En cherchant des romans policiers du 19e siècle, je suis tombée sur Émile Gaboriau et son oeuvre abondante. Paraît-il que ce français est le père fondateur du genre et aurait même inspiré Conan Doyle et son célèbre Sherlock Holmes, de quoi susciter tout mon intérêt et titiller ma curiosité. Découvrir les sources d’un genre qui a pris toute son ampleur le siècle suivant magnifiait la simple expérience de lecture qu’un récit classique m’offre habituellement. Un crime odieux, des énigmes, des suspects, un enquêteur au flair canin, le tout à la sauce 19e made in France, je dis oui !

Résumé de l’éditeurLe crime d'Orcival - Emile Gaboriau

Un meurtre a été commis au château d’Orcival, propriété du comte de Trémorel. Alors que la police est persuadéd d’avoir trouvé les coupables et réglé cette sanglante affaire, l’agent de sûreté Lecoq arrive de Paris et remet tout en question. Ce dénouement rapide lui paraît en effet bien illusoire. Il redémarre l’enquête avec ses méthodes d’investigation très personnelles.

Mon avis

Comme tout bon policier qui se respecte, l’histoire commence par la découverte d’un corps. Ici, celui d’une jeune femme, non une pauvresse, prostituée ou simple domestique, auquel cas le meurtre serait classé sans plus de concertation, mais plutôt une comtesse respectée et appréciée de tous. À rebours, nous suivons le parcours de la malheureuse, visiblement malmenée par un assassin soucieux de la mise en scène. Le maire de la commune et le juge de Paix suivent à la trace les indices laissés là, et déterminent très tôt le procédé et, donc, mettent la main sur un coupable de choix, ou plutôt deux, un père et son fils, ceux qui ont trouvé le corps.

Tandis que le maire tente de rassurer la population, un certain Lecoq pointe le bout de son nez pour tout remettre en cause. Il n’est pas question de condamner des innocents, aussi, ce fin limier fera grand cas de cette affaire, s’attardant sur les détails, rejouant le drame et dressant un portrait du criminel qui ferait pâlir d’admiration les plus grands profilers américains. L’inspecteur découvre qu’il a affaire à plus fin qu’il n’y paraît, et pointe le doigt là où il faut, soulevant les incohérences du mode opératoire, les petits ratés du crime pour faire émerger la vérité.

Les premiers chapitres, largement policiers, laissent finalement la place à un récit rétrospectif où le couple formé par le comte et la comtesse est raconté depuis ses tout débuts. C’est le père Plantat, admiratif des méthodes inédites de Lecoq, qui livre ce qu’il connaît de l’histoire. L’intrigue se perd alors dans les méandres de manigances amoureuses et autres troubles conjugaux, entre le premier époux de Berthe, mort tragiquement quelque temps en arrière, et cette dernière. Le lecteur sera sans doute déçu de voir le fil de l’enquête brusquement et durablement rompu ; d’autant que les histoires de cœur sont bien trop monnaie courante dans la littérature de cette époque pour ne pas vouloir en retrouver d’aussi richement détaillées dans un récit d’un genre nouveau. L’histoire de l’époux trompé, de l’épouse oisive et de l’amant aux deux visages, on l’a semble-t-il déjà lue. Et pourtant, force m’est de constater que les mésaventures du malheureux Sauvresy ont capté en moi l’amoureuse de la littérature du 19e, celle qui, malgré tout, se délecte des affaires passionnelles des gens de la haute société. Et, croyez-moi bien, le comte en tient une sacrée couche !

Le crime d’Orcival, partant de la résolution d’un crime, narre en arrière-plan un autre drame, non moins intense, non moins scandaleux, ayant eu lieu dans l’intimité d’un trio amoureux diabolique. Le lecteur se prendra au jeu et écoutera les folles révélations du père Plantat avec autant de palpitations que les fines déductions du savant Lecoq. Les personnages principaux de cette tragédie ont la détermination des gens animés par les plus vifs élans du cœur, ajoutés au déshonneur, à la trahison, à la manigance. Il y a peu d’amour pour beaucoup d’orgueil.

Ce roman remonte le temps à partir du crime afin d’éclairer le lecteur sur les motivations conduisant au passage à l’acte de l’un des protagonistes. Alors que le roman policier actuel, émergé durant le 20e siècle, préfère nouer ses fils dans une enquête à rebondissements au détriment, parfois, d’une profonde analyse du mobile du meurtrier, ici, le crime est un prétexte à une analyse poussée de ce qui a conduit à le commettre. Bien sûr, la retranscription des antécédents des uns et des autres occupe la majeure partie du récit, nous faisant oublier l’enquête et étouffant précocement le suspense lié à la découverte du coupable, il n’en reste pas moins que le lecteur sera en mesure de comprendre l’intégralité des agissements des personnages clefs. Et, avoir connaissance à un tel niveau de détail des liens entre la victime et son bourreau est hautement appréciable et se révèle nécessaire. Aussi, je ne crois pas avoir parcouru un roman policier mais il me semble plutôt avoir lu un thriller domestique, oui oui. Émile Zola s’y était essayé avec son fameux Thérèse Raquin, Émile Gaboriau l’a fait à sa manière, redistribuant les cartes en incluant un personnage externe sous les traits d’un enquêteur aux sens aiguisés.

Le fond est sans doute similaire, mais la forme ajoute à l’implication du lecteur, pris à partie par un narrateur omniscient qui l’amène à douter de tout et, surtout, à pénétrer l’intimité d’un couple muni d’une trousse à dissection complète. Les péripéties ne sont pas à chercher dans la manière de résoudre l’énigme du crime mais plutôt dans l’évolution d’un mariage. Émile Gaboriau dresse une galerie de personnages viles et sombres, boursouflés par un désir de vivre selon leurs désirs plus que leurs principes. L’auteur détruit le mariage carte par carte, lacérant et brûlant le contrat pour en faire un tas de cendre sans valeur. Dans l’adultère, il n’y a aucun gagnant… Saluons le courage, la dignité et la fermeté de Sauvresy, homme devant lequel on s’incline.

Qui sortira indemne de son machiavélisme ? Pour le savoir, plongez-vous dans ce palpitant récit, surprenant là où l’on ne s’y attend pas.

Et vous, avez-vous déjà lu des romans policiers français du 19e siècle ?

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