Ces cerfs-volants sont bien connus. Ils voltigent au-dessus de moi depuis de nombreuses années, sans que je m’en empare. Le mystère et la poésie suggérés par le titre, hautement et durablement acclamé, m’ont finalement conduite à parcourir cette histoire d’amitié pour enfin attribuer des personnages et une intrigue à ce succès littéraire de 2003.

Résumé de l’éditeur Les cerfs-volants de Kaboul - Khaled Hosseini

Au début des années 70, Amir et Hassan, frères de lait, embrasent le ciel de Kaboul de leurs cerfs-volants. Jusqu’à ce jour, terrible, où Amir abandonne Hassan à un sort tragique et se réfugie aux Etats-Unis. Vingt ans plus tard, en quête de rédemption, il devra affronter un Afghanistan ravagé sous le joug des talibans… et le poids de son propre passé.

Mon avis

Ne rien imaginer, ne rien supposer d’une histoire c’est laisser la porte ouverte à la surprise, à l’étonnement et, de fait, au plaisir. Je ne savais pas ce roman être, avant toute autre chose, une ode à l’amitié. Je le voyais davantage comme un récit de guerre, de résilience, de traumatisme, de courage. Bien qu’il y ait de tout ceci dans ce texte, ce que je retiendrai de lui c’est l’absolue dévotion d’un homme pour son ami et, en retour, la rédemption de ce dernier. Vous savez comme les récits glorifiant l’amitié me sont chers. Je succombe facilement à ce thème, bien plus qu’aux mille et une manières de raconter l’amour charnel.

Hassan et Amir, Amir et Hassan, ou, au départ, deux jeunes afghans ayant grandi ensemble, l’un fils de l’homme à tout faire de la famille de l’autre. À l’origine de leur histoire il y a déjà des écarts, de milieux, de destinées, d’éducations, de conforts de vie. Et pourtant, le père d’Amir, riche entrepreneur de la ville, féru de grandes soirées guindées mais non moins altruiste, humain et profondément athée, a toujours considéré Hassan et son père comme sa propre famille. Les distinctions sont d’apparence car aucune frontière ne semble mise pour cloisonner un amour jugé étrange voire interdit : on ne peut admettre ses serviteurs au même rang que ceux qui partagent son sang.

Hassan et Amir jouent ensemble, discutent et se chamaillent ; ils ont leurs rituels, leurs points de rendez-vous, leur langage et forment une équipe de choc lors du tournoi de cerfs-volants organisé chaque année. Pourtant, Amir impose une distance timide avec le jeune garçon ; il sait que leur amitié n’est pas comprise par ses camarades de classe ou les petits voisins. En public, Amir joue au détaché. Et puis, un jour, Amir assiste à une terrible agression sur la personne de Hassan. Incapable du moindre mouvement, il prend la fuite au lieu de porter secours à son ami.

La fuite. Ce sera sa manière de régler ses conflits, quand les choses lui échappent, quand il se trouve au pied du mur. Fuir et ne jamais regarder en arrière pour mesurer ses fautes, son impuissance. Amir et son père quittent l’Afghanistan pour l’immensité américaine ; laissant derrière eux un pays ravagé par les guerres, un peuple soumis et terrorisé, une ville dévastée mais aussi un passé paisible et heureux fait d’effluves floraux, de cris d’enfants, de soleil ardent, de neige salvatrice, de fruits juteux, de poésies apprises, de jeux dans les arbres, de brides de prières.

Les cerfs-volants de Kaboul raconte avec beaucoup de pudeur, de retenue et de simplicité, un homme aux prises avec ses démons. Au tout début garçon apeuré, naïf et en recherche perpétuelle de l’approbation paternelle ; ensuite, homme installé, marié et au confort de vie enviable par rapport à ceux qui sont restés au pays. Amir n’est pas un héros, il n’en a pas la carrure, ni les valeurs et le courage. Il est davantage du côté des faibles qui savent se ranger à l’ombre de plus forts qu’eux, et aller là où souffle le vent. Il n’est pas mauvais, pourtant ; les racines de ses faiblesses sont à fouiller du côté de sa propre histoire familiale, hantée par une mère décédée en lui donnant la vie et un père distant voire un brin moqueur.

Khaled Hosseini dépeint la beauté des amitiés d’enfance qui, bien que l’on veuille les enterrer, les pensant vieilles et inutiles, ressurgissent d’une manière ou d’une autre, nous rappelant que l’époque du bonheur insouciant est révolue. L’enfant, inconscient, préfère grandir et s’extraire au plus vite de ce qu’il juge temporaire, passager et donc accessoire. Khaled Hosseini nous afflige une puissante claque en tenant un discours fâcheux sur les indéfectibles liens nous attachant au passé. Le retour aux sources de Amir ne sera pas une cure de jouvence au milieu de photographies fanées et de « Je me souviens… » prononcés, les yeux brillants, par d’anciennes connaissances heureuses de vous revoir. Car, à la culpabilité de n’avoir su venir en aide à son ami, qui constitue un motif suffisant pour fuir et oublier, s’ajoute pour Amir la situation d’un pays entier où les bombes, la terreur et la misère assujettissent le peuple.

Entre les drames intimes et familiaux d’un côté, et l’Histoire belliqueuse et en souffrance de l’Afhganistan, Amir est lui-même en conflit avec son propre passé sur lequel, depuis sa position stable d’immigré sur le sol américain, il n’ose porter le regard. J’ai aimé suivre cet homme, peu entreprenant et à la philosophie de vie un peu légère et désuète. Il n’a aucune carrure et paraît bien insignifiant au regard de ce qui se joue autour de lui. L’auteur le fera pourtant devenir, au fil des pages, plus fort, costaud et concerné, sans abuser des grosses ficelles littéraires nous faisant oublier que, dans la réalité, un individu aux faiblesses marquées ne peut devenir un super-héros. S’il y a métamorphose, celle-ci est douce et naturelle. Il suffira sans doute de ressusciter dans l’âme de notre héros les émois de l’enfance en y associant les liens du sang. La magie opérera.

Khaled Hosseini nous raconte une très belle histoire, pleine de tendresse et de respect, pour une Histoire, une culture, un peuple, mais aussi pour l’Amitié, cette force unissant deux êtres qui n’avaient que peu de chances de s’apprivoiser. Le tout est livré avec poésie, à la manière d’un conte où le « Je » s’exprime. C’est finalement la confession d’un homme, soulagé et en paix, qui livre sa mémoire, ses fautes et sa lâcheté, avec beaucoup de tolérance vis-à-vis de lui-même. La tolérance d’un vieux sage ayant suffisamment souffert.

Les cerfs-volants de Kaboul se lit non sans émotions. Il vous saisit à la gorge, petit à petit, vous balade entre l’ostensible et l’intime, les ravages d’un territoire et ceux d’un cœur. Qui plus est, ce roman parvient parfois à se faire passer pour une grande aventure, avec son rythme effréné, ses rebondissements et son suspense. De quoi plaire au plus grand nombre et conseiller cette lecture les yeux fermés.

Et vous, avez-vous lu ce phénomène littéraire ? 

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