De ce livre je ne savais pas grand-chose, hormis le fait qu’il tend à s’inscrire dans la nouvelle lignée littéraire condamnant la domination de l’Homme sur l’animal, et plus particulièrement les élevages industriels. Ça fructifie depuis quelques années, entre les essais, les documentaires, les fictions, les lecteurs curieux trouveront toujours de quoi affirmer leur position ou de quoi la revoir justement. Me concernant, c’est à la fois un besoin d’en savoir plus mais aussi d’être rassurée quant à la bonne marche que semble peu à peu prendre notre société s’agissant du bien-être animal ; il y a tant à en dire, profitons de l’œil avisé de ceux qui mettent à profit leur talent d’écrivain dans une œuvre à plus vaste portée…

Résumé de l’éditeur

Iris n’a pas de papiers. Hospitalisée après un accident de voiture, elle attend pour être opéré que Malo Claeys, avec qui elle habite, trouve un moyen de régulariser la situation. Mais comment la tirer de ce piège alors que la vie qu’ils mènent ensemble est interdite, et qu’ils n’ont été protégés jusque-là que par la clandestinité ? C’est notre monde, à quelques détails près. Et celui-ci notamment : nous n’y sommes plus les maîtres et possesseurs de la nature. Il y a de nouveaux venus, qui nous ont privés de notre domination sur le vivant.

Mon avis

Si vous m’aviez dit, pour parler de ce roman, et pour le décrire de manière légèrement provocatrice, que je m’embarquerais dans une histoire d’extraterrestres assujettissant l’Homme, je me serais bien vite détournée de ce que j’aurais alors considéré comme une gentille blague. Le rédacteur de la quatrième de couverture a été bien inspiré d’omettre ce petit détail, camouflant la science-fiction contenue dans le texte sous l’obscur dénominatif de « nouveaux venus ». Qu’ils viennent de Mars ou de quelque autre planète nous importe peu ; d’ailleurs, de science-fiction il n’y a pratiquement pas, hormis dans les origines célestes de ces envahisseurs donc.

J’opte, pour  inaugurer ma critique, pour cette porte d’entrée qui est la première d’une longue série d’étrangetés et, pour rester dans le champ lexical, faisant de ce roman un véritable ovni. Ce texte représente un possible, et si ?, et si nous inversions la plus importante mécanique de notre planète, et si l’Homme prenait la place de l’animal, quel qu’il soit, de compagnie, destiné aux abattoirs ou au labeur. Cette réflexion, trop souvent entendue, sous forme de plaisanterie, ou de condamnation aussi virulente qu’imbécile, « Ha, si on faisait la même chose à l’être humain ! », eh bien, Vincent Message l’a prise au mot. Je pensais que personne n’oserait s’attaquer au sujet sous cet angle qui m’apparaissait d’une bêtise sans fond. Alterner les positions ? À quoi bon ? A-t-on besoin de ça pour se rendre compte de l’horreur de ce que l’homme fait subir ? Vraiment ?

Mais si la littérature n’était pas capable de me faire revenir sur mes paroles, alors qui l’aurait pu ? Car, bien loin d’être dégoûtée de parcourir ce qu’a fait subir l’auteur à ses petits personnages, j’ai été totalement déconcertée par l’univers reconstruit, par sa richesse, par son intelligence, et par sa très grande naïveté, sur laquelle je reviendrai.

Nous suivons deux individus. Le narrateur est Malo, un être venu de l’espace, lointain descendant de ceux qui ont, les premiers, mis le pied sur Terre il y a bien longtemps. Ces êtres ressemblent aux hommes, c’est tout ce que l’on a besoin de savoir. Il revient sur les raisons qui ont poussé son espèce à prendre le dessus sur l’Homme, à établir des lois pour contrôler son existence, ceci dans un souci de rentre la planète plus viable, pour eux, les nouveaux terriens. Autrement dit, ces êtres  sont devenus les nouveaux maîtres, prenant la place des humains. Que sont devenus les animaux ? Ils sont finalement les grands perdants, décimés ou errants, leur destin est bien obscur. Au jeu des chaises musicales, les chaises ne bougent pas, ce sont les joueurs qui tournent.

Et puis il y a Iris. Iris était condamnée à l’élevage, afin de finir en steak dans l’assiette d’un autochtone. Malo, travaillant alors en tant que contrôleur sanitaire, lui a sauvé la vie, comme on sauve celle d’un hérisson blessé sur le bord de la route. Cet épisode, long et difficile, est prolixe sur les conditions des élevages. Les images de porcs, poulets, vaches que vous avez tous dû voir, nous sont ici racontées. À un détail près, il s’agit d’hommes et de femmes. Élevés dans de minuscules box, castrés pour les mâles, laissés dans leur saleté et leur puanteur, nourris au tuyau, n’apercevant jamais la lumière du jour, abrutis, analphabètes forcément, désarticulés, parfois malformés, ils n’ont rien d’humain dès lors qu’ils n’en ont jamais côtoyé. Bêtes parmi les bêtes, les animaux d’antan n’ont plus rien à leur envier.

Vous savez, ce genre de scènes, j’en ai vu, j’en ai lu, parfois à en vomir, à en pleurer. Mais jamais je n’avais réellement tenté de transposer l’image de l’Homme, son corps, son esprit, à la place de ces malheureuses bestioles. Soit que je n’en étais pas capable, soit que, comme souligné plus haut, cette démarche m’apparaissait bien vaine. Aussi, avoir sous les yeux la retranscription parfaitement réaliste d’une telle inversion m’a saisie d’effroi. Et pourtant, nous sommes un corps, finalement peu éloigné de ceux d’autres mammifères. La déchirure des chairs, la dégradation des organes, la détresse physique, chez un cochon, une oie ou un « Homme », entendez un être arraché à sa mère et cloîtré dans un espace restreint de béton et de paille pendant quatorze/quinze ans (âge de leur mort), est la même. Vincent Message l’a compris. Si vous n’êtes pas convaincus, dites-vous simplement qu’il n’a rien inventé. Et c’est là qu’il est très fort, en jouant sur la capacité du lecteur à « se mettre à la place de » . Ce passage a été lu la gorge serrée, alors même que je n’ai rien découvert, rien lu que je ne savais déjà ; l’auteur lui-même n’a dû fournir que peu de recherches pour décrire cette scène. Il suffit d’être un minimum informé sur ce qu’il se passe dans ce type d’établissement.

Je me suis laissé avoir par le procédé que je trouvais initialement puéril.

L’auteur n’aurait pu s’arrêter sur le macabre, cloisonner son texte en remplaçant bêtement l’animal par l’Homme, en créant la nouveauté par ce simple tour de magie. Il a choisi d’exploiter l’humain, à travers cette position, de reconstruire une société en partant du fait qu’il n’y est plus le maître. Il ajoute un niveau supérieur à leur condition, représenté par ces humanoïdes hybrides, qui ne font pas davantage évoluer la société, l’exploitant telle qu’elle était à leur arrivée.

Cette nouvelle perspective donne naissance à une pépite que vous ne trouverez nulle part ailleurs, puisqu’elle ne pouvait naître que dans le livre de Vincent Message. Quand Iris et Malo se rencontrent, quand Malo la prend sous son aile, l’éduque, l’instruit, la fait naître, alors qu’elle a quinze ans, lui donne un prénom, une existence, un avenir. Cette relation interdite, clandestine, donne lieu à de merveilleux instants de poésie où deux formes d’intelligence se découvrent, se côtoient, s’expérimentent. En filigrane, vous apercevrez la figure du handicap mental, de l’autisme, les difficultés de communication inhérentes lorsque l’on se retrouve face à ces individualités. La manière dont l’auteur tisse les liens entre Malo et Iris est très douce. C’est ici qu’il a dû inventer, pas dans le sordide et la crasse, mais dans la beauté du sentiment naissant. Malo, cet être qui s’adresse à nous mais dont la parole est prise avec des pincettes puisqu’il n’est pas des nôtres, devient, face à la jeune fille, désemparé, impuissant mais aimant, profondément ouvert et protecteur, comme il est possible de l’être avec un enfant qui n’a pas le même langage. Il prend vie, en même temps que sa pupille, dès lors qu’il cesse de fermer les yeux. Vincent Message, en Malo, parle, je crois, de sa propre prise de conscience, et c’est très beau.

Défaite des maîtres et possesseurs est un texte remarquable qui allie la clairvoyance de l’homme qui veut voir, qui a vu, qui sait et dénonce, et la naïveté de celui qui joue à inverser les rôles dans l’espoir d’un changement, comme l’enfant qui s’amuse avec de petits personnages. Cette histoire est candide, bien sûr, j’imagine qu’elle a dû faire sourire, je n’aurais moi-même pas cru y être aussi sensible. L’écriture est par moments vacillante, voulant trop en dire elle trébuche, et parfois d’une précision inouïe, notamment lors du débat parlementaire au sujet d’une loi visant à allonger la vie des hommes  et à mieux encadrer l’abattage, Malo ayant ici le rôle de député. Vincent Message offre une fiction audacieuse et dérangeante, une histoire que l’on connaît tous mais avec, ici, de nouveaux acteurs. Et comme toute histoire elle a ses espoirs et ses drames, optimiste pour la Terre, elle l’est beaucoup moins pour l’Homme.

Ce livre m’a rappelé, en écho très lointain, Règne animal. Incomparables tant leurs approches diffèrent, ils en arrivent pourtant à faire le même constat, navrant pour l’humanité. J’ai un goût pour le dramatique ; pessimiste de nature, il est vrai que ces lectures ne m’ont pas aidée à apercevoir un avenir plus lumineux (elles me rassurent au moins sur le fait que nous sommes de plus en plus à nous pencher sur la question). Peut-être faudrait-il que je me tourne vers des textes moins accablants…

Et vous, lisez-vous ce genre de lectures engagées ? Vous sentez-vous concerné ?

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