En matière de littérature japonaise on ne peut pas dire que ma culture et mon expérience soient éloquentes. Aussi, ce recueil de nouvelles entraperçu de-ci de-là avait peu de chance de parvenir jusqu’à moi. Mais il se trouve que ce titre m’a poursuivie, inconsciemment, il me revenait en tête comme une douce vague. Dans le même temps, s’installait un parallèle avec le recueil d’Alice Munro. Le Canada contre le Japon pour une lutte sur un même terrain, avec les mêmes codes, autour de la solitude amoureuse. J’aime l’idée de créer des échos dans mes lectures, et plus concrètement sur le blog.

Mot de l’éditeur

Neuf ans après Saules aveugles, femme endormie, le retour d’Haruki Murakami à la forme courte. Dans ce recueil comme un clin d’oeil à Hemingway, des hommes cherchent des femmes qui les abandonnent ou qui sont sur le point de le faire. Musique, solitude, rêve et mélancolie, le maître au sommet de son art.

Mon avis

Sept nouvelles construisent ce recueil, un chiffre parfait pour des tailles de texte idéales. Là-dessus au moins je m’entends avec l’auteur. Pour le reste, je grince des dents ; ou plutôt, je ronge mon frein.

Ma première impression a pourtant été positive. Une écriture fluide et agréable, très – trop – facile d’accès. Une première personne extérieure, réitérée dans la majorité des histoires. Une narration à deux étages. Le premier est une rencontre amenant à une confession, laquelle confidence constitue l’intrigue centrale.

Les personnages principaux, les narrateurs, sont essentiellement des hommes. Débonnaires, ouverts, curieux et amoureux, amoureux, amoureux. Le héros inaugurant le recueil introduit une liste d’individus ennuyeux à mourir, au caractère écrasé devant lequel je serais tentée de bailler sans retenue. Ne m’infliger pas ce genre de conversation, je ne tiendrais pas.

Le défaut majeur de ces nouvelles d’après moi, mais aussi la patte de l’auteur – il ne peut en être autrement –, sont ces personnages affreusement insipides, qui dénouent leur passé avec la même nonchalance, la même tonalité, la même bonté, la même émotion, travestissant le futur en une lente agonie au profit d’un passé glorifié. Une douceur languissante coule entre les textes, une mollesse soporifique. Le thème porteur est l’infidélité, non pas l’amour mais bien l’adultère. Les nouvelles assemblées proposent une partition harmonieuse, – on ne pourra reprocher une arythmie – sur l’homme trompé, l’homme amant, l’homme objet.

Voyez la femme, libre comme l’air, volant parmi les nuages. Voyez l’homme, cloué au sol, observant le drôle d’animal et attendant qu’il se pose pour s’en emparer. Par provocation, la femme fait des pirouettes et des vols planés en le frôlant. Lui, est condamné à conjurer son malheur en s’apitoyant sur son sort auprès d’un semblable. Ils sont tous dans le même bateau ces pauvres hommes. Assujettis à leurs désirs, aveuglés par l’autre sexe et l’illusion d’un bonheur conjugal irréalisable.

La femme volante est volage, l’homme terre-à-terre est broyé, rompu, brisé. Ainsi, se dégagent des histoires une lassitude et une fatigue étouffante, dans un schéma trop cyclique qui ne s’écarte pas d’une certaine ligne de conduite. L’amour est vu comme un parasite dont on ne peut se défaire. L’homme subit la piqûre avant de pleurer sur la douleur, et de gratter, toujours plus gratter sur ce satané bouton. Qu’il ne se plaigne pas s’il grossit de jour en jour. J’aime l’idée d’écrire sur le souvenir et la nostalgie. Mais, quand elle est force, énergie, source vivifiante, et non puits sans fond sur les parois duquel on s’arrache les ongles.

Je retiendrai pourtant trois nouvelles ; clairement les plus périlleuses. Je vise large, j’aurais pu m’arrêter sur une seule. Il s’agit d’une réécriture de la Métamorphose de Kafka, en inversé. Un insecte se réveille dans le corps d’un homme, Samsa Gregor. J’ai souri, je l’avoue. L’histoire m’a divertie après avoir enchaîné cinq nouvelles parfaitement accordées. Mais, puisque le thème conducteur porte sur le rapport de l’homme à la femme, l’insecte humanoïde découvrira, sous les yeux d’une jeune fille, le mécanisme de l’érection. Intéressant, je vous dis.

Les deux autres histoires pertinentes sont tout d’abord celle du chagrin d’amour d’un chirurgien le conduisant à l’anorexie, puis à la mort, et le récit d’une cleptomane ivre d’amour pour l’un de ses camarades de classe jusqu’à pénétrer son domicile pour subtiliser des objets lui appartenant. Sans être d’une démente originalité, elles apportent du sang neuf au recueil.

Des hommes sans femmes nous raconte une forme d’esclavage amoureux, l’obligation d’aimer et de l’être en retour, au risque sinon de finir comme ces personnages. Je ne me suis pas reconnue dans ces lamentations, dans la musique d’un amour sur laquelle je n’ai pas envie de danser. Aussi bien la femme coupable que l’homme beaucoup trop culpabilisé ne m’ont convaincue. Le résultat est gluant et lourd, par manque de caractères forts. Tous les faits et gestes sont excusables et excusés, on embrasse les blessures, on baise la main tendue qui a frappé, on se quitte le sourire aux lèvres, et puis on souffre en silence. Jusqu’à une rencontre qui nous fera revivre la désillusion. C’est une conception mortifère et déprimante. Néanmoins, je suis certaine que l’on peut y voir un optimisme fou ; il n’y a pas de toute, c’est une question d’interprétation. Il serait heureux de rechercher derrière mon impression un effet culturel. Ne me tapez pas sur les doigts si mes préjugés vous font frémir mais les Japonais m’apparaissent comme un peuple obséquieux et pacifique – c’est tout à leur honneur –. Aussi, je ne suis guère étonnée de mon ressenti, duquel ressort le regret d’un plus grand tumulte.

Je recherchais une mer davantage agitée, une immersion dans la turbulence du sentiment amoureux, une prise de risque réelle sur ce thème ô combien ressassé de la tromperie. Je crois m’être simplement fourvoyée, la rencontre n’a pas eu lieu. Ce recueil n’était tout simplement pas fait pour moi. Et pourtant, à la lecture m’est venue une grande sympathie pour l’auteur dont l’univers simple et délicat flirte souvent avec la rêverie. La plume n’a pas transpercé mon cœur, par manque de relief, mais déroule un texte avec élégance et retenue. En somme, ce recueil était plaisant à lire pour un instant de suspension entre deux romans plus mordants.

Et vous, êtes-vous amateurs de littérature japonaise ?

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