Agnès Ledig fait partie intégrante du paysage littéraire française depuis quelques années maintenant. Une auteure discrète, à l’oeuvre reconnue et appréciée par, je crois, un lectorat plutôt féminin. On m’en a très souvent parlé, on me l’a maintes fois conseillée, me vantant sa sensibilité et sa plume sur ses thèmes de prédilection (le deuil et la maternité entre autres). Bref, mes résistances ont leurs limites, aussi j’ai choisi de la découvrir durant mes vacances à travers deux romans. J’aurais pu vous en parler dans des articles distincts mais, pour une question de praticité et de temps (vous constaterez la baisse radicale de rythme sur ce blog depuis quelque temps), il m’a semblé judicieux de faire une seule et unique chronique.

On regrettera plus tard

Un soir d’orage, Valentine se voit contrainte d’héberger un père et sa fille, qui parcourent la France en roulotte depuis plusieurs années. En quelques jours Eric et Anna-Nina vont, et ce malgré les hésitations et choix de vie du premier, se faire une place dans le quotidien d’institutrice de Valentine, jeune femme célibataire, heureuse dans sa campagne, auprès de ses amis fidèles et de ses élèves qu’elle adore.

On regrettera plus tard - Agnès LedigCette histoire on la connaît tous. Elle commence comme tant d’autres, par une rencontre impromptue qui laisse trop voir ce qu’elle a d’essentiel pour la suite de nos personnages. Aucun ne s’avoue qu’il manque à son bonheur un élément majeur. Appelez cela l’amour, la stabilité, un horizon dégagé. Eric a perdu sa femme en couche et décidé de faire de sa vie une interminable fuite qu’il croit quête. Il embarque avec lui l’enfant, qui ne connaît rien d’autre que cette manière d’exister, en marge de tout, solitaire et mobile. Le séjour plus ou moins forcé chez Valentine sera l’occasion pour Anna-Nina d’apprendre au contact des autres. Rapidement, elle noue une relation particulière avec celle qui sera pour un temps son institutrice et sa nourrice. Une femme tombée par hasard dans sa vie, douce et attentive.

La suite, on la devine. Placez un homme en deuil dégoûté par la vie aux côtés d’une femme en apparence épanouie mais qui souffre de n’avoir personne à retrouver le soir, glissez dans l’équation une attirance physique ne faisant aucun doute et observez ce qu’il se passe. Nos deux oisillons seront très tôt amenés à partager plus que ce que la politesse autorise. Agnès Ledig là-dessus ne joue pas sur la pudeur et offre à nos partenaires de sympathiques moments de peau à peau, oubliés le lendemain pour que reviennent les sempiternelles doutes et questionnements.

On regrettera plus tard est honnête avec le lecteur. La coucherie ne marque pas le début de la romance et donc la fin de la parade. Ici elle est un préalable, une sorte de contrat signé par les deux parties. On fait l’amour, oui, mais on continue à être handicapé quand il s’agit de communiquer autrement. Cette mise en scène, surprenante, permet de rendre le texte un peu moins niais et fleur bleu. Bien que le fond soit plein de bons sentiments, dégoulinant de morales faites pour se sentir bien et garder le cap, ce roman parvient à tirer son épingle du jeu en ne s’enfonçant pas sous un monticule sirupeux cachant une misère littéraire.

L’écriture de Agnès Ledig est bourrée de métaphores et d’images. Les dialogues sont des assemblages d’aphorismes et de mots bien choisis pour s’élever de l’existence, trouver un sens, toujours, en toutes circonstances. Je dois dire que je n’ai pas souvent cru à ces discussions trop réfléchies et peu spontanées. Néanmoins, j’ai su apprécier quelques paroles qui ont fait mouche.

On regrettera plus tard est un livre des plus sympathiques à lire. Vous savez, ceux que l’on range dans cette vaste catégorie qui n’en finit pas de s’étendre : le roman feel good (quoique la validation de ce terme soit très subjective). Je ne me jette pas dessus à chaque parution, j’aime le drame décortiqué. Pour autant, je suis lectrice, je suis femme, je suis mère de famille, aussi les messages pleins de bienveillance et d’espoir trouvent toujours leur chemin en moi ; pour peu qu’ils restent dans le cadre de ce que je considère comme crédible.

Finalement enthousiaste suite à cette lecture me sortant de mes habitudes, j’ai vite plongé dans une autre. Et ce fut ma plus grosse erreur…

Juste avant le bonheur

Une nouvelle fois, Agnès Ledig prend pour point de départ une rencontre fortuite. Ici, celle entre une jeune caissière mère d’un petit garçon et un quinquagénaire décidé à faire le bien autour de lui. Sans doute rassasiée sans le savoir par les messages de l’auteure sur la vie, ses hasards et le libre-arbitre, je n’ai en rien adhéré à cette nouvelle histoire. Car, malgré les nombreuses préventions de diverses lectrices quant à un probable chavirement du cœur au milieu du livre, je n’ai pas aimé Juste avant le bonheur, je dirais même qu’il m’a fortement déplu.

Juste avant le bonheur - Agnès Ledig

J’ai tout d’abord été assez décontenancée par la fort ressemblance dans la manière dont les personnages s’expriment, croyant retrouver ceux que je venais de quitter. Il faut croire que dans l’univers d’Agnès Ledig, nous sommes tous des êtres doués dans la répartie, donneurs de leçons de vie, maîtres dans l’art de manier l’image et l’aphorisme. Au-delà d’un manque cruel de naturel, ce procédé, en produisant des dialogues improbables, empêche de reconnaître les personnages à leur simple manière de s’exprimer, et ceci est bien dommage.

La suite du récit m’a tout simplement atterrée. Julie rencontre Paul qui l’invite à venir passer quelques semaines de vacances en Bretagne. Les fils sont conviés, l’un a trois ans, l’autre la trentaine. Le cortège est cocasse. Jérôme, le fils de Paul, est sans doute le pire protagoniste. Pourtant médecin généraliste, il nous est dépeint en éternel adolescent, benêt et capricieux. Mais le plus indélicat reste cette scène où la jeune Julie le laisse la toucher, sur son bateau, comme ça, l’air de rien. La chose est présentée tout naturellement, ceci participant à l’émancipation de l’un comme de l’autre, pour qu’ensuite le séjour se passe au mieux.

Là-dessus, je dois hausser le ton. Dans les romans d’Agnès Ledig, quand une femme (quel que soit son âge) rencontre un homme (quel que soit son âge), toujours se pose la question d’une potentielle attirance. Ainsi, il n’est pas étonnant qu’un homme de cinquante ans profère de curieuses allusions à une gamine de dix-huit, ni qu’un trentenaire mette la main dans la culotte de celle-ci. Que le premier finisse par attirer dans son lit la meilleure amie de la dernière n’étonnera donc personne. Pardonnez mon étroitesse d’esprit sur le sujet, mais cette manière de traiter les rapports homme-femme m’a dégoûtée. Passe encore si elle n’était propre qu’à un ou deux personnages, mais elle semble plutôt faire partie de l’ADN de notre auteure. Très peu pour moi.

Puis, vient ce drame que l’on m’a plus ou moins spoilé au gré des discussions. Je l’avais deviné, pour sûr. Il concerne le petit Lulu. Je ne vais pas tourner autour du pot, non je n’ai pas pleuré, pas une larmichette, rien, le vide sidéral. Mon cœur n’est pas de pierre, pourtant, mais à trop préparer le terrain pour faire gémir les ménagères il y a un risque que certaines, telle moi, ne parviennent pas à s’approprier la douleur. Douleur de Julie que j’ai trouvée bien artificielle. Les scènes de grands chamboulements, de chocs quand vient l’annonce, sont expédiées pour que vite vienne l’espoir. À dix-huit ans, Julie porte sur ses épaules une tête de géant, elle supporte drôlement bien la jeunette. Mais, je n’y crois guère. Agnès Ledig ne tarde pas à refaire couler la sève de vie, trop précocement selon moi. La souffrance est ici un passage express car le sens de son livre, de ses livres, est de mettre à mal tout ce qui peut obscurcir l’horizon. Lisez bien ce titre : Juste avant le bonheur, cela veut tout dire.

Bien sûr, comme beaucoup, je connais l’histoire personnelle de l’auteure, mais je l’ai mise de côté. Elle est sa matière à elle, moi je lis une fiction, mes critères ne sont pas les mêmes. Et il m’apparaît difficile de prendre en compte ce que je ne connais pas.

Quant à la fin, elle reflète mon impression générale : de l’espoir en veux-tu, en voilà, des hasards comme on n’en voit peu, de l’amour entre des personnages impossibles à assembler dans ma réalité. En somme, un magnifique happy end qui me ferait fuir toutes les potentielles lectures un peu trop tendance feel good.

En conclusion, après avoir passé un agréable moment avec On regrettera plus tard, ma précipitation et mon engouement m’ont emmenée sur un terrain glissant, tout droit vers ce que je déteste en littérature. La pilule a du mal à passer. Peut-être aurais-je dû attendre entre ces deux lectures que je savais épisodiques. Mes excuses, madame Ledig, mais je vais vous oublier pour un temps.

 

Et vous, avez-vous déjà lu Agnès Ledig ?

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