J’ai fait la découverte de Jim Fergus avec son mémorable Mille femmes blanches, épopée féminine au cœur des Indiens d’Amérique. Cette fois-ci, dans Chrysis, il s’attache à une figure réelle, une artiste peintre française du début du 20e siècle. C’est la mode dans la littérature actuelle : s’inspirer de personnages ayant existé. Il y en a pléthore, à croire que l’imagination a déserté les écrivains ? Je n’ai que rarement été convaincue par ce procédé, mais Jim Fergus m’a tellement emballée que j’ai attrapé ce livre sans trop me poser de questions sur une étagère de la bibliothèque de mon village…

Résumé de l’éditeur

Paris, 1925. Gabrielle Chrysis Jungbluth, âgée de 18 ans, entre à l’atelier de peinture des élèves femmes de l’Ecole des beaux-arts pour travailler sous la direction de Jacques Ferdinand Humbert, qui fut le professeur de Georges Braque. Exigeant, colérique, cet octogénaire, qui règne depuis un quart de siècle sur la seule école de peinture ouverte aux femmes, va vite réaliser que Chrysis n’est pas une élève ordinaire. Précoce, ardente et véritablement talentueuse, cet esprit libre et rebelle bouscule son milieu social et un monde de l’art où les hommes ont tous les privilèges.

Mon avis

Jim Fergus s’est perdu sur le chemin de la gloire. Où est passé ce romancier prometteur dont j’aurais juré quelque temps plus tôt les ouvrages être tous réussis ? Voici une bien piètre réalisation au regard du précédent titre phénoménal et diablement haletant. Chrysis fait pâle figure, un égarement, le temps d’écrire autre chose de plus sérieux peut-être. Parce qu’il fallait nourrir le lectorat, parce qu’une promesse avait été faite, que sais-je encore… Pourtant, le préambule dans lequel il livre les raisons du pourquoi de l’écriture de ce roman promettait passion et émotion. Un tableau découvert chez un brocanteur, offert à sa femme sur son lit de mort avant de revenir à sa jeune fille. Le tableau ? Une scène d’orgie peinte par une certaine Gabrielle Jungbluth. On se croirait déjà dans l’histoire. La fiction qui s’ensuit s’écroule pourtant sous le poids de cette réalité beaucoup plus charmante. Toutes les découvertes artistiques ne font pas de grandes œuvres. Il fallait laisser Gabrielle où elle était.

En réalité, nous suivons en parallèle deux personnages. Bogey est un jeune américain qui rêve de rejoindre la Légion étrangère (nous sommes durant la Première Guerre mondiale). Le voici embarqué pour la France, lui et son cheval Crazy Horse. Sur le front, il aura le rôle de messager. Admiré et sacralisé, on l’appelle le courrier cow-boy. Jusqu’à ce qu’il soit blessé et exfiltré en Écosse.

Gabrielle est, elle, une jeune insolente qui ne jure que par la peinture et la découverte des plaisirs charnels. Elle est jeune et séduisante et décide de se faire appeler Chrysis. Elle allie art et sexe, mélangeant couleurs et sensations dans son esprit en devenir. Prête à tout, elle offre son corps et expérimente les parties à plusieurs. Bien sûr, ses parents ne se doutent de rien. Ils sont censés représenter une bourgeoisie étriquée, mais ils sont beaucoup plus ouverts d’esprit que la majorité des gens de leur époque. La preuve en est, la mère est subjuguée face aux tableaux de sa fille dont elle devine pourtant le contexte dans lequel ils ont été peints. Et puis Gabrielle rencontre le bel américain ; lui écrivant dans un café, elle marchant sous la pluie. Cet amour éclair comme on le produisait si bien du temps pas si lointain de nos (arrière) grands-parents ne l’empêchera pas de poursuivre son cheminement dans les boudoirs et chambres closes parisiens. Bogey sera son invité. Elle l’initiera aux orgies.

La passion entre la jeune fille en fleur et le jeune américain revenu de guerre aurait pu laisser couler un texte amoureux et sensuel, en accentuant peut-être les différences de conditions sociales, en faisant du retour prévu de Bogey sur ses terres du Colorado un véritable drame, en plaçant l’obsession de Chrysis au cœur d’un conflit, que sais-je. Il y a toujours de quoi écrire de grands récits s’agissant des sentiments de deux jeunes tourtereaux. J’ai beaucoup aimé la force du garçon, son histoire atypique sur le front, ses désirs de grande vie française. L’auteur lui a dessiné un portrait solide et convaincant, dont il n’a pas su reproduire le miroir sur les traits de la peu farouche Chrysis. Obsédée par le sexe et la peinture, elle ne découvre pas l’enchantement de l’amour avec un cœur neuf et vierge, mais sombre comme une pierre au fond de l’eau dans une relation dont elle ne savoure pas les premières fois.

L’éveil de la jeune fille est brutal, sans concession, sa sensualité éclose comme par magie. Nul questionnement, nul regard porté sur ce bourgeon de fleur et son épanouissement. Gabrielle nous apparaît charnelle et avide de corps. Une bête sanguinaire prête à toutes les expériences. Les descriptions lors des actes sexuels sont abrégées et peu enclines à susciter le fantasme alors qu’avec un peu d’imagination elles auraient pu être fabuleuses.

Je n’ai pas non plus ressenti la fièvre du Paris des Années folles ; le quartier Montparnasse en tête. L’auteur en dit trop peu. L’ambiance attendue n’est pas là. Ce ne sont pas deux trois scènes sulfureuses qui dresseront un tableau complet au lecteur. Quant à la condition féminine dans l’art au début du 20e siècle, on ne peut pas dire que l’auteur ouvre des portes et creuse le sujet. Rien d’intéressant de ce côté-là.

Les dialogues sont pauvres tandis que la plume est fade et triste. Le texte est écrit avec ennui et désœuvrement. Que penser de Chrysis ? L’auteur n’a pas su faire avec ce brin d’inconscience. Comment un homme de soixante ans peut-il mettre en mots le désir d’une jeune fille ? Sujet difficile s’il en est, on ne lui en voudra pas d’avoir raté l’exercice. Ceci dit, je préfère ce résultat sans goût plutôt qu’un récit vulgaire. Je crois tout simplement que cette peintre ne méritait pas plus qu’une autre d’être une héroïne. Je soupçonne l’auteur s’être arrêté sur cette unique idée : une jeune fille fréquentant les quartiers olé olé, une gamine dévergondée donc. Le fait qu’elle ait peint quelques tableaux ne suffit en rien à la rendre plus romanesque que les autres. Il ne faut pas faire de toute histoire un tantinet grivoise un sujet de roman. L’auteur a dû s’en rendre compte pour inventer un second héros, Bogey, et en dire tout autant, voire plus. Jim Fergus est beaucoup plus à l’aise avec son Amérique, cela se sent. Quelques allusions aux Apaches sont d’ailleurs subtilement glissées dans le texte. En définitive, j’aurais plutôt intitulé ce livre Bogey ou la rencontre d’un jeune vétéran venu de son Colorado natal avec une fille facile.

Tout est un peu trop évident, un peu trop bâclé. Paris, le sexe, l’art, l’après-guerre, la bourgeoisie… Ces thèmes auraient pu donner lieu à un grand roman (comme il doit sûrement en exister ?). Je suis d’autant plus déçue par Chrysis que Jim Fergus m’avait subjuguée une première fois. Seul avantage, s’il faut tenter d’en convaincre certains, il se lit avec une facilité déconcertante. Si l’histoire vous inspire, vous passerez sans nul doute un agréable moment.

Et vous, l’avez-vous lu ? 

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