La couverture de Douleur a attiré mon regard. Zeruya Shalev ? J’ignorais son nom. Les bleus profonds m’ont suffi. Quel genre d’histoire ce cache derrière ce mot, comme titre, et ce corps nu présentant un dos que des mains viennent agripper en insecte recroquevillé ? Intriguée, j’ai découvert un récit à la trame émoussée mais étonnamment addictif.

Résumé de l’éditeurDouleur Zeruya Shalev

Dix ans après avoir été blessée dans un attentat, Iris semble avoir surmonté le traumatisme. Malgré des douleurs persistantes, des problèmes avec ses enfants et un mariage de plus en plus fragile, la directrice d’école ambitieuse et la mère de famille engagée qu’elle est s’efforce de prouver qu’elle contrôle la situation. Tout bascule cependant le jour où elle reconnaît, sous les traits d’un médecin qu’elle consulte, Ethan, son premier amour, qui l’avait brutalement quittée lorsqu’elle avait dix-sept ans.

Mon avis

Nous sommes à Jérusalem. Iris est une femme qui a tout pour être comblée. Deux enfants, un mari, un travail enrichissant, une vie sociale animée. L’édifice est pourtant branlant, l’ennui, le désarroi, l’énervement viennent colmater les trous qu’un attentat dont Iris a été victime quelque dix ans plus tôt a laissés. Et puis, elle croise la route de son amour de jeunesse. Médecin au service de prise en charge de la douleur, Ethan lui dérobe son existence en lui faisant miroiter un avenir plein d’amour et de promesses à ses côtés. Vous avez l’impression d’avoir déjà lu cent fois la même histoire ? C’est sûrement le syndrome de la quarantenaire débordée (pour changer de l’homme). Mais la suspicion d’un texte sans surprise qui, au mieux, susciterait chez moi l’abattement s’est rapidement écrasée. Se dégage de ce récit une force mystérieuse, une énergie se nourrissant d’une ambiance dramatique dans laquelle mon cœur a trouvé matière à battre un peu plus vite.

Sur le papier, Iris n’est pas une héroïne plaisante, elle est pleine de contradictions et souffre de ne savoir gérer ses émotions. Le plus souvent glaciale avec sa famille, pointe en elle le désir de bien faire et de garder la tête haute. Arrogante et fière, elle peut être pitoyable et faible. Iris souffre et a souffert. Physiquement déjà, et c’est sur l’incapacité du corps à faire avec ses blessures que germent les insuffisances émotionnelles. Iris, dix ans après le drame, n’a pas réussi à se reconstruire. Date anniversaire cruciale qui sera fêtée par l’obligation de faire un choix. Revenir au temps ancien de l’amour passionnel auprès d’un Ethan plus vieux mais plus fougueux, ou persévérer à alimenter un foyer dans lequel ne subsistent que des braises ? Attaquée de toutes parts par son passé qui sans cesse ressurgit, Iris plonge dans la vague, se coule à Ethan, s’abandonne à son étreinte. Elle oublie son époux, ses enfants, son travail. N’existent qu’elle et lui. Naïve et si stupide, Iris redevient adolescente.

Au bout de plusieurs dizaines de pages, me voici piégée. Condamnant les adultères classiques qui toujours laissent sur le flanc des époux éplorés, je me jette à bras-le-corps dans l’enivrant tumulte de l’illégitime et frémis au contact d’une nouvelle peau. J’envie Iris et sa nouvelle chance, je savoure les baisers échangés et j’oublie à mon tour mari et enfants. Zeruya Shalev construit le portrait d’une femme si vrai, si haïssable mais si empreint de vérité et de sincérité, que les élans les moins pardonnables m’emportent avec eux. Iris a beau cacher à tous son infidélité – avec perfidie souvent – l’honnêteté avec laquelle elle traite sa propre faiblesse m’a touchée. Peut-être parce que j’ai deviné la fin un peu trop tôt… Vient ensuite une seconde intrigue portant sur le probable embrigadement d’Alma, sa fille, dans une secte. Si j’ai été moins convaincue par cette partie de l’histoire, accessoire et singulière, j’y ai trouvé un dynamisme frais.

Les dialogues n’ont pas cette politesse bien française – cette hypocrisie pourrait-on dire – qui rend le mensonge encore plus honteux. Ici, je trouve les mots durs, les paroles tranchantes, on camoufle autrement que par le dire. La tendresse n’est pas à chercher dans ce qui s’exprime. Que ce soit avec les enfants, l’époux, l’amie, Iris est terrible quant elle ouvre la bouche. Ma surprise face à des échanges abrupts qui ne choquent personne m’a confortée dans l’idée que l’auteure a souhaité écrire un drame et non une romance contemporaine. Il n’y a aucune complaisance dans la tromperie. Y trouver de quoi hérisser les poils est juste un passage, avant que le voile ne tombe, que la façade s’effrite.

L’attentat est une menace permanente, un doute suintant des blessures d’Iris. Il faut trouver un coupable, l’identité du kamikaze passée sous silence, la faute est à chercher dans la famille. Est-ce Micky, qui a refusé d’accompagner les enfants cette fois-ci, prétextant une urgence professionnelle ? Alma, qui a voulu que sa mère lui fasse des tresses chinoises ? Omer, qui a fait perdre du temps en chahutant ? La journée fatidique ne se fera jamais oublier. Les multiples douleurs d’Iris lui ramènent à la mémoire chaque détail, toujours plus aiguisé à mesure que les années célèbrent un nouvel anniversaire. Les questions sur un potentiel coupable se posent sans tabou. La culpabilité est une vermine qui se balade dans les cœurs. Alors que je pensais l’attentat et ses conséquences devenir un lieu de questionnements politiques et sociaux, je le découvre comme un élément quotidien, certes dramatique, mais pas plus sujet à débat qu’un banal accident de la route. Un bus a explosé faisant des dizaines de victimes. Qui, pourquoi ?  Zeruya Shalev en extrait l’horreur en l’incluant dans une existence paisible qui saura quoi faire du traumatisme : creuser la chair des enfants avec les projectiles comme unique solution. Dans un pays sous tension, où les guerres n’en finissent pas, les douleurs d’Iris exposent l’ironie du vivre avec. L’auteure évoque plusieurs fois le service militaire obligatoire, pour les filles et les garçons ; long et éreintant il arrache les enfants à leur mère pour leur apprendre l’art de la guerre. Hormis ces cruels rappels de l’application des hommes à détruire, rien dans l’existence d’Iris et de sa famille ne diffère du quotidien occidental.

Douleur est l’histoire mille fois racontée d’une femme qui trompe son mari, hésite et hésite encore. Vous savez, ou non, comme m’est difficile ce genre d’intrigue boursouflée et auto-suffisante dans laquelle l’héroïne se déchire et se ruine, fuyant la paix du foyer pour trouver la folie d’instants fougueux au creux d’un homme toujours différent du mari. Et pourtant, suivre Iris dans ses pérégrinations d’épouse et de femme n’a pas suscité chez moi l’envie d’y mettre fin au plus vite et de faire taire ses lamentations exagérées et vaines. Si j’ai accepté avec joie de l’écouter c’est que j’ai cru en son histoire, en sa parole, en sa douleur. Elle a beau représenter le narcissisme à son extrême, et la quarantaine tumultueuse et si agaçante, je n’ai pour autant jamais douté de son expérience et de la souffrance inhérente à une situation à laquelle elle aurait pu mettre fin si aisément.

Il me faut souligner la plume – la traduction – fort déplaisante. J’ai été déconcertée par les phrases, les tournures, le choix du temps dont la concordance laisse par moments franchement à désirer. C’est dire le pouvoir de l’histoire si je suis parvenue au bout malgré une écriture contestable qui mobilise des images fort curieuses. Car au-delà de la syntaxe, il y a d’étranges rapprochements, illustrations, liaisons.

Douleur est un roman pénible et bavard pour certains, voire sans intérêts. J’aurais pu me ranger du côté des sceptiques, mais l’évident plaisir que j’ai eu à suivre Iris témoigne, me concernant, d’une réussite. L’éclatante franchise des personnages et l’acharnement de l’auteure à creuser leur mal-être m’ont émue. Je soupçonne aussi la narration de posséder un quelque chose d’indescriptible, surpassant la forme même. J’en suis sortie satisfaite et divertie, sans larmes ni regrets mais étrangement apaisée. Douleur est un joli roman, découverte d’une écrivain israélienne aux préoccupations de son temps.

Et vous, avez-vous d’autres auteurs israéliens à me conseiller ? 

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