Hasard de mes lectures, il se trouve que je vous propose une nouvelle fois un récit abordant de près le terrorisme en Tunisie. Vous allez croire que c’est devenu une obsession ; pas du tout, car je ne me serais jamais tournée vers Ahlam si on ne me l’avait offert. Ayant survolé la quatrième de couverture, et en particulier le passage révélant le thème principal, je l’ai finalement glissé dans ma valise et me suis plongée dedans pour inaugurer mes vacances. La couverture géométrique figurait une parenthèse délicate et colorée, idéale pour une lecture de plage pensais-je. Erreur, car ce livre est bien loin de n’évoquer que la chaleur et la suavité des paysages tunisiens.

Résumé de l’éditeur

Lorsque Paul Arezzo, célèbre peintre français, débarque à Kerkennah en 2000, l’archipel tunisien est un petit paradis. L’artiste s’y installe et noue une forte amitié avec la famille de Farhat, un pêcheur, particulièrement avec ses enfants Issam et Ahlam, incroyablement doués pour la musique et la peinture. Peut-être pourront-ils, à eux trois, réaliser le rêve de Paul : une oeuvre unique et totale où s’enlaceraient tous les arts. Mais dix ans passent. Ben Ali est chassé. L’islamisme gagne du terrain. L’affrontement entre la beauté de l’art et le fanatisme religieux peut commencer.

Mon avis

Un juge spécialiste de l’antiterrorisme qui écrit un roman sur le terrorisme c’est un peu facile à première vue. Pour être transparente avec vous, et pour en avoir approché quelques-uns, je trouve les juristes bien mauvais écrivains. Ce que je leur reproche c’est de ne pas savoir raconter. Terre à terre et trop analytiques, ils oublient bien souvent la valeur première de la littérature, l’évasion. Mais soit. J’ai laissé sa chance à Marc Trévidic, il doit bien y avoir des écrivains prometteurs dans le milieu.

Comme précisé plus haut, je n’ai pas souhaité en savoir plus ; le cadre de cette lecture amoindrissant mes exigences habituelles. Eh bien, chaleur ou pas, palmiers ou non, cocktail estival ou café hivernal, j’ai été prise par cette histoire aussi émouvante que réaliste, aussi authentique que terrible. Nous découvrons Paul, un jeune peintre célèbre depuis ses dix-sept ans, amoureux fou de Kerkennah, île pittoresque et pétillante de Tunisie sur laquelle il a décidé de poser ses valises pour un temps indéterminé. Paul est l’artiste dans toute sa splendeur ; illuminé, rêveur et irraisonné il ne se préoccupe de rien d’autre que de l’harmonie des couleurs et de la pérennité des paysages restant à peindre. Paul est un homme instruit, érudit et passionné, fascinant il séduit autant les hommes que les femmes, ces dernières défilent comme modèles avant de finir dans son lit. Paul m’a rappelé quelque peintre perdu du 19e siècle, cœur maudit, avide de chairs, doux mélancolique et acharné d’esthétisme. Alors, quand il rencontre et s’attache à une famille de pêcheurs aux rêves cloisonnés par la mer environnante, le choc est rude mais rempli de promesses, d’espoirs et de fantaisie. Ici les femmes sont belles, désirables, envoûtantes, et les hommes robustes et fiables. Cette famille, où solidarité et tendresse sont reines, représente une Tunisie libre, égalitaire et fière de sa culture.

Ce roman se divise en deux parties. La première raconte l’adoption de Paul par Farhat et les siens ainsi que l’ambition du peintre de faire des deux enfants prodiges de futurs artistes de renommée mondiale ; il rêve d’un art global abolissant les frontières entre peinture, musique et poésie. Ensuite, c’est la dégringolade avec l’envol d’Issam, le fils, embrigadé par des extrémistes et, en parallèle, la lutte d’Ahlam pour le droit des femmes et la liberté de son pays. Il n’y a aucune transition entre l’enfance merveilleuse et épicurienne et l’adolescence féroce et emportée, l’éclatement est brutal, concomitant aux turbulences du pays ; la Tunisie est en pleine révolution politique après la chute de Ben Ali.

Réunir dans un même récit esthétisme de l’art et rigueur de l’islamisme est fascinant. L’auteur expose deux univers où le laid et le beau s’entrecroisent, illustrés par deux destinées, celles d’un frère et d’une sœur promis à un avenir radieux. Alham poursuit son rêve d’Occident et de paix, Isma s’embourbe dans ce qu’il croit être vrai et bon pour son pays. L’auteur, habile sur la question – c’est le minimum que l’on attend venant d’un expert – parle des réseaux du djihadisme, de l’embrigadement, des méthodes utilisées par les partisans pour toujours plus rassembler des ouailles aveuglées. Il connaît les méandres du processus comme sa poche, il détaille sous couvert d’un roman ce contre lequel il lutte quotidiennement. Si j’avais voulu en apprendre davantage sur l’extrémisme religieux je n’aurais pas choisi une fiction, ces passages me sont alors parus zélés et hors contexte, abrupts et lourds, quoique riche d’enseignements. Mais là où l’auteur fait preuve d’une rigueur scolaire étriquée il retombe sur ses pieds en renouant les faits et le savoir à son histoire romanesque, amoureuse et sensuelle. C’est plutôt fort.

J’ai été tourmentée par le vécue de cette famille pourtant si solide et aimante, par la déchirure interne intervenant sans prévenir, par les multiples drames qu’elle traverse. Paul Arezzo, au début héros de l’histoire, ce riche artiste qui peut tout se permettre, et ç’en est agaçant, apparaissant comme le précepteur à qui l’on ne refuse rien, s’écrase face à la combative et coriace Alham, véritable héroïne aux nerfs d’acier, prête à tout par amour clandestin, par convictions et lucidité. Elle est aussi pétrie de colère que son frère, mais oriente son combat vers un humanisme général. Isma, lui, est nervosité, honte et lâcheté. Leur histoire est une tragédie que l’on espère jusqu’au bout être passagère.

Alham est un roman dont je salue la motivation, l’utilité, la révolte. Pour autant, il n’échappe pas à des zones d’ombre. La plume scolaire et plate ne porte pas l’histoire, aucun effort de la part de l’auteur, aucune recherche de style, c’est très mal raconté – tiens, tiens -. Il y a aussi les écarts explicatifs qui font tache au milieu d’un récit puissant qui dépasse la simple logique d’un mécanisme maintes fois commenté. Suggérer les arcanes aurait été plus habile. Me manque aussi une véritable percée dans le personnage d’Issam, pantin certes, mais l’on ne passe pas d’un enfant enjoué et cadré à cet être vide et abruti sans quelques éclaircissements. N’est-il là que pour servir les velléités didactiques de l’auteur ? Pour le coup, ce personnage est raté à côté d’Alham, cette Aphrodite, Paul, l’esthète et Farhat, le père, pêcheur réfléchi et désabusé qui incarne la paternité à toute épreuve, croix de sa vie. D’autant que l’auteur ne fait rien d’Issam, il le jette dans les abîmes de son histoire, aux oubliettes le jeune garçon.

Alham se teinte des colorations douces d’une fable, du genre que l’on se raconte sur l’oreiller, d’une romance évidemment, classique mais non moins efficace, et d’un documentaire sur le djihad et la radicalisation. Marc Trévidic m’a agréablement surprise en érigeant une véritable histoire à la fois fascinante et révoltante. J’aimerais le lire dans un autre registre. Juge au pôle antiterroriste c’est bien beau, mais après avoir mis un pied dans la littérature il est bon d’oser s’affranchir de son bagage, faire fi de ses connaissances. Il a à moitié rempli le challenge. Un boulanger ne peut-être condamné à ne parler que de pain !

Et vous, peut-être connaissez-vous des écrivains juristes à me faire découvrir ?

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