De Maupassant, j’ai lu les incontournables que sont Bel-Ami et Une Vie, ainsi que le recueil Mouche et autres nouvelles. Il faut savoir que cet auteur n’a finalement écrit que six romans mais des centaines de nouvelles. C’est donc vers ces dernières que je me suis tournée cette fois-ci, à travers un recueil où est exposée une trentaine de courtes histoires fantastiques. Ce fut l’occasion pour moi de découvrir un nouveau registre dans lequel Maupassant semble se sentir particulièrement à l’aise.

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Chacun connaît le fantastique de Maupassant, un des grands écrivains de la littérature de l’étrange. Il reste que tous les contes de l’auteur qui relèvent de ce genre n’ont jamais été réunis et rassemblés en un seul volume. Ce livre vient heureusement combler cette lacune et trace de la sorte un des itinéraires les plus périlleux jamais conçus, un destin étonnant et superbe, tragique et envoûtant. Trente-quatre textes…trente-quatre pas irréversibles dans l’au-delà !

Mon avis

Contes fantastiques ne regroupe pas moins de 34 nouvelles. Je les ai parcourues en trois lectures, par tranche d’une dizaine d’histoires donc, passant de l’une à l’autre comme on passe d’un chapitre au suivant, et ne prenant pas toujours le temps de les intégrer convenablement. C’est là tout le problème avec ce genre littéraire dont le format recueil participe fortement à l’aspect fugace et concis du contenu. Engloutir les récits les uns après les autres se fait au détriment d’une réelle réflexion, car chaque histoire mériterait certainement d’être considérée dans sa singularité. Vous parler de 34 nouvelles s’avère ainsi périlleux, car je ne peux me détacher d’une impression de foisonnement et de confusion. Chaque nouvelle se retrouve pétrie dans un mélange en apparence hétérogène mais qui, une fois toutes les histoires lues, finit par former une masse compacte aux éléments difficilement discernables.

Les nouvelles sont majoritairement écrites à la première personne. Cet emploi du « je » m’a fortement questionnée, d’autant plus qu’il m’a été impossible de parfaitement situer le narrateur. Le « je » est omniprésent et possède des significations diverses en fonction du récit, il n’a jamais la même connotation. Parfois j’ai cru être plongée entre les pages d’un journal intime, au cœur d’une confidence qui aurait dû rester secrète. D’autres fois l’histoire en elle-même nous était narrée par un personnage se trouvant face à un auditoire restreint. Ainsi l’aspect fantastique du récit en était d’autant plus exacerbé, comme les histoires que l’on se raconte le soir pour s’effrayer avant de s’endormir.

Maupassant aborde dans ces nouvelles des thèmes récurrents, qui ne sont pas si nombreux, mais qui sont traités de différentes manières d’une histoire à l’autre. Trois thèmes ressortent largement : la mort, la peur et la folie. L’auteur les imbrique étroitement dans des récits où l’étrange émerge du quotidien. Concernant la folie, elle est l’objet d’une sorte de fascination de l’auteur, presque d’obsession. Il l’étudie de manière compulsive, le plus souvent en mettant en scène un personnage qui sombre petit à petit dans une sorte de démence dans laquelle il croit être la victime directe de manifestations paranormales. Maupassant joue avec les doutes du lecteur, naviguant entre les apparences d’une réelle folie, où le sujet n’est qu’un aliéné bon pour l’asile, et ce qui a trait à l’inexplicable, au surnaturel, à ce qui nous échappe. L’on ne sait plus bien de quel côté se situe le personnage principal, si l’on doit lui accorder le bénéfice du doute, ou s’il est définitivement à placer en institution psychiatrique. Ainsi, l’on se questionne sur les intentions de l’auteur; croit-il lui-même en l’occulte, au paranormal ? Ou bien, tente-t-il simplement d’expliquer la folie ordinaire en usant de cette peur que l’on a tous à divers degrés, la peur de ce que l’on ne peut expliquer ? Une idée est d’ailleurs récurrente à travers ces textes. C’est la théorie, que j’ai trouvée pertinente, selon laquelle nos sens nous trompent car ils ne sont pas assez nombreux pour nous faire expérimenter la totalité de ce qui se déroule dans le monde dans lequel nous vivons. De là, nous échappons certainement à des manifestations autres, que l’on ne peut ni percevoir, ni ressentir. Sur ces constatations, Maupassant imagine une existence que nous ignorons dans laquelle se côtoient des entités qui ne peuvent être que nos morts. Cette idée est reprise plusieurs fois dans des nouvelles qui se ressemblent beaucoup, ce qui apporte une redondance un peu lassante. Cette persistance de l’auteur nous montre son obsession pour l’au-delà, son indéfectible besoin de soulever un pan de ce mystère, à savoir ce qu’il se passe dans l’Après.

Cette monomanie intellectuelle est quelque peu inquiétante aux yeux du lecteur, et cette inquiétude est renforcée par le regroupement de toutes les nouvelles dans un même recueil. L’on croirait avoir sous les yeux l’œuvre d’un déséquilibré dont l’esprit est envahi par une idée fixe. Ainsi, bien que la répétition obsessionnelle s’avère vite ennuyante, elle reflète ce qui se trame chez Maupassant, ce qui le mènera droit à la folie et à une fin de vie peu réjouissante. Ce recueil représente la noirceur de son âme,  ses pires cauchemars, ses angoisses les plus vives, comme on en a tous, mais dont le pouvoir destructeur est ici à son apogée.

Ainsi, ce qui plane sur toutes ces nouvelles, c’est la solitude de l’Homme. Mais pas n’importe laquelle, la pire qui soit, celle d’un individu seul contre tous car en proie à la folie, une folie nouvelle, méconnue, exposée dans son premier stade de développement, et que personne ne peut comprendre. L’on ne sait plus si c’est la solitude qui nourrit la folie ou bien si ce n’est pas l’inverse. Maupassant met en scène des individus isolés, confrontés à leurs propres démons, en replis total sur eux-mêmes. Le Horla en est un bel exemple. Cette nouvelle qui est particulièrement renommée (pourquoi celle-ci plus qu’une autre d’ailleurs ?) et qui nous est présentée ici dans ses deux versions, la seconde étant largement plus développée que la première, nous décrit un homme dans une lamentable descente aux enfers où il croit être la victime ciblée d’une étrange entité.

Dans toutes ces nouvelles, la réalité du quotidien est gangrenée par l’imaginaire et l’étrange. Elle en est même le terreau  puisque les phénomènes surnaturels arborent dans un premier temps des contours familiers, pour ensuite se teinter d’absurde une fois la victime trouvée, celle qui sombrera facilement. A côté de cela, Maupassant met en scène des personnages peu crédules, comme des médecins, ces rapporteurs d’histoires, qui jouent avec le côté spectaculaire de leurs récits mais qui n’en restent pas moins hermétiques à toute tentative d’explication non scientifique. Les femmes par contre représentent la naïveté, elles sont spectatrices, auditrices, et se délectent de l’inexpliqué, s’outrageant avec un voyeurisme non dissimulé.

Certaines nouvelles, et elles sont malheureusement trop peu nombreuses, se détachent du reste par leur thème, leur « intrigue » ou leur dénouement. Je pense au Docteur Héraclius Gloss qui narre l’obsession d’un homme pour la réincarnation animale née de la lecture d’un manuel apocryphe,  La légende du Mont Saint-Michel  nous raconte la lutte entre le Diable et Saint-Michel ou encore La mère aux monstres, l’histoire d’une femme ayant vendu ses nombreux enfants atteints de malformation à des cirques ou autres foires aux monstres. L’Endormeuse est une nouvelle qui m’a particulièrement marquée par son audace et son cynisme. En effet, Maupassant nous dépeint une société où le suicide serait accompagné. Il rit cette fois de la Mort, il s’en moque, il s’en amuse; en cela cette nouvelle est à contre-courant des autres plus dramatiques. Sous cet humour, il dénonce une société qui prend la mort trop au sérieux et qui la sacralise en condamnant le suicide. Madame Hermet est la nouvelle la plus poignante, elle nous raconte une mère trop soucieuse de son apparence et qui, de peur d’attraper la maladie, se refuse à être au chevet de son fils vérolé.

En conclusion, Contes fantastiques est une plongée troublante dans l’âme de Maupassant, dans ses tourments et ce qui l’obsède. Malgré une redondance entre les nouvelles entraînant une grande confusion lors de ma lecture, j’ai été séduite et déroutée par certaines histoires extraordinaires nées d’un esprit perturbé mais à la vive sensibilité.

Et vous, qu’avez-vous lu de cet écrivain ?

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