Poursuivons dans les lectures venues du froid, avec ce grand classique de Jack London dont le titre a navigué dans mon enfance sans que je ne m’arrête dessus. Qualifié de roman jeunesse par certains, je m’en méfiais. Mais, les histoires de loups ne sont pas toutes à offrir aux plus jeunes. Croc-Blanc est plus que le récit d’un gentil animal adopté par les hommes.

Résumé de l’éditeurCroc-Blanc Jack London

Fils d’une louve et d’un chien de traîneau, Croc-Blanc grandit dans le Grand Nord américain, sauvage et glacial. Il y apprend sa dure loi : manger ou être mangé. S rencontre avec les hommes est décisive. Il croise d’abord le chemin de l’Indien Castro Gris et devient chien de traîneau avant d’être vendu à un nouveau maître, Beauty Smùith, qui l’engage dans des combats sans merci et réveille toute la sauvagerie qui sommeille en lui.

,Mon avis

S’il est des scènes introductives à récompenser pour leur intensité, celle de Croc-Blanc est certainement à placer dans le trio de tête. Rarement j’ai été à ce point prise au cœur d’une action sans que mon amitié pour les personnages ne m’y aide. Deux hommes et six chiens de traîneau sont poursuivis par une harde de loups affamés. Un premier chien disparaît durant la nuit, puis un deuxième… Les hommes sont aux aguets, incapables de fermer l’œil, ils mesurent le chemin leur restant à parcourir pour être en sécurité. Auront-ils le temps d’y arriver avant que leur groupe soit décimé ? Plus notre équipage avance, moins il est protégé. Il n’y aura qu’un seul survivant.

J’ai frissonné, terrorisée à l’idée de me faire dévorer vivante par ces bêtes sanguinaires, calculatrices et obstinées. Le froid et le paysage désertique, tout de blanc vêtu, ajoutent à l’angoisse opprimante de se retrouver piégé. C’est ce qui arrivera à l’un d’entre eux au cours d’une épreuve terrible dans laquelle un cercle de feu sépare l’homme de l’animal, jusqu’à ce qu’il s’éteigne dans la neige et crée une ouverture pour l’assaut final.

Une femelle, croisée chien et loup, est responsable du carnage, en séduisant les chiens de traîneau pour les emmener droit dans la gueule des autres loups. Cette femelle c’est la mère du futur petit Croc-Blanc, l’unique survivant de la portée qu’elle aura avec un loup borgne. Le louveteau est intrépide, téméraire, plus robuste que les autres, plus rapide aussi ; à peine né il présente déjà des signes de grande vivacité. À travers ses yeux nous découvrons le monde, la lumière, la rivière, la végétation, les proies, les prédateurs, l’amour indéfectible pour la mère. Tout nous paraît neuf, à la fois terrifiant et merveilleux, terrain de jeu et de chasse. En Croc-Blanc s’agitent et s’entremêlent la curiosité de son âge et l’instinct séculaire dont tous les loups sont porteurs. L’animal sait quand il faut se méfier. Un appétit insatiable l’anime et le fait tuer sans états d’âme. C’est une bête sauvage, apte à vivre dans un environnement dont il serait l’un des maîtres si le destin n’en avait pas destiné autrement.

Croc-Blanc est l’histoire d’une rencontre entre un animal et les hommes. Tout d’abord une tribu d’Indiens, sévère avec les chiens mais auprès de laquelle il fait bon vivre du fait d’une nourriture dispensée gracieusement et d’un feu permanent source d’une chaleur introuvable ailleurs. Le jeune Croc-Blanc se fait rapidement détester des autres chiens qui voient en ce garnement encore sauvage un bouc-émissaire de premier choix. Son caractère déjà solitaire, belliqueux et hardi se solidifie à leur côté. Il finit par se faire craindre de tous, devenant l’indomptable, le mauvais élève à surveiller de près. Son maître humain le mène pourtant à la baguette, il n’est pas question de contrer son autorité. Ce premier contact avec l’homme fait de Croc-Blanc un être intelligent soumis aux lois humaines, qui surpassent toutes les autres, même les plus féroces dont la Nature est le décor.

Jamais un auteur n’aura si bien décrit le conditionnement d’une bête qui, de sauvage, devient domestique. Le chemin est laborieux car l’instinct sinue dans le sang du loup. Les hésitations, les craintes, la méfiance, la rage, l’impuissance, la servitude, tout nous est dit sur l’évolution de l’animal que l’on suit de ses premiers pas à un âge avancé. La rencontre précoce avec l’Homme en fera un animal inapte à survivre en meute, il est trop tard pour le jeune Croc-Blanc ; dès lors qu’il a accepté un morceau de viande tendu par une main il est condamné, mais il ne le sait pas encore. Et pourtant, le lecteur désire pour lui une liberté méritée, croyant en un possible retour en arrière, car le dressage est terrible, la soumission cruelle, l’apprivoisement sournois. Tout va à l’encontre de la nature véritable de l’animal. Après avoir connu les loups sauvages, leur organisation, leur vivacité, leur liberté, leur adresse, il est difficile d’accepter la captivité. Rien ne vaut l’étendue naturelle que l’on peut arpenter en animal sauvage, libre de ses mouvements ; une vie dangereuse, certes, mais sans doute l’état le plus évident pour toute créature née sur une terre où l’Homme n’est rien. Tiraillé entre la condition de loup et celle de chien, Croc-Blanc navigue entre deux eaux. En animal réfléchi, il calcule, se souvient, se méfie mais respecte la hiérarchie des hommes. Tourmenté par son lointain passé – un instinct en fusion – l’acceptation de sa condition actuelle ne se fait pas sans heurts.

Croc-Blanc connaîtra trois formes de dressage dont la plus cruelle provient de cet odieux Beauty Smith qui en fait un chien de combat, enfermé continuellement dans une minuscule cage, affamé et maltraité dans le but de combattre avec d’autres canidés, puis des loups sauvages et même un lynx. Le jeu divertit pitoyablement les humains qui parient sur le vainqueur. Croc-Blanc devient la vedette de cette macabre attraction.

Croc-Blanc c’est une histoire terrible, celle d’une adoption forcée, d’un déracinement, d’une rupture dans le cours naturel d’une vie animale. La pitié m’a envahie à la lecture de passages difficiles dans lesquels la pauvre bête est si peu considérée. Malgré la force, et physique et mentale, du loup, il est évident que cette vie ne vaut pas celle qu’il a trop tôt fuie, par insouciance, par curiosité, par commodité. Le final nous rappelle néanmoins qu’il s’agit là d’un récit destiné à une jeunesse naïve qui verra là un accomplissement bienheureux et joyeux. Avec le regard d’un adulte sensible à la cause animale, une pointe d’amertume accompagne cet happy-end trop conciliant. Nostalgique de la bête sauvage, la domestication m’apparaît comme la pire des prisons. Quelle souffrance !

Fort, puissant, admirablement bien construit, avec une narration au plus près des émotions de l’animal, Croc-Blanc est un roman à mettre entre toutes les mains. J’ai été en outre époustouflée par une traduction parfaite ; je jurerais que ce texte était fait pour être écrit en français tant la langue est soignée, soutenue, le phrasé complexe et littéraire. Un coup de cœur dont je conseille la lecture un soir d’hiver.

Et vous, avez-vous lu ce roman dans votre jeunesse ? Vous ai-je donné envie de le ressortir de vos bibliothèques ?

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