Haa… Mon tant aimé Pierre Lemaitre, quel bonheur de vous retrouver. Mais, je dois bien vous avouer que je n’étais guère enthousiaste à l’annonce d’une suite à votre fabuleux Au revoir là-haut. J’y voyais une occasion à ne pas louper, après la sortie au cinéma de ce premier volet, et non une volonté première d’écrire une trilogie. Et puis, je ne suis pas adepte des suites… bien trop souvent médiocres en comparaison du roman premier. Mais, puisque j’ai décidé de tout lire de vous, je ne pouvais décemment pas passer à côté de cette nouvelle parution. Sans précipitation, sans grande hâte non plus, je me suis procurée ce roman qui, après renseignements, se trouve ne pas être une réelle suite mais plutôt un deuxième tableau ; avec quelques rares personnages similaires. 

Résumé de l’éditeurCouleurs de l'incendie - Pierre Lemaitre

Février 1927. Le Tout-Paris assiste aux obsèques de Marcel Péricourt. Sa fille, Madeleine, doit prendre la tête de l’empire financier dont elle est l’héritière, mais le destin en décide autrement. Son fils, Paul, d’un geste inattendu et tragique, va placer Madeleine sur le chemin de la ruine et du déclassement. 

Mon avis

Souvenez-vous de Madeleine, la fille de Péricourt, l’épouse malheureuse de Pradelle. Nous la découvrons une dizaine d’années plus tard, alors mère d’un petit Paul. La scène inaugurale relate l’enterrement de son père, où tout le gratin de la société d’alors se presse ; l’homme était un puissant de l’époque, propriétaire d’une banque de renommée. L’événement, aussi triste soit-il, est perturbé par la tentative de suicide du jeune Paul qui saute d’un balcon et atterrit sur le cercueil de son grand-père. Quoique relatée d’une manière un brin comique, la scène est glaciale, l’enfant terminera sa vie dans un fauteuil ; en plus d’être bègue de naissance, il sera paraplégique. Un drame pour sa pauvre mère.

Séduite dès l’entrée par ce théâtre émotionnellement instable, par l’incongruité des péripéties, je n’ai finalement eu aucun mal à retrouver l’atmosphère de Pierre Lemaitre, et les quelques personnages familiers, Madeleine en tête ; que j’avais quelque peu oubliée, c’est vrai (merci au film de lui avoir donné un visage me permettant de mieux la situer). L’introduction est excellente en exposant une tragédie qui installe d’emblée une solide tension et modèle une problématique convaincante.  Les conséquences seront désastreuses pour Madeleine, son fils et l’empire familial. S’ensuivent manigances financières, magouilles politiques, boursicotage, arnaques, corruptions, menés par les proches de Péricourt, son frère et son conseiller, dont Madeleine a refusé la demande en mariage.

Couleurs de l’incendie raconte la vengeance de la jeune femme, piégée par ceux en lesquels elle pensait avoir confiance, elle qui ne connaît rien à l’univers qui l’a pourtant vue naître. Elle se montre maligne, tenace, patiente et rancunière. Une vraie héroïne de son époque dont le moindre écart dans la conduite passe pour preuve de caractère ou impudence. Pourtant, l’intrigue principale, nouée autour du plan patiemment mis en place par Madeleine, ne m’a pas tenue en haleine autant que je l’espérais.

Il y a que les thèmes de la banque, de la politique, de la justice et de l’industrie largement entretenus par des personnages aux positions sociales fortes, ne sont pas les préoccupations que j’avais forcément envie de rencontrer, avec autant de force, dans un roman de Lemaitre. Ou alors, à la manière d’un Au revoir là-haut qui, à travers une histoire déjantée et burlesque, évoquait les grandes problématiques de l’époque charnière de l’après-guerre, en toile de fond, en filigrane, avec discrétion mais intelligence. Dans cet opus, il me semble que l’auteur a renversé son procédé, proposant une histoire plus sérieuse, plus crédible, davantage ancrée dans une réalité tangible, servie par de micro-intrigues prenant pour elle le regretté ton indescriptible qu’on lui connaît. Ce que j’aimais tant se retrouve mis au second plan, à travers des personnages pourtant foutrement fichus ; je pense notamment à Paul et son idée d’un laboratoire pharmaceutique clandestin, ou bien son étroite relation avec une cantatrice à la Castafiore, ou bien encore les filles de Charles Péricourt, version Anastasie et Javotte.

Mais, ceci ne constituant pas le cœur du sujet, nous suivons une Madeleine un peu fadasse, un peu falote, qui se voit confier la charge d’une histoire trop lourde pour ses épaules. Cette héroïne, aux motivations légitimes et au noble combat, manque, selon moi, d’une vraie épaisseur romanesque et partant, d’un bagage émotionnel. Je l’ai trouvée bien froide, quelque peu austère dans ce rôle démesuré de femme vengeresse. À côté de ses comparses masculins, épaissis par une position de gros salauds, soyons honnête, la gentille mère célibataire s’efface ; la belle Léonce ne se faisant, en outre, pas prier pour lui voler la vedette. C’est en cela que se roman n’est finalement pas plus une suite que tout autre livre se déroulant à la même époque, puisque 99% du récit est fait de substances nouvelles ; Madeleine apporte l’empire Péricourt, bloc utile à l’auteur pour écrire cette histoire.

De plus, les premiers pas de Madeleine posés sur le chemin de la vengeance, le dénouement apparaît dans un ciel sans nuages. L’intérêt de l’histoire se déplace alors sur les anecdotes annexes, le fil rouge est dénoué, reste le précieux de personnages secondaires essentiels qui prennent la place des regrettés Edouard et Albert. Paul porte en lui l’audace et la passion de son oncle. Il aurait fait un bien bel héros. Le pleutre Robert, aussi, dont j’ai beaucoup ri du portrait. Le génie est dans les détails et, une nouvelle fois, Pierre Lemaitre nous démontre toute l’étendue du sien.

Lu sans grandes attentes et indépendamment du précédent, Couleurs de l’incendie est un bon roman, voire un très bon roman : une intrigue riche, un contexte historique exploité avec malice, un ton drolatique et une ribambelle de personnages impossibles à confondre. Je l’ai parcouru avec plaisir, n’ayant rien d’autre à critiquer que ce qui, chez d’autres, n’aurait pu avoir autant d’importance. Pourtant, je ne peux m’empêcher d’éprouver cette pointe de peine qui avait commencé à percer avant même de tourner la première page. Je savais qu’Au revoir là-haut resterait inégalé dans l’oeuvre de Pierre Lemaitre ; connaissant et appréciant son talent pour se mouler dans des genres différents, voire opposés, j’aurais souhaité, pour cette parution, un roman neuf dans sa promesse. Je suis sévère, je suis exigeante surtout. Je n’étais peut-être pas encore prête à le lire, quelques années plus tard je l’aurais sans doute davantage apprécié, qui sait…

Et vous, avez-vous lu l’un ou l’autre de ces deux romans ? 

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