Est-il besoin de présenter ce roman de Delphine de Vigan ? Après Rien ne s’oppose à la nuit, il me fallait poursuivre avec celui-ci. Ma volonté première était d’ailleurs de le lire en priorité. Mais, puisque les deux sont étroitement liés, j’ai procédé dans l’ordre. Beaucoup de choses ont été dites sur ce livre, de nombreux articles ont fleuri sur la toile, on a tous lu les éloges de ceux qui étaient convaincus et les réserves des moins séduits. Cette histoire a fait parler d’elle, et puis elle a récemment été adaptée au cinéma…

Mot de l’auteureD'après une histoire vraie - Delphine de Vigan

 

« Encore aujourd’hui, il m’est difficile d’expliquer comment notre relation s’est développée si rapidement, et de quelle manière L. a pu, en l’espace de quelques mois, occuper une place dans ma vie. L. exerçait sur moi une véritable fascination. »

Mon avis

Avant d’aborder avec vous les raisons intimes qui font que ce roman a provoqué en moi des choses qu’aucun autre n’aurait pu éveiller, je vais tenter d’en exposer la trame. Delphine nous raconte l’après-succès pour un écrivain à la carrière jusque-là plutôt modeste. Son livre Rien ne s’oppose à la nuit a été largement plébiscité par la presse et les lecteurs, elle a enchaîné les séances de signatures, interviews, passages radiophoniques et télévisuels. Ce roman a, en outre, reçu quelques prix. Delphine de Vigan s’est retrouvée engloutie dans un brassage médiatique et populaire dont elle n’aurait pu prévoir l’ampleur.

Si elle avait offert à son lectorat un roman purement fictif, les choses auraient sûrement été différentes. Mais avec ce livre, elle confie l’histoire de sa propre famille, avec ses inventions peut-être, ses biais, ses pansements… il n’empêche, le socle de ce récit est sa mère, son sang, sa généalogie, elle-même en fin de compte, fruit mûr d’une ascendance quelque peu tourmentée. Je vous ai longuement parlé des puissantes impressions laissées par ce texte sur ma personne. Aussi, découvrir à travers une tout autre intrigue l’Après de ce qui a sans doute été LE tournant dans la bibliographie, et donc la carrière, de l’auteure fut, en soi, une expérience de lecture à la fois singulière, étonnante et essentielle.

Delphine évoque les réactions contrastées de son entourage et, pour exemple, donne à lire quelques savoureuses lettres envoyées par un corbeau que l’on devine être membre du clan maternel. Ainsi, le premier thème qui ressort de ce texte est l’adversité dans laquelle se place tout auteur qui décide, un beau jour, d’écrire sur sa famille. Ceci se fait rarement sans conséquences, Delphine en a fait les frais ; elle était naïve pour ne pas douter que l’on puisse remettre en cause sa démarche. Alors, quand le livre en question rencontre un tel succès, imaginez la déferlante.

S’ensuit une période trouble pour elle, marquée par l’incapacité de s’atteler à un nouveau travail de création. Deux ans, d’après l’auteure, deux ans sans oser se placer devant un écran d’ordinateur, ni prendre des notes, ni envoyer une carte postale ou même un simple sms. Une longue traversée du désert, hantise pour tout écrivain, l’angoisse de la page blanche poussée à son paroxysme. Delphine s’enfonce et s’isole, remet à demain toute tentative d’écriture, trouve d’autres occupations annexes pour faire passer le temps, décale ou refuse des rendez-vous professionnels qui lui rappelleraient trop qu’elle doit s’y remettre sous peine de ne plus jamais reprendre la plume. Son éditeur attend, les lecteurs se languissent, la presse trépigne, ses proches s’impatientent…

Il est temps d’introduire L. Elle, L., est une jeune femme rencontrée lors d’une soirée, à l’époque où Delphine pensait vite réécrire. Belle, charismatique, sophistiquée, elle incarne aux yeux de l’auteure la femme moderne et élégante qui n’a besoin de rien ni de personne. Très rapidement s’installe entre elles deux une amitié profonde et exclusive. L. est aussi écrivain, pour des personnalités du moment qui veulent se raconter dans quelque autobiographie, fonds de commerce de certains éditeurs pas franchement téméraires. L. a lu tout Delphine de Vigan, elle semble la connaître mieux que personne, il paraîtrait même qu’elles ont été en classe ensemble.

Delphine lui ouvre les portes de son appartement et de sa raison, lui consacre tout son temps libre et finit par en faire sa colocataire. Leurs discussions sont riches, souvent agitées mais toujours pleines de franchises. L. a des projets pour Delphine : celle-ci doit impérativement poursuivre son oeuvre.

Thriller psychologique haletant et oppressant, D’après une histoire vraie est le récit dune lente et longue descente aux enfers, vécue par l’auteure qui, avec lucidité, revient sur cette sombre période pour en faire un roman. Delphine raconte un passage à vide, un creux, un blanc, une vacuité. Sur l’ennui, l’oisiveté, l’inaptitude, l’auteure élabore une fiction addictive, perverse et schizophrène ; un dialogue avec elle-même à travers lequel elle révèle ses incertitudes, l’ambivalence de sa position, la paralysie de son cerveau, bloqué et impuissant. Elle a fini par sortir de cette langueur intellectuelle en modelant et réinventant une matière en apparence pauvre. L. était née.

L. représente le pire cauchemar des écrivains. Elle est cette petite voix de la contradiction et du je-sais-tout et je-sais-mieux, elle vous empoisonne, vous parasite vos idées, votre imagination, vos aspirations ; tentant de vous détourner du bon chemin, théorisant sur la littérature, la vraie bien entendue, sur ce qu’il est bon et nécessaire d’écrire. Étant actuellement en phase d’incubation pour un futur roman, j’ai ressenti un malaise durable face à son discours tranchant et incisif qui vous coupe toute envie de prendre le stylo. Selon L., la littérature ne vaut que si elle raconte le réel. L. diabolise la fiction, tout juste bonne à inspirer les cinéastes. Il faut dire le vrai ou se taire. Ses tirades sont pénibles à lire, donneuses de leçons mais parfois justes, et c’est le plus cruel.

Delphine, après s’être livrée plus que de raison à travers un texte qui lui en a coûté, ne sait plus de quel côté pencher. Qu’attend-on d’elle à présent ? Qu’est-elle capable d’écrire ? Qu’est-ce qui satisfera son lectorat ? Comment rebondir et se défaire d’un succès envahissant ? Rien ne s’oppose à la nuit la suit et la hante, s’infiltre dans son quotidien. On ne lui parle que de ça. Puis, L. prend la place, se faufile et se fait omniprésente. Mieux que l’ennui, il y a la pensée obsédante.

D’après une histoire vraie m’a emportée et déroutée. Combien de fois me suis-je mise à douter à mon tour, m’interrogeant sur mes propres exigences en matière de littérature, celle que je lis, celle que j’écris. Diabolique et hallucinée, cette histoire ne sera pas lue de la même manière selon que vous êtes lecteur ou auteur. Certains s’arrêteront sur l’amitié toxique, d’autres sur la psychose de l’héroïne ; il y a différents degrés de lecture, tous finement élaborés. Delphine de Vigan s’est offert une cure efficace en créant, j’insiste sur ce terme, une intrigue aux codes pluriels. Il y a la fiction, il y a le réel, à mi-chemin se trouve ce roman. Qui plus est, l’auteure nous sert une fin tordue comme je les aime, du genre à vous faire cogiter une nuit entière.

Un coup de cœur.

Et vous, lecteurs, qu’avez-vous pensé de cette folle histoire ?

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