Je vous présente aujourd’hui un livre dont vous avez sûrement entendu parler puisqu’il a connu un certain succès et a reçu plusieurs récompenses. Je me le suis procuré par hasard, ne connaissant pas réellement le fond de l’histoire ; je savais juste qu’il s’agissait d’une histoire de vengeance sur fond de Seconde Guerre mondiale, de quoi piquer ma curiosité.

Résumé de l’éditeur

Bordeaux dans les années cinquante. Une ville qui porte encore les stigmates de la Seconde Guerre mondiale et où rôde l’inquiétante silhouette du commissaire Darlac, un flic pourri qui a fait son beurre pendant l’occupation. Pourtant, déjà, un nouveau conflit qui ne dit pas son nom a commencé : de jeunes appelés partent pour l’Algérie. Daniel sait le sort qui l’attend. Il a perdu ses parents dans les camps et travaille dans un garage. Un jour, un inconnu vient faire réparer sa moto. L’homme ne se trouve pas à Bordeaux par hasard. Sa présence va déclencher une onde de choc dans toute la ville…

Mon avis

Après la guerre est un roman qui enveloppe le lecteur dès la première page. Point de préambule ici, nous sommes plongés dans l’action dès l’instant où nous ouvrons le livre. La violence de la scène initiale m’a littéralement scotchée, en même temps qu’elle m’a quelque peu déconcertée. Tout le livre est constitué de la sorte, de l’action, des scènes d’une rare violence, un rythme effréné jusqu’à la dernière ligne qui laisse peu l’occasion de reprendre haleine. Étant actuellement en plein déménagement, j’ai été contrainte de lire par phases de dix pages environ, ce qui m’a franchement agacée car c’est le genre de roman que l’on a envie de reposer qu’une fois toutes les pages tournées.

Ce roman met donc en scène trois personnages masculins. Un flic complètement pourri et corrompu, un ancien déporté qui maintient le fil ténu de sa vie grâce à une vengeance sourde à tout entendement, et un jeune homme embarqué en Algérie pour combattre aux côtés de l’armée française. Ces trois hommes sont étroitement liés et mus par des motivations divergentes prenant leurs sources dans un passé commun douloureux, en pleine Seconde Guerre mondiale.

Les histoires de vengeance me passionnent. Je suis facilement fascinée par la force de l’Homme dans une telle démarche, qui n’a alors qu’un seul objectif, celui de venger, lui-même ou quelqu’un d’autre. C’est une émotion, une pensée, une ligne directrice, qui peut être à l’origine des plus folles décisions, et qui révèle le fond de l’homme, dans ce qu’il a parfois de plus sauvage en lui et donc de plus violent, de plus sombre. Souvent destructrice, la vengeance est aveugle si elle n’est pas contrôlée. Ici, nous suivons un homme à la détermination sans bornes, dont on soupçonne aisément le fond d’humanité, mais qui se laisse submerger par son dessein mortifère. C’est à la fois inquiétant et en même temps d’une grande beauté, tant ceci nous renvoie à ce qu’il y a de plus archaïque en nous, ne pouvant nous laisser insensible, même si les motivations peuvent nous paraître obscures. La vengeance, et ici ceci est particulièrement bien mis en lumière, est composée de singulier mais aussi d’universel qui fait écho en plus d’un d’entre nous.

Hervé Le Corre nous dresse des portraits coupés au couteau, aux aspérités multiples, composés de zones d’ombres plus ou moins apparentes mais qui les rongent et les façonnent. Il ne ménage pas ceux qu’il met en scène, les enfonçant toujours plus dans une fange dense et collante d’où ils vont devoir s’extirper non sans y laisser une part d’eux-mêmes. Ce trio semble parfois être d’une hétérogénéité troublante, du fait de leurs âges et de leurs expériences, mais ils sont tous trois animés par des pensées qui, loin d’être opposées, trouvent leur origine dans la présence de fantômes du passé refaisant surface des années après.

Le commissaire Delbac est sûrement l’un des personnages les plus détestables que j’ai rencontrés en littérature. Disons que l’auteur ne l’a pas ménagé, lui attribuant les traits les plus ignobles possibles, faisant de lui un homme pourri jusqu’à la moelle, transpirant le dégoût et l’immondice. Mais son personnage n’en reste pas moins crédible dans sa monstruosité. Tout au long de ma lecture, ma haine envers lui n’a cessé de croître. J’ai peut-être sombré trop facilement dans ce sentiment, empruntant une porte laissée volontairement ouverte par l’auteur pour donner l’occasion au lecteur de décharger le trop-plein de colère ressenti. Mais cette haine, d’une violence inouïe, m’a été insufflée dès la première page.

L’équilibre entre le bien et le mal est précaire, la balance est instable, et l’on navigue dans les eaux tourmentées de la Raison. Lorsque l’on croit souffler un peu en percevant une figure d’identification, on déchante rapidement en se rendant compte que sous le vernis apparaît la pourriture. Le lecteur a toujours besoin de discerner les « méchants » des « gentils », pour être rassurés quelque part, mais ici rien n’est plus flou, et j’en ai été quelque peu déstabilisée. L’auteur parvient admirablement à nous faire douter de tout, à nous perdre entre le vrai et le faux. Il nous rend pratiquement impossible le jugement et la condamnation, qui seraient beaucoup trop simples. Cette impression est amplifiée par les voyages dans le temps et l’espace dont le récit se compose, où l’on croit détenir les clefs de l’histoire mais qui, en réalité, nous ouvrent des portes qui en cachent d’autres.

Ce roman n’est peut-être pas assez approfondi au niveau des motivations profondes des personnages, de leurs affects, de leur passé aussi. Le récit est finalement trop tourné du côté de l’action, de l’agir pur, où l’impulsif prédomine au détriment d’une réflexion plus poussée pouvant éclairer davantage le lecteur. Ceci est dû au rythme, que l’auteur a souhaité le plus intense possible, passant d’une scène d’action à une autre. J’aurais apprécié un peu plus de tentatives d’explication afin de mieux cerner la personnalité des trois personnages principaux. L’auteur insiste sur certaines scènes marquantes de leur passé, les citant à maintes reprises dans le récit, les malaxant au gré des situations. Mais finalement tout ceci reste un peu flou, de l’ordre du souvenir, parfois même tendant vers l’onirique, se détachant d’une certaine réalité. Ce qui a pour conséquence d’ôter une part de véracité, ou plutôt de vraisemblance, aux actes des personnages, s’inscrivant dans le présent des années cinquante. Mais ce reproche peut-être facilement occulté, car l’auteur réussit habilement à happer le lecteur au cœur de l’action, il joue là-dessus, et offre ainsi une réelle expérience, qui désarçonne, empêchant la pensée de suivre son cours normal tant le récit nous submerge.

Après la guerre est d’une noirceur sans égal, à la limite de l’étouffement, parfois difficile à lire, à digérer, à maîtriser, tant il a tendance à nous filer entre les doigts si on ne le tient pas bien en main. Il m’a pourtant totalement absorbée, m’a bouleversée, m’a émue, m’a révoltée ; bref, ce livre m’a fait ressentir une palette d’émotions plutôt large qui a mis du temps à s’évaporer une fois ma lecture terminée. Je ne saurais que vous conseiller ce roman aux nombreuses qualités, dont un scénario solide au suspens haletant et un contexte historique peu abordé en littérature, à savoir la guerre d’Algérie.

Et vous, vous êtes-vous laissé tenter par ce roman ?

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