J’ai tardé à me procurer Adolphe, dont je m’étais promis la lecture. J’en ai découvert des aspects petit à petit. C’est drôle comme une histoire peut être soulevée par petits pans au cours d’une existence, sans ne jamais l’avoir lue. Mais quelle erreur, quelle grossière erreur j’aurais faite en passant à côté, car ce livre a dû changer bien des vies. Me concernant, il a gelé toutes les tentatives précipitées de plonger dans une nouvelle histoire. Incapable alors d’ouvrir un autre roman, j’ai parcouru une seconde fois les pages de celui-ci. M’abreuvant de cette langue créée pour parler d’amour.

Résumé de l’éditeur

Sommé de quitter Ellénore au nom de la carrière à laquelle on le destine, le narrateur ne parvient pas plus à rompre qu’à aimer. Les intermittences de ce cœur indécis précipiteront la catastrophe finale. Mais, dans cette tragédie de l’impuissance, l’amante délaisser ne sera pas la seule victime.

Mon avis

Il y aurait mille et une manières de raconter Adolphe. Je crois que l’on peut, tout un chacun, s’en faire une idée originale. Et malgré la diversité des interprétations possibles ; tous, nous seront d’accord pour surligner les mêmes passages.

Adolphe c’est la prouesse de parler de l’amour quand il n’en est pas question. Voyez-vous, ici, dans un récit bref mais non moins intense, l’auteur, prodigieux – du genre à n’écrire qu’un seul roman dans son existence – narre la rupture amoureuse. Il dresse un tableau chirurgicale du délitement des sentiments. Ne vous y trompez pas pourtant, il ne s’agit pas de décrire le déclin d’une relation commune, ayant cru avec rythme et échelons. Il est davantage question d’une rupture comme manière de vivre la relation. En effet, de début il n’y a point. La fin est là trop tôt. Dès le premier baiser, ou plutôt dès l’aveu du narrateur. C’est alors une condamnation. L’un comme l’autre,  Adolphe et Ellénore, sombrent, basculent dans un gouffre sans fond duquel ils ne pourront revenir.

« Le dessein de lui plaire, mettant dans ma vie un nouvel intérêt, animait mon existence d’une manière inusitée. J’attribuais à son charme cet effet presque magique : j’en aurais joui plus complètement encore sans l’engagement que j’avais pris envers mon amour-propre. Cet amour-propre était en tiers entre Ellénore et moi. »

Avant la passion destructrice, il y a deux personnalités. Adolphe est un solitaire qui se proclame timide et indépendant. Il est vu d’un mauvais œil par ses pairs, qui ne comprennent pas toujours ses réactions et son retrait. À y regarder de plus près, pourtant, se profile chez ce jeune homme, couvé par son père avec autorité et dédain, le mal de la jeunesse, la couardise. Adolphe est un gentil lâche qui ne jure que par son amour-propre. Que tout aille dans un sens et le monde s’en portera mieux. Ellénore, de beaucoup son aînée, engagée dans un mariage et mère de deux enfants, s’éloigne des standards oppressants de la femme du 19e. Elle est libre et fait preuve de charité par dévouement, elle possède un cœur bon et des pensées hautes. Pourtant, lui manquent la gaieté et la douceur pour en faire une femme charmante. Nos deux héros trébuchent dans l’existence, ils sont excellents sujets à l’adultère, seul secours pour pimenter leurs jours. Ces deux caractères ont été peints pour, non pas s’aimer, mais lutter dans le faux-semblant. Ils prétextent un amour qui n’a aucune réalité.

« L’amour supplée aux longs souvenirs, par une sorte de magie. Toutes les autres affections ont besoin du passé : l’amour crée, comme par enchantement, un passé dont il nous entoure. Il nous donne, pour ainsi dire, la conscience d’avoir vécu, durant des années, avec un être qui naguère nous était presque étranger. »

Car, bien vite, après l’accord selon lequel ils vivront leurs transports dans le dos du mari, la femme décide qu’en manière de tromperie, Adolphe a des devoirs. L’étau se resserre. L’instant propice à la fuite est passé trop vite ; le voici engagé, offert, contraint. Se déroule un troublant jeu de cache-cache dont l’adage populaire « Suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis » témoigne du parfait mécanisme. Loin d’elle, Adolphe la pleure, à ses côtés il rumine sa dépendance. Son plus grand malheur serait de la blesser. Alors il se contient, se modère, se coule à elle, mais il ne fera que s’enfoncer davantage dans les sables mouvants. Des crises éclatent. Malgré leur bonne tenue et leurs illusions, il leur est difficile de cacher leurs troubles. Leur histoire n’a pas la force de l’amour véritable, elle repose sur une erreur d’intentions. Les querelles sont pénibles quand elles ne font pas s’aimer davantage.

« Nous avions prononcé tous deux des mots irréparables ; nous pouvions nous taire, mais non oublier. Il y a des choses qu’on est longtemps sans se dire, mais quand une fois elles sont dites, on ne cesse jamais de les répéter. »

Adolphe et Ellénore, malgré la rupture d’avec son époux, ne peuvent voguer paisiblement sur la rivière empruntée par les couples heureux. Ils n’ont pas suffisamment connu l’attente, le désir, la séduction. Adolphe a été maladroit en obligeant la femme à l’aimer. Elle, n’a pas vu sous le charme du garçon l’insoumission de la jeunesse. Elle a été crédule.

L’auteur décrit avec méticulosité l’amour comme un contrat, la servitude à l’autre quand on croit apercevoir au loin une prospérité mensongère. Alors, des êtres faibles, incapables de décisions raisonnées et sourds à un bonheur véritable, s’y jettent à bras-le-corps, croyant être supérieurs aux communs des mortels par la passion dont ils ne sont pas acteurs mais victimes. Sans le regard des autres, sans le poids écrasant de la société qui façonne et ne tolère pas l’inconduite, Adolphe, le premier, aurait mis un terme à ce batifolage impérieux. La rupture aurait eu lieu, beaucoup plus tôt, sans dommages, sans blessures. Il en serait sorti fier et conquérant ; au lieu de cela, le voilà à jamais condamné à pleurer une femme qu’il a enchaînée à sa vie, sans aucune aide. Pour excuser sa bêtise, on convoquera cette société malade dont il est un pitoyable accidenté. Quoique cette idée me dérange par la facilité avec laquelle elle place les actes insensés de nos protagonistes comme conséquences d’un plus haut niveau de réflexion, elle n’est pas à déconsidérer. Au 19e siècle, l’amour était comme jamais assujetti aux on-dit et à la bienséance.

« Nous nous prodiguions des caresses, nous parlions d’amour ; mais nous parlions d’amour de peur de nous parler d’autre chose. »

L’auteur parle de l’amour dans le non-amour. L’attitude d’Adolphe consistant à toujours revenir sous la coupe de l’amante aurait été du courage s’il l’avait aimée, puisque tous sont contre ce rapprochement ; son père le premier, lui qui avait pour son fils bien d’autres projets. Ellénore, aussi, voyant pourtant qu’elle n’était pas l’objet d’un amour éperdu, aurait dû être adulte, montrer à ce jeune imbécile la grandeur de son âme en préservant son honneur, et sa position. Elle se trompe de combat en luttant contre les mauvais sentiments d’Adolphe. Dès le début, elle avait tout faux.

Ce roman magistral, époustouflant, réussit le prodige de faire naître les plus belles images sur l’amour en général, et le couple en particulier, à travers l’histoire d’une agonie romantique. Le récit, écrit à la première personne, a saveur d’auto-analyse. On imagine Adolphe, devenu vieux, retranscrivant sur du papier l’erreur de sa vie, sans amertume, sans colère, mais avec nostalgie et peine. Les derniers mots vont dans ce sens. Les années n’auront pas apporté le jugement ni la lucidité. Ellénore est trop infiltrée dans son sang. Il ne pourra plus aimer. Adolphe offre (avant l’heure) à son contemporain Le Lys dans la vallée un écho caustique, Félix et Henriette auraient certainement des choses à raconter à notre couple.

Et vous, avez-vous lu ce classique ? En connaissiez-vous le contenu ?

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