Voici une nouvelle découverte de la Rentrée Littéraire. Ce roman, premier de Clélia Renucci, m’a immédiatement appelée. Le sujet, fascinant, avait de quoi me plaire. On connaît tous des récits racontant les grands moments de l’Histoire. Mais moi, ce qui me plaît davantage, ce sont les histoires intimes, celles dont personne n’a connaissance hormis les passionnés ; les petites tragédies se nouant derrière de plus célèbres événements. On retient souvent les noms mais on ignore le contexte et l’échelle sur laquelle les personnages ont grimpé pour s’inscrire dans l’Histoire. Un concours organisé pour peindre une toile magistrale dans une salle du Palais des Doges de Venise, pensez-vous, cela devait être à l’époque assez extraordinaire pour en faire un livre.

Résumé de l’éditeurConcours pour le Paradis - Clélia Renucci

Dans le décor spectaculaire de la Venise renaissante, l’immense toile du Paradis devient un personnage vivant, opposant le génie de Véronèse, du Tintoret et des plus grands maîtres de la ville. Entre rivalités artistiques, trahisons familiales, déchirements politiques, Clélia Renucci fait revivre dans ce premier roman le prodige de la création, ses vertiges et ses drames.

Mon avis

Venise. Y a-t-il ville plus romanesque, plus animée, plus exaltée, plus inimitable que celle-ci. S’y promener c’est se confronter à chaque ruelle à une nuée d’émotions venues des siècles qui l’ont façonnée, c’est marcher dans les pas des plus grands artistes, c’est respirer un parfum carnavalesque, c’est croiser des musiciens faisant résonner leur instrument, c’est être ébloui par des édifices uniques.

Cet endroit possède une magie surannée que des siècles ont préservée. Clélia Renucci y met en scène des personnages connus de tous, tels les maîtres de la peinture Véronèse et le Tintoret, et d’autres qui le sont moins, des Doges, des personnalités ecclésiastiques, des peintres de moindre renommée. Nous sommes à la fin du 16e siècle, qui est aussi celle de la Renaissance. Après un tragique incendie, la salle du Grand Conseil a été ravagée, l’immense toile représentant le Paradis n’est plus. Dès lors, le palais est en émoi pour retrouver un artiste capable de rendre à la pièce sa grandeur en reproduisant, à sa manière mais selon des règles précises, son Paradis. Un concours est organisé, plaçant en ardente concurrence quatre artistes triés sur le volet.

L’action se déroule sur presque quinze ans. Enfin, disons plutôt que dix ans séparent les deux temporalités dans lesquelles évoluent nos personnages. La peinture est un art qui prend son temps, surtout à cette époque où l’on était encore bien loin d’un simple jeté de matière sur une toile blanche qui, aujourd’hui, peut passer pour tel. Quand il faut peindre plusieurs dizaines de mètres carrés de scènes grandioses bourrées de figures complexes, l’artiste sait qu’il en a pour une partie de sa vie. Patience et méticulosité doivent être ses maîtres-mots.

Clélia Renucci a choisi de livrer une intrigue étirée et peu exaltante dans la réalité, puisque quelque peu procédurale et surtout lente, en en faisant une course effrénée pour la gloire, la reconnaissance, la création. Elle nous montre les revers du succès, la lutte acharnée des artistes de l’époque pour se faire un nom et entrer dans les salons les plus prisés. Peindre était alors un labeur qui, aujourd’hui, peut faire sourire quand nous, Hommes du 3e millénaire, sommes passés à tout autre chose. L’urgence et la priorité ne sont plus à la décoration méticuleuse des murs et plafonds. Assister à l’éclosion d’une oeuvre magistrale que l’on observe à présent avec le regard d’un curieux visiteur a quelque chose de poignant. Car l’on sait que cette époque de l’exaltation autour des beaux-arts est malheureusement révolue. L’Homme n’a plus le temps de se consacrer à de telles entreprises.

Le lecteur assiste à la guéguerre entre artistes narcissiques et sûrs de leur talent qui vendraient leur âme au diable pour que leur toile soit choisie. L’affrontement n’est pas toujours loyal. Rien n’échappe à la corruption. Les uns sont prêts à voler, d’autre à soudoyer. Il y a des amitiés, des inimitiés, un soupçon de passion amoureuse et une goutte de débauche. Le Tintoret et Véronèse, surtout, deviennent de vrais personnages de roman pleins d’ardeur et de contradictions.

Pourtant, avec de tels éléments, Clélia Renucci se fait une narratrice beaucoup trop sage. Son texte manque souvent de fougue, et ses personnages souffrent de cette absence d’audace. Il m’a fallu les extraire de la réserve dont les a vêtis l’auteure pour les élever au rang de ce qu’ils méritent. J’ai dû gratter sous la plume pudique pour trouver l’exaltation, les grandes larmes, les foudres, le fabuleux. Cette histoire ne pouvait souffrir d’une trop vive énergie. Nous sommes à Venise, je vous le rappelle.  Certains paragraphes ne sont écrits, semble-t-il, que dans un but instructif. Là-dessus, le lecteur aura son lot d’enseignements. Clélia Renucci connaît son sujet et on la remercie de mettre a profit ses connaissances pour nous divertir. Mais j’espérais vivre des émotions plus fortes, ressentir plus intensément le drame sous le pinceau. Je ressors de cette lecture enthousiaste mais un poil frustrée de n’avoir pas vibré. L’épilogue, sous forme de mausolée célébrant les figures marquantes du 16e siècle pictural, rappelle au lecteur la dimension historique de l’intrigue, au détriment d’un élan fictionnel à la hauteur de l’élan créatif de nos peintres.

Concours pour le Paradis nous offre néanmoins une plongée captivante dans une époque que l’on imagine colorée, enfiévrée, provocante, impétueuse, où tout semblait alors possible. J’ai adoré côtoyer quelques grands maîtres de la peinture et découvrir les coulisses de leur labeur. Ce roman nous dit que peindre ne se faisait pas sans douleur ; c’était une affaire hautement sérieuse avec laquelle il ne fallait sûrement pas plaisanter. Au-dessus de cet art planait plus que jamais le voile de la Religion.

Je félicite cette jeune auteure qui, pour un premier roman, préfère miser sur un sujet savant qui la passionne plutôt qu’écrire pour s’aligner avec les tendances actuelles. Elle le fait proprement, rigoureusement, amoureusement.

Et vous, ce thème vous intéresse-t-il ?

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