est un roman qui sort des sentiers battus, il possède un truc oui, qui vous titille. Il n’est pas un policier, ça non, ce serait beaucoup trop simple ; ce qualificatif est bien trompeur, comme trop souvent d’ailleurs. Malgré mon amertume finale sa lecture vaut le coup, une petite pause d’air vif montagnard, non rafraîchissante mais engourdissante. Si vous saisissez la fin ce sera alors tout bénéfique pour vous, et je serai bien curieuse d’en être avisée.

Et vous, connaissez-vous ce roman ?

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