J’affirme que je ne suis pas très « Rentrée Littéraire », et voici le deuxième livre de la RL 2016 que je vous présente. Et ce ne sera pas le dernier… C’est la révolution sur le blog !

J’ai entendu parler de ce roman dans une émission. Le simple résumé m’a suffi pour que je me le procure. Il fallait que je le lise. Alors que d’habitude je note le titre dans un coin et m’en soucie plusieurs mois plus tard, cette fois-ci il était dans mes mains le lendemain (avantage du livre numérique, ou d’Amazon aussi. Bref.)

Résumé de l’éditeurOLYMPUS DIGITAL CAMERA

Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari de reprendre son activité au sein d’un cabinet d’avocats, le couple se met à la recherche d’une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise, qui conquiert très vite l’affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu’au drame. 

Mon avis

Cette lecture, je l’ai désirée d’une manière très malsaine, comme l’on cherche avec curiosité la page « faits divers » d’un journal. Une nourrice qui tue les enfants dont elle a la garde, ça a de quoi secouer. C’est le genre de récit qui m’attire, quand j’ai envie de noirceur. L’auteure part d’un drame pour dresser les personnages, le décor, toutes ces petites choses qui, mises bout à bout, nous entraînent vers le moment fatidique. Il n’y a pas de surprise ici, dès la première page l’on connaît la fin, deux petits corps sans vie. Ensuite c’est un long retour en arrière.

Nous découvrons le couple, Myriam et Paul. Comme tant de mères, un jour Myriam dit « stop » à sa vie au foyer et décide de reprendre un travail. Ce ne sera guère difficile, en quelques semaines elle trouve un poste d’avocate. Bien vite elle s’y enfonce, ayant toujours plus de responsabilités au cabinet, sans aucun regret car elle a trouvé la personne idéale pour s’occuper de sa progéniture et de sa demeure. Quant à Paul, lui aussi délaisse sa famille pour se donner à fond dans sa carrière en passe de décoller. Ils désertent leur propre foyer, le laissant entre les mains expertes de Louise, la nourrice.

L’appartement devient alors son terrain de jeu. Entre elle et le couple ça a été un véritable coup de foudre, instaurant très rapidement une confiance aveugle. Louise sait tout faire : le ménage, la cuisine, jouer avec les enfants, les dorloter, devenir minuscule quand il y a des invités. Elle est une petite souris affairée à ses tâches, croisant en coup de vent ses employeurs pour se passer « le relais », les enfants. Eux sont ravis, ils l’adorent.

Le lecteur est au plus près du quotidien de ces personnages, dans les petits gestes, les petites attentions, les manies des uns et des autres. Il assiste à un défilé où chacun est à sa place, ou croit l’être. Car les positions évoluent doucement, dans un jeu de chaises musicales. Louise passe de plus en plus de temps auprès des enfants, bientôt elle dort sur place quelques soirs par semaine. Elle part même en vacances avec la famille. Et puis, l’on découvre des attitudes étranges, des exagérations, des fantaisies, une insouciance déplacée chez une adulte. Louise est tout avec les deux enfants : une marionnette, un doudou, une maman, une infirmière, une camarade. Elle se moule à eux, leur devient indispensable. Myriam et Paul constatent des petites choses qui les gênent, en font la remarque puis oublient ; c’est plus simple pour eux de ne pas trop s’en mêler. Pourquoi se mettre à dos une nourrice qui leur est complètement asservie ? Qui est prête à doubler son quota d’heures quotidiennes sans broncher ? Qui en redemande même toujours plus ?

Alors que son total asservissement n’a pas cessé de m’interroger, dans la réalité j’aurais été troublée bien assez tôt, Paul et Myriam restent silencieux, peu concernés. Ce n’est pas franchement de la naïveté, ni même de l’inconscience, mais une forme de lâcheté. Ils ne veulent pas voir.

En parallèle, nous découvrons la Louise d’avant, la femme, la mère, l’épouse. À travers le regard d’autres personnages nous en apprenons plus. Sa fille notamment, avec laquelle elle a été très tôt en conflit jusqu’à ne plus la revoir après une fugue qui l’a laissée impassible. Le lecteur soulève des pans de sa vie, ses difficultés financières après la mort de son époux surendetté, son propriétaire peu scrupuleux qui lui fait des misères, et ses précédents employeurs qui gardent d’elle un souvenir impérissable. Elle était la meilleure des nourrices.

Malgré toutes ces informations dressant un portrait pitoyable et navrant, malgré l’ardeur de Louise à exceller dans son métier de nounou, je n’ai, à aucun moment, ressenti ne serait-ce qu’une pointe de compassion pour elle. Je n’ai vu qu’une personne froide, perturbée, déséquilibrée, totalement en-dehors de toute réalité, à l’écart du monde, des autres, de la norme. L’auteur nous offre des éléments pouvant faire pencher la balance du côté de la compassion, et puis elle nous relate la fois où Louise a littéralement tabassé sa propre fille en échec scolaire. Et là… je n’ai plus eu aucun doute.

À plusieurs reprises sont évoquées les difficultés sociales des nourrices, souvent immigrées sans papiers, ne parlant pas toujours correctement le français, en manque de leur famille restée au pays. Mais Louise n’est pas de celles-ci, elle est instruite et en règle, ne socialise pas au parc pour enfants, se mettant volontairement en retrait. Elle n’est pas comme les autres. Elle est dans l’excès.

Finalement, je ne sais quel portrait a souhaité dresser l’auteure. Louise m’échappe. Il y a aussi Myriam et Paul, pour lesquels je n’ai guère ressenti plus d’attachement. Leur aveuglément volontaire, la facilité avec laquelle ils délèguent toute leur vie familiale, leurs absences. Je crois que ce qui fait défaut dans cette sombre histoire sont de véritables introspections. Ce qu’éprouvent les personnages, leurs émotions, tout ceci est tu, nous n’en saurons rien. Il n’y a pas non plus d’échanges véritables pour sonder leurs états d’âme. Ce ne sont que rituels, ballets incessants, où chacun agit d’une manière bien précise. Ce tourbillon noie le comportement de Louise, l’enveloppe de détails qui le font passer inaperçu. Elle se fond dans le décor. Elle évolue dans l’appartement comme si elle avait toujours été chez elle.

Les seules pointes d’émotions, joie, tristesse, peur, proviennent des enfants. Ils sont la vie, l’insouciance, et les malheureuses victimes d’une meurtrière à l’apparence inoffensive. À leurs yeux, Louise est une fée, une magicienne. Aux yeux d’un adulte, Louise est une solitaire un brin immature. Voilà le piège. Elle ne pouvait être repérée par ses petites victimes puisqu’elle se place à leur niveau, se transforme selon leurs envies. Les parents, eux, auraient pu ouvrir les yeux. Ils ont fait entrer chez eux un monstre .

J’ai été submergée par ce texte, malgré la finesse des personnages, la pauvreté des dialogues, le manque de beaucoup de choses pour que le tableau soit complet. Car la richesse est ailleurs, dans cette tension qui ne m’a plus lâchée, dans l’étau qui se resserre à l’approche du drame final, dont le fait d’en connaître la teneur ajoute au sentiment d’impuissance.

On ignore les circonstances et la manière. C’est à peine si on en devine le mobile. En fait, on ne sait presque rien, comme tout fait divers. C’est comme lire les éléments de l’enquête, des faits, toujours des faits, quelques interrogatoires aussi. D’où le manque d’émotion, d’attachement. Mais les faits, dans ce cas, suffisent à créer cette ambiance lourde, oppressive, nuisible.  Car la nourrice se dessine et se développe dans une succession de gestes voulus par sa profession, une sorte de mécanique dans laquelle la moindre attention devient ambiguë. J’ai tenté de lire entre les lignes pour m’immiscer dans la tête de Louise, sans succès. Le reste des personnages sont autant d’acteurs insondables, les parents en tête.

Chanson douce est un drame psychologique superbement construit, réfléchi. Je l’ai lâché le cœur lourd, profondément mal à l’aise, comme si j’avais, moi aussi, participé au crime. Par chance, je n’ai ni nounou, ni à en trouver une dans un avenir proche. Si tel avait été le cas je n’aurais peut-être pas lu le livre. Vous serez prévenus.

Et vous, les lectures dont vous savez qu’elles seront difficiles vous attirent-elles ? Ou bien les fuyez-vous ?

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