Jean Teulé fait partie de ces écrivains ayant très souvent croisé ma route de-ci, de-là, sans jamais que je m’y arrête vraiment. Pourtant, Le magasin des suicides m’a toujours beaucoup intriguée. Mais c’est finalement Charly 9 qui s’est glissé dans ma bibliothèque, sans que je ne l’aie vraiment invité d’ailleurs. L’occasion était trop belle pour ne pas me laisser tenter, quoique je me sois quand même demandé si ce genre de roman pourrait me plaire. C’est vrai que je fuis les biographies, alors d’un roi dont je ne connais fichtre rien, autant dire que la partie semblait perdue d’avance. Mais comme j’apprécie l’Histoire de France et les anecdotes dont personne ne se soucie, j’ai cédé…

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Charlie IX fut de tous nos rois de France l’un des plus calamiteux. A 22 ans, pour faire plaisir à sa mère, il ordonna le massacre de la Saint-Barthélemy, qui épouvanta l’Europe entière. Abasourdi par l’énormité de son crime, il sombra dans la folie. Courant le lapin et le cerf dans les salles du Louvre, fabriquant de la fausse monnaie pour remplir les caisses désespérément vides du royaume, il accumula les initiatives désastreuses. Transpirant le sang par tous les pores de son pauvre corps décharné, Charles IX mourut à 23 ans, haï de tous. Pourtant, il avait un bon fond.

Mon avis

Première chose, et non des moindres, j’ai entamé ce récit en m’instruisant ; c’est le roi Charles 9 qui a perpétré le terrible massacre de la Saint-Barthélemy. Le livre s’ouvre ainsi, à la veille de ce jour noir, quand tout le monde frétille autour de Charles. Entre sa mère, la célèbre Catherine de Médicis, son frère, le petit protégé de la première, la cour, les conseillers, les ecclésiastiques, et j’en passe, tous se liguent pour faire basculer le jeune homme de vingt-deux ans afin qu’il autorise le meurtre de milliers de protestants.

Le lecteur, déconcerté bien sûr, découvre à travers cet épisode un individu totalement incapable de la moindre autorité, pire, il est même franchement corruptible, se pliant comme un brin de paille et finissant par abdiquer ; carnage il y aura donc, car sa Majesté ne sait dire « non ».

L’on apprivoise le style Teulé, qui ne fait pas aucun doute dès les premières phrases. Le tout est un mélange d’ironie, d’humour corrosif et très sombre, de gentilles moqueries et d’une certaine érudition que le rire ne camoufle que partiellement. Le style est percutant, assez grossier, quoique étudié, et m’a souvent fait butter lors de ma lecture par une sonorité hachurée et, quelquefois, désagréable. Jean Teulé surprend en ficelant des phrases littéraires avec d’autres franchement lourdes. Mais la recette fonctionne ; j’aime quand l’auteur a une patte, quand il triture les mots, quand il ose monter un assemblage, un peu bancal mais qui a du sens, et qui, surtout, est respecté jusqu’à la dernière ligne.

Et puis, son style colle avec le sujet, avec l’époque, avec les personnages et l’ambiance, assez indescriptible, qui émane de l’histoire. J’ai parfois eu l’impression de naviguer dans un conte, ou une fable, ou bien une pantomime, puis plus loin il m’a semblé lire un pastiche d’écrivains classiques, ou encore être au cœur d’un thriller psychologique sur fond de royauté.

Les personnages gravitant autour du souverain font entendre leur voix dans des interventions qui ont tout du théâtre comique, par des répliques piquantes, bien souvent destinées à se moquer de la royauté et consorts. Ces figures contribuent à donner au récit un vernis « à la Molière » ; ça va, ça vient, ça dit tout haut ce que tous pensent tout bas. C’est finalement très drôle, j’ai plusieurs fois ricané moi aussi.

Néanmoins, et pour rejoindre ce que je soulignais à propos du style de l’auteur, de façon grinçante, comme des fausses notes, des pointes de grossièreté et de vulgarité émergent du texte. Ça plaira à certains, mais en précieuse que je suis, je n’aime ni le vulgaire, ni le grossier. Je me serais donc bien passée de certains mauvais mots déplaisants.

Les chapitres sont autant de courtes scènes d’instants précis qui forment une histoire discontinue dont on ignore la destination. Partant du massacre de la Saint-Barthélemy, nous assistons à la descente aux enfers de Charles 9, à sa noyade dans une folie outrancière et bruyante qui met sens dessus dessous la cour, qui interroge ses proches mais qui laisse pantois le reste de la population, trop occupée qu’elle est avec des problèmes plus triviaux.

Le roi devient un hurluberlu qui chasse le cerf dans ses appartements, les lapins de garenne chez son amante, tue quelques-uns de ses serviteurs comme ça lui chante, dans un besoin d’extérioriser, et d’assumer dans une certaine mesure, sa part de responsabilité lors de la Saint-Barthélemy. Charles 9 est un personnage que l’on découvre à la veille de son aliénation seulement, ensuite il n’est que pure déraison. De lui, nous n’avons qu’une peinture criarde et indélicate. Mais, au-delà de l’extravagante sauvagerie qui le caractérise dès lors, ou plutôt en creusant bien, Jean Teulé nous dévoile un être qui s’est retrouvé à une place peu enviable (comme tous les rois de France me direz-vous) sans vraiment l’avoir souhaité, un être de peu de dimension, faible, lâche, fainéant et misérable. Il inspire pitié et le lecteur ne saurait véritablement le condamner pour ce qu’il a fait, ou pour ce qu’il n’a pas osé endiguer. Jean Teulé a choisi son camp ; Charles 9 a été abusé, destitué de sa capacité à agir et décider en toute conscience. Il est un jeune homme désespérément absent de ses fonctions, à la destinée désastreuse. Sur lui plane l’ombre de la mère castratrice et tyrannique ; thème trop légèrement soulevé dans le récit. Mais celle-ci étant Catherine, j’imagine qu’elle mériterait d’être plus qu’un personnage secondaire.

Charly 9 est un texte composite à la fois complet et creux. En effet, ôtez le grandiloquent, ôtez la plume de l’auteur, il ne reste plus grand-chose à se mettre sous la dent. L’histoire est très molle, pour preuve en est le manque de transition entre les chapitres, comme s’ils avaient été écrits en dilettante, des lueurs de fantaisie que l’auteur a couchées sur papier aussi vite qu’elles lui étaient apparues. On rigole un bon coup, et l’on reprend pour un nouveau numéro. Les personnages ne peuvent réellement être aboutis dans un tel déferlement psychotique. Ils se cantonnent donc à des répliques ; leur personnalité n’est qu’effleurée. Le texte ne manquait pas de portes à ouvrir pourtant.

Ce roman, plaisant à lire, a le mérite de m’avoir fait découvrir Jean Teulé, auteur aux très nombreux titres. Sans être totalement tombée sous le charme de son histoire et de son style, par trop scabreux, j’ai envie d’en savoir plus, d’en lire davantage pour me faire une idée précise et un avis franc.

Et vous, avez-vous lu cet auteur ?

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