La réputation des auteurs islandais s’étend chaque année un peu plus ; à l’image de leur terre dont on semble avoir découvert les trésors récemment. Toujours parce qu’il y fait froid,  j’ai voulu me lancer dans la lecture de ce roman de Jón Kalman Stefánsson au titre poétique, sans m’attendre à y trouver un récit décousu et, pour moi, bien peu évocateur. J’espérais plutôt dépaysement, bouffée d’air frais, grands espaces et mer agitée. Ce que j’ai eu, mais en partie seulement…

Résumé de l’éditeurEntre ciel et terre - Jon Kalman Stefansson

Parfois, à cause des mots, on meurt de froid. Comme Bárður, pêcheur à la morue islandais, il y a un siècle. Trop occupé à retenir des vers du Paradis perdu de Milton, il oublie sa vareuse en partant en mer. De retour sur la terre ferme, son meilleur ami entame un périlleux voyage pour rendre à son propriétaire, un vieux capitaine devenu aveugle, le livre funeste. Pour savoir aussi s’il veut continuer à vivre.

Mon avis

La première partie est prodigieuse. Des pêcheurs à la morue embarquent  sur un canot de fortune pour la haute mer ; il fait encore nuit, le ciel et la mer sont calmes. Si mauvais temps il doit y avoir, ce sera pour plus tard ; la pêche n’attend pas. Mais, bien vite, les éléments se déchaînent, la vent puis la neige et la pluie glaciale. Congelés, les six hommes peinent à ramer, devant d’abord extraire leurs filets garnis de poissons frais. Bárður subit plus que les autres, il lui manque sa précieuse vareuse, laissée à terre sur une étourderie fatale. Le retour est laborieux, ils reviennent à six mais Bárður décède quelques minutes plus tard.

Un jeune garçon de l’équipage, l’unique ami du malheureux, récupère le livre qui obsédait l’homme, jusqu’à lui faire oublier cette fameuse vareuse. Décidé à ne pas laisser mourir le texte avec son compagnon, il entreprend un périple pour le remettre aux mains de son propriétaire, un capitaine aveugle plutôt effrayant. « Périlleux voyage » est une expression légèrement exagérée pour qualifier l’aventure jusqu’au village voisin, certes marquée par une nuit sous un abri de neige, mais le gamin est vigoureux et déterminé. La suite, la seconde partie, c’est la découverte des habitants au sein d’un café dans lequel viennent s’abreuver les anciens capitaines. L’enfant écoute ces histoires de vie, raconte la sienne, la mort de Bárður, connu dans le village. Le livre, lui, est rendu à son propriétaire, de la main à la main, sans plus de discussion. Le but du voyage est atteint, que reste-t-il à faire ? N’y a-t-il pas d’échanges approfondis sur la littérature, la poésie, les auteurs fétiches de chacun ?

Et me voici à tourner les pages en quête d’une nouvelle direction narrative, cherchant le fil conducteur trop tôt abandonné avec la mort du pêcheur, pivot du livre. L’enfant radote sa tristesse, lui faut-il continuer à vivre ? pour quoi faire ? Le lecteur, pris en étaux par un deuil dans lequel il n’a pas le goût de s’investir, écoute à présent les récits de locaux, inactifs et plantés là comme des choux. L’histoire s’écoule dans le passé, car le présent n’apporte plus rien, oisif et froid ; on attend que le temps passe.

Qu’en est-il du narrateur ? Sa place est brouillonne, j’ai cru un moment qu’il s’agissait du gamin. Il est là mais son identité demeure mystérieuse, sa position est bien étrange, si proche et à la fois lointaine. Il sermonne, instruit et raconte. Il se permet des circonvolutions.


La poésie est semblable à la mer, la mer est froide et profonde, mais aussi bleue et d’une grande beauté, il y nage bien des poissons, elle abrite toutes sortes de créatures, et pas seulement des bonnes.


Des propos de génie côtoient des pensées enfantines et naïves comme des vérités scientifiques dissonantes ( « Le cœur est un muscle qui pompe le sang. », « Le poisson n’est pas uniquement une espèce vertébrée à sang froid qui vit dans l ‘eau et respire par les ouïes. ») ainsi que de nombreuses répétitions sur les thèmes de la vie et la mort. Il y a de la poésie dans ce texte, une manière de livrer une histoire en pointant du doigt les petites beautés du monde, avec maladresse je trouve mais ceci en est presque touchant. L’auteur tâtonne dans son récit, qui apparaît expérimental à mesure qu’il se déroule, semblant écrit d’une traite, un peu à la hâte, sans réflexion préalable sur sa structure et sa cohérence. L’auteur hésite, souvent, répète, revient, et termine parce qu’il le faut bien. Il mêle pensées philosophiques, morales, contes, fantaisie et gravité, rêve et réalité. C’est un foutoir dans lequel il faut fouiller, je crois, pour extraire de jolies pépites à savourer.

Je suis pourtant restée insensible et hermétique à la tournure prise par l’histoire, dans laquelle toute l’intensité est expédiée en première partie, me moquant bien des récits des uns et des autres si c’était pour les abandonner peu de temps après. Il est cocasse de nous présenter de nouveaux personnages quand la fin est proche. Et puis, le quotidien des pêcheurs de morue, la solidarité entres hommes, l’atmosphère grise et lourde, les rivalités pour le poisson, et enfin leur expédition mortelle, étaient en soi bien trop fabuleux pour être suivis par l’errance d’un garçon, dont on nous avait pourtant vanté les difficultés. Le périple est trop court pour mobiliser les mêmes émotions ressenties plus tôt, et de périple il n’y a point. Je n’ai pas compris la bascule.

Entre ciel et terre devait être le récit d’un parcours, un combat pour la vie, un après décisif pour un gamin un peu trop seul et sensible, ni enfant, ni adulte. Il sera parvenu à m’émerveiller et m’angoisser durant les cent premières pages – ce qui est déjà bien – avant ce revirement pour moi peu digne d’intérêt, long et inutile, qui presse la question du sens de la vie avec une urgence et une application incomprises, à grand renfort de nouveaux personnages dont on nous fait la présentation juste avant de les quitter. Les nombreux patronymes aux sonorités trop proches ne m’ont pas franchement aidée. Il y a une mélancolie qui vous colle aux pattes dans les discours, les attitudes des personnages, c’est à vous décourager d’aller plus loin. La rupture était définitive, l’auteur m’a perdue en mer avec Bárður. Ce roman possède pourtant une aura mystérieuse, une force quasi mystique improbable, il a un truc qui m’empêche de trop appuyer ma déconvenue. Ayant été d’abord fortement séduite, je reste sur cette première réussite, au large des côtes islandaises, dans l’attente du drame et du poisson…

Et vous, qu’en est-il de vos lectures islandaises ?

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