Après Les enfants verts je vous propose de rester dans l’univers du conte et du merveilleux. Des Rougon-Macquart il ne me reste plus que L’Argent à lire, mais m’étant tombé des mains la première fois, je n’ose le reprendre. Pourtant Zola me manque, et je m’attriste de constater qu’il ne me reste plus grand-chose à lire de lui ; une relecture de certains de ses romans s’impose. Mais en attendant, et ayant envie de retrouver la plume d’Émile Zola dans un texte inédit, je me suis tournée vers ce pavé trônant fièrement dans ma bibliothèque depuis plusieurs mois et que je ne m’étais encore hasardée à attaquer. Étant impossible à lire d’une traite (1500 pages à la finesse prodigieuse), j’ai choisi pour cette fois les Contes à Ninon et les Nouveaux contes à Ninon (qui sont disponibles en format Poche).

Mon avis

Ninon, c’était le tendre amour du Zola de ses 15 ans. Dans sa lettre en préambule, il évoque avec nostalgie ces années d’insouciance et de passion juvénile, passées en Provence à courir les champs et les bois avec la jeune enfant. Ces lettres à elles seules valent le détour. Dix ans séparent celle qui inaugure les Contes à Ninon de celle des Nouveaux contes, mais les sentiments sont les mêmes.

Zola relate à sa bien-aimée les histoires racontées alors, à l’ombre d’un chêne, au creux d’un buisson, au tournant d’un sentier. Les premières sont fantastiques, merveilleuses, imaginaires. Les autres, celle de l’adulte ayant déjà bien vécu, sont inspirées par ses expériences ; beaucoup plus ancrées dans la réalité elles s’apparentent davantage à des nouvelles.

J’ai découvert un nouveau Zola, un nouveau masque de sa panoplie. Zola le fantasque, non moins à l’aise et c’est le prodige de l’artiste. Pourtant, avec cette plume qui semble se libérer, ses textes sont moins connus que d’autres. On le préfère en sociologue, en analyste des affaires humaines de son époque. Mais il est tout aussi talentueux dans d’autres genres, et c’est avec éblouissement que j’ai avalé ses histoires. Il use d’images, de métaphores, de réseaux inédites pour exprimer ses idées, pour toujours plus, même dans la plus pure rêverie, expliquer son monde.

Parmi la multitude de textes il y en a deux plus longs que les autres. Tout d’abord, et là nous avons un véritable conte, c’est un voyage initiatique qui reprend tous les codes du genre, l’histoire d’un géant et d’un nain qui parcourent le monde, allant de découverte en découverte : Les aventures du grand Sidoine et du petit Médéric. Zola y parle de politique, de sciences, de religion, d’astronomie. L’on s’étonnera de son aise à manipuler des personnages si surprenants. Rabelais les aurait appréciés. Que Zola leur ait offert autant de pages est étonnant. Il se moque de son époque, usant d’autres ficelles pour dévoiler les failles des hommes, leurs incohérences, l’absurdité de leur condition. Et en fabuliste il se découvre, il teste, il cherche. Mais il parvient à un résultat que quiconque, ne connaissant pas le Zola romancier, penserait être la seule œuvre de sa vie.

Plus jeune il cherche dans ses histoires une morale, tente d’élever son texte, de le mouler à une narration déjà éprouvée. Plus âgé, ses contes n’en sont plus vraiment. Le roman est passé par là, il se préfère en chroniqueur.

Les quatre journées de Jean Gourdon est le texte marquant de cette période de retour aux courts récits. Là, nous revenons à du plus classique. Je pourrais m’étaler sur cette histoire dans un article dédié tant elle a titillé mon cœur en son centre. Bouleversante et d’une sensibilité aiguë. Nous suivons quatre journées dans la vie d’un homme, quatre journées symbolisant les saisons de sa vie. La rencontre avec le premier et seul amour, le départ à la guerre et les années à attendre et se battre, la vie de famille et l’épanouissement, et enfin la chute, la perdition dans un désastre naturel ravageur. Cette histoire n’a rien à envier à L’Assommoir ou La Terre. Je vous laisse la découvrir par ici, accordez-lui une petite heure, troublé vous en ressortirez. Je l’ai trouvée en lecture gratuite ici !

Et puis, il y a des souvenirs, assemblés à la chaîne. En homme lucide il inspecte le monde qui l’entoure en récoltant des images, des instants fugaces, où il s’interroge. Sur les parisiens en temps de guerre, qui font un spectacle des canons meurtriers ; les fêtes des villages provençaux, les célébrations religieuses comme la Fête-Dieu ; le dévoilement des corps vulgaires en été quand la Seine devient lieu de baignade ; la chasse aussi, maladroit qu’il est dans ce domaine ; les chats, ces petites bêtes qu’il a en affection ; le paisible des cimetières ; les animaux libres, et ceux en cages ; les Halles débordantes et enivrantes ; les bohémiens qui s’installent en périphérie et attirent toutes les curiosités ; la guerre toujours.

Le grand Michu ou le récit d’une révolte écolière. Un bain ou la rencontre impromptue d’une femme avec son futur époux, tous deux nus dans une rivière inondée par les rayons de lune. Le sang ou le cauchemar de la guerre qui hante les soldats jusqu’à les faire déserter.

Vous l’aurez compris, ce recueil de nouvelles et contes est multiple, pluriel, hétérogène, difficilement classable dans l’œuvre de Zola. Tantôt l’on dirait des esquisses, avant d’écrire le roman, des essais pour mettre en scène le fort, l’extrapoler, l’étirer, avant de l’enfouir dans une plus vaste histoire. Tantôt ces textes présentent chacun une réalité, une entièreté, une unicité, qui les fait paraître écrits pour n’être que des contes. Et alors que je connaissais Zola dans le roman, dans le long, le développé, je découvre un Zola un brin amusant, un conteur à l’œil affûté, un amoureux des histoires, qui raconte comme s’il n’avait toujours fait que cela toutes sortes de courtes intrigues. Ça part dans tous les sens, bien sûr, car comment essayer de rendre homogène et uni ce qui n’a jamais eu d’autre vocation que de divertir, dans des instants quadrillés par l’état d’esprit de l’auteur. L’on peut pourtant suivre le cours des récits comme l’évolution de l’homme, passé par différents métiers, différentes villes, différents milieux, différentes inspirations. À chaque âge ses questionnements, ses intérêts.

La qualité du texte est ici remarquable, et à la plume je crois particulièrement incisive. Je me suis arrêtée pour lire à haute voix, pour laisser s’envoler ses mots oubliés, malheureusement mis à côté de l’œuvre, la grande, la magistrale, celle des Rougon-Macquart, apte à plaire au plus grand nombre. Mais croyez-moi, le Zola est le même, j’oserais même dire en un peu plus liberé. Et, j’ajouterai aussi que peut-être ai-je été davantage sensible au style de Zola. Je ne sais pourquoi. Comme si, en même temps qu’un nouveau terrain de jeu (le conte/la fable mais aussi le fantastique), je redécouvrais sa plume. Le rythme, forcément autre, permet des effets dans la narration, et dans l’écriture. Plus de dynamisme, des textes condensés qui orientent le curseur sur l’essentiel des personnages, sur le point culminant d’une intrigue.

C’est du concentré de Zola, à découvrir pour les fidèles de l’écrivain ou non, la littérature classique ne saurait se cantonner à ce qui est communément admis et reconnu comme étant l’Œuvre d’un auteur. Il y a des pépites, peu publiées, victimes d’un élagage à grande échelle pour que le grand public s’y retrouve. Il serait dommage de passer à côté si vous avez l’occasion de les découvrir.

Et vous, avez-vous des écrits méconnus d’auteurs classiques à me conseiller ?

 

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